Le temps des interrogations : entre Moscou et Washington (1945-1948)

Les accords de Munich, 1938
0:00
/
0:00

La situation de l'immédiat après guerre est exactement à l'opposé de celle que connut la Tchécoslovaquie en 1918. Bien que victorieuses de l'Allemagne nazie, les puissances occidentales sont discréditées par les accords de Munich de 1938, tandis que l'URSS de Staline profite d'un état de grâce sans précédent en raison de la libération de la Tchécoslovaquie par l'Armée Rouge.

Klement Gottwald
La réorganisation de la politique étrangère tchécoslovaque sera le reflet des nouveaux rapports de force et d'admiration en Europe centrale et orientale à l'égard de la Russie. Edvard Benes, ayant pourtant organisé la résistance depuis Londres revient à Prague avec le goût amer de Munich sur la langue, et se tourne, malgré ses idées démocratiques, vers Moscou. D'ailleurs, provisoirement, ce sera l'ancien ambassadeur en URSS, Zdenek Fierlinger qui sera président de la République recouvrée. Le parti communiste tchécoslovaque, dirigé par Klement Gottwald est naturellement le bras politique de Moscou à Prague. Gottwald et Benes, bien qu'adversaires politiques et divisés sur le régime politique à installer en Tchécoslovaquie, se rejoignent au moins sur ce point : la Tchécoslovaquie ne peut plus tourner le dos à Moscou. Benes souhaite à cet effet que son pays soit « un pont entre l'Occident et la Russie ».

Edvard Benes
Il ne faut pas oublier le poids du Parti Communiste Tchécoslovaque, rendu très influent par son image, à l'instar du Parti Communiste Français, de parti libérateur. De plus, le contexte économique catastrophique de l'après guerre impose une redéfinition du rôle de l'Etat dans l'économie et pose le problème de la nationalisation des entreprises, dans lequel Moscou souhaite montrer l'exemple. Si Benes ne souhaite pas imposer le modèle socialiste soviétique à son pays, il admet toutefois qu'il convient de s'en inspirer. Les communistes proches de Moscou profitent quant à eux d'une vague de sympathie à l'égard de la gauche qui se retrouve dans tous les pays d'Europe, y compris en Angleterre.

Le poids politique de Moscou est par ailleurs basé sur la réorganisation fondamentale du système des partis politiques tchécoslovaques. Le programme de Kosice du 5 avril 1945 impose la liquidation des partis de droite, jugés potentiellement proches du fascisme vaincu, et donne un net avantage au Parti Social Démocrate et surtout au Parti Communiste. Indirectement, Moscou ignorait par ce système la moitié des citoyens tchécoslovaques qui auraient votés pour un parti de droite, agrarien ou conservateur...

Staline et Klement Gottwald
En déduire toutefois que la classe politique tchèque dans son intégralité était convaincue du bien-fondé d'une alliance totale avec Moscou serait une grave erreur. D'une part, une grande partie des sympathisants du Parti Communiste était davantage attirée par les slogans nationalistes du parti que par la rhétorique prorusse et socialiste. Un grand nombre de paysans notamment était alléché par la promesse d'une redistribution de leurs terres « spoliées » par les Allemands et les Hongrois. De plus, l'admiration à l'égard de Moscou ne signifiait pas nécessairement le rejet de Washington et de l'Occident. En effet, Benes souhaitait également faire profiter son pays de l'aide financière américaine à travers le Plan Marshall, indispensable pou entreprendre la reconstruction industrielle de la Tchécoslovaquie, marquée par le pillage nazi. Il envoie le Ministre des Affaires Etrangères, Jan Masaryk (fils de l'ancien président) demander à Moscou si la Tchécoslovaquie peut accepter le Plan Marshall et signer des traités d'alliance avec la France. La réponse de Staline sera aussi ferme que laconique : Niet (non). Masaryk déclara à son retour : « Je suis allé à Moscou comme représentant d'un pays souverain et j'y suis retourné comme laquais de Staline ».

Staline
La Tchécoslovaquie se trouve en réalité dans une situation politique extrêmement délicate, à mi-chemin entre l'admiration face à l'URSS et l'obligation presque formelle de suivre Moscou, et de ne pas prendre d'initiatives en matière d'organisation de l'économie ou de politique étrangère. Cette ambiguïté, alliée à l'intransigeance de Moscou, fit que les Tchécoslovaques prierent conscience de la fragilité de leur sort, désormais lié à la volonté de Staline.

Celui-ci ne tarda pas à peser de plus en plus sur la scène politique tchécoslovaque en pressant les Communistes d'accélérer leur prise du pouvoir. Investis aux plus hauts postes de la sûreté, les Communistes placent leurs pions à la tête de la police et des milices populaires. En réaction à ces nominations, les ministres non communistes démissionnent le 20 février 1948, croyant que le président Benes refusera leur démission et organisera des élections anticipées, qu'ils croient pouvoir gagner. Mais les Communistes présentent à Benes une liste pour un nouveau gouvernement communiste, et Benes, malade, ne trouve la force de refuser. Le 25 janvier 1949, Gottwald annonce la défaite de la réaction sur la Place de la Vieille Ville. Avec l'investiture d'un gouvernement presque exclusivement communiste, Prague lia ainsi son destin à Moscou.

Statue de Staline à Letna
Pour légitimer leur prise du pouvoir, les communistes tentent de forcer l'admiration des Tchécoslovaques à l'égard de Moscou, et de rapprocher le plus possible ces pays frères. L'apprentissage du russe devient obligatoire à l'école, la propagande glorifie l'alliance de la Tchécoslovaquie à la grande soeur russe. Le 1 mai 1955, la plaine de Letna à Prague est flanquée d'une gigantesque statue représentant le Communisme, ornée d'un monument à la gloire de Staline, « l'ami du peuple tchécoslovaque ». La réorganisation de l'économie tchécoslovaque commence alors, au profit de Moscou, puisqu'à travers le Conseil d'Aide Economique Mutuelle ou Comecon créée en 1949, l'URSS redirige l'essentiel du produit des démocraties populaires d'Europe centrale et orientale vers elle.

La Tchécoslovaquie durant les premières longues années du communisme ne s'écarte pas d'un iota de la ligne politique fixée par Moscou. Lorsque la Pologne, lors des grèves de Poznan de 1956 et la Hongrie avec l'insurrection de Budapest tentent de critiquer la voie suivie par Moscou, Prague ne bouge pas. Au contraire, elle condamne les déviationnismes polonais et hongrois, par fidélité par rapport à Moscou. La répression sanglante de l'insurrection hongroise par l'Armée Rouge montrera que la petite mère soviétique n'entend pas voir ses enfants fuguer. Pendant presque 20 ans, les Tchécoslovaques durent vivre, très souvent malgré eux, dans une allégeance affichée au communisme et à son génial inventeur, le peuple soviétique. Il convient de préciser que si la Tchécoslovaquie, à l'instar de la Pologne, de la Hongrie ou encore de la Bulgarie est une officiellement une démocratie populaire indépendante de Moscou, et ne fait pas partie de l'URSS, elle dépend largement de Moscou, sa marge de manoeuvre en matière de politique étrangère étant nulle, et ses initiatives dans le domaine de l'organisation de l'économie et de la société étant réduites à peau de chagrin.

Auteur: Clément Duclos
mot-clé:
lancer la lecture