Le mirage du COMECON
Le 25 mars prochain, l'Europe célèbrera les 50 ans du Traité de Rome, qui vit la création de la CEE, la Communauté Economique Européenne. Un demi-siècle a passé et un long chemin a été parcouru depuis, avec l'adhésion de la République tchèque à l'UE. L'occasion de revenir sur le COMECON, qu'on prit trop souvent, à tort, pour la CEE du bloc soviétique.
Les prix sont fixés arbitrairement par cette dernière et n'avantagent bien sûr qu'elle seule. Les relations économiques sont inégalitaires et personne n'est dupe. En Tchécoslovaquie comme ailleurs, l'opinion publique a de plus en plus conscience d'un pillage des ressources nationales.
Dans ce système, les relations sont bilatérales, avec une liaison de Moscou avec chaque démocratie populaire, prise individuellement. La nature inégalitaire de ces relations s'exprime à travers les sociétés mixtes, qui comptent, pour chaque pays, un représentant dudit pays et un membre Soviétique. Le but est de garder la supériorité en négociant toujours avec un seul interlocuteur, placé ainsi forcément en position de faiblesse.
C'est pour avoir voulu enfreindre cette règle que Tito est relégué au banc du bloc soviétique et exclu du Kominform en 1948. Staline ne pouvait tolérer le projet de fédération balkanique, que le dirigeant yougoslave et le Bulgare Dimitrov avaient formés ensemble. Une telle fédération représentait une menace évidente pour l'hégémonie russe. Le régime tchécoslovaque reprendra avec emphase le credo de l'anti-titisme, ainsi lors des grands procès. L'accusation de «révisionnisme titiste» sera encore courante après la mort de Staline en 1953.En 1959, dix ans après sa création, une Charte du COMECON est ratifiée. En 1961, le numéro un soviétique, Khrouchtchev, souhaite en effet mettre en place une spécialisation des fonctions économiques au sein des différents pays du Bloc. Un an plus tard, le processus entre officiellement en marche, avec la proclamation du concept de «division internationale socialiste du travail ».
Cette division des tâches aurait pour effet de cantonner chaque pays dans une tâche unique. Et donc de maintenir les pays peu industrialisés, comme la Roumanie, dans un état d'infériorité par rapport à d'autres comme la Tchécoslovaquie, plus développée.Khrouchtchev avait commis une erreur fatale en faisant ressurgir de vieilles tensions, présentes dès la fin des années 40 entre les pays en voie de satellisation. En cause, la diversité des développements entre les démocraties populaires. La Tchécoslovaquie tente de s'imposer, au détriment de la RDA, comme fournisseur de produits industriels pour le Bloc. Les pays balkaniques, traditionnellement agricoles, souhaitent acquérir leur indépendance économique en s'industrialisant.
En juillet 1963, le numéro un roumain, Gheorgiu Dej, oppose un veto formel au projet soviétique. En mettant en place avec succès une résistance à l'URSS - la Roumanie impose sa volonté - Déjà sonne le tocsin de la libéralisation des années 60. Son successeur, le tristement célèbre Ceausescu, refusera d'intervenir en Tchécoslovaquie lors de l'écrasement du Printemps de Prague, en 1968.
Les tensions ne cesseront pourtant de s'accroître durant la nouvelle décennie, entre pays avancés et pays en voie d'industrialisation. Dans ce système, c'est la franche hostilité qui règne, bien plus que la solidarité entre pays frères !
Le COMECON, nous l'avons dit, n'a jamais été une Communauté Economique. Un tel projet n'a de toute façon jamais existé ! La conjoncture économique défavorable en Europe centrale et orientale ne le rendait de toute façon pas possible.Vitrine du bloc de l'Est, la Tchécoslovaquie des années 50 soutient un rythme soutenu dans sa production industrielle. Le seul problème, c'est qu'il s'agit exclusivement d'industrie lourde. Priorité absolue dans la sphère soviétique, l'industrie lourde a progressé de 90 % entre 1950 et 1955. Bien sûr, ce calcul s'entend sur des bases de départ très différentes selon les démocraties populaires. Traditionnellement industrielle, la Bohême Moravie a été particulièrement touchée par ce virage à 360 degrés de l'activité industrielle.
La crise économique qui frappe, d'abord la Slovaquie, puis le reste du pays au début des années 60, montre très vite les effets dévastateurs des orientations économiques du régime.
Elle met aussi en lumière l'étroite dépendance de la Tchécoslovaquie à l'égard de l'URSS, qui bénéficie de produits manufacturés à bas prix, fixés bien sûr de manière unilatérale. Avec le changement de l'équipe au pouvoir consécutive à la mort de Staline, un certain flottement plane sur l'orientation économique à adopter. Faut-il accorder la priorité au complexe militaro-industriel ou au contraire donner la primauté au développement des biens de consommations ?L'incertitude laissait entrevoir aux populations du Bloc un instant de faiblesse dans le processus de décision politique. Un constat qui poussera sans doute les Hongrois, les Polonais puis les Tchèques à se révolter.
Aujourd'hui, le COMECON n'évoque plus rien pour les Tchèques, s'il n'a jamais d'ailleurs évoqué rien d'autre qu'un instrument de la domination soviétique. La République tchèque devient un nouveau pays membre de l'Union Européenne à partir de mai 2004 et, cette fois-ci, c'est bien une véritable Communauté économique qu'elle intègre.