Le musicien Rodolphe Burger réactive le cinéma muet

Rodolphe Burger

Prague aussi a célébré la Fête de la musique. Cette année, c'est dans un bâtiment de Smichov encore à moitié en construction que se sont succédés divers artistes. N'était une acoustique assez désastreuse, l'événement de la soirée, c'était la présence de Rodolphe Burger, que d'aucuns surnomment le « Nick Cave français ». Présent quelques jours à Prague, il a aussi donné un ciné-concert à l'Institut français.

Vous m'avez dit que vous n'êtes jamais venu à Prague. Qu'est-ce que cela représente pour vous de faire un concert ici, en République tchèque, pour la fête de la musique ?

« C'est une magnifique occasion de venir à Prague, un vieux rêve. Qu'est-ce que ça représente ? Ca a un côté vertigineux finalement. C'est quand même très récent : ça fait quinze ans à peu près que la Tchéquie nous a « rejoint » dans une sorte de continuité européenne. C'est très familier étrangement, Prague... Je ne suis là que depuis deux jours, mais je suis d'origine alsacienne et je me rends compte à quel point Strasbourg par exemple est déjà une sorte de marche vers la Mittel-Europa, même au niveau culinaire, l'ambiance. Je me sens très à l'aise, je me sens appartenir à cet espace mitteleuropéen, finalement par mes origines, plus qu'à l'espace latin peut-être. Mais bon, c'est une impression superficielle... »

Vous avez donc fait l'accompagnement musical du film de Tod Browning, L'inconnu. Tod Browning qui est aussi connu pour son film Freaks. Quel sentiment a-t-on, en tant que musicien, de renouer avec cette tradition perdue de l'accompagnement des films muets ? Il faut être un passionné de cinéma aussi j'imagine ?

« Pas du tout. Enfin, passionné, oui, mais pas du tout un cinéphile spécialiste. C'est quelque chose qui s'est fait à la faveur d'une proposition : c'est la cinémathèque française et le musée d'Orsay qui faisaient une rétrospective Tod Browning et qui m'ont proposé de faire une création sur ce film. C'est pas du tout rare en ce moment. Ce qu'on appelle les ciné-concerts, c'est en train de devenir très à la mode. On prend un film et on le réactive, on s'en empare, en tout cas en tant que musicien. C'est comme si le cinéma muet retrouvait une puissance aujourd'hui, qu'il avait perdue, parce que oui, on considère cela bêtement comme la préhistoire du cinéma, ce qui est faux. Le cinéma muet a des puissances propres. Un film comme L'inconnu, c'est un chef d'oeuvre absolu qui marche très bien sans musique. On voit que dans le cinéma muet de cette époque, notamment celui de Tod Browning, il y a une liberté d'invention qui s'est presque perdue après. Le parlant n'est pas seulement un progrès. Evidemment que c'en est un, mais c'est aussi quelque chose qui fait régresser et disparaître une puissance du cinéma qui était présente dans le muet. On peut donc s'appuyer sur cette puissance là quand on s'en empare en tant que musicien. En plus on dispose d'une liberté énorme puisque la musique n'est pas un élément additionnel, elle devient un élément permanent et parallèle. On a une grande responsabilité personnelle. Le réalisateur n'est plus là pour nous dire si on fait fausse route. La premirère fois que je l'ai présenté à Orsay, il y avait tout le fan club de Tod Browning dans la salle et si je m'étais fourvoyé, je pense qu'ils m'auraient lynché ! Parce qu'ils aimaient tellement ce film qu'ils n'auraient pas supporté quelque chose qui leur aurait paru trahir. Alors, ça ne veut pas dire que j'ai été fidèle, d'ailleurs je ne sais pas ce que ça veut dire, on est obligé de trahir puisqu'il n'y a pas de musique originale. Au fond, on ne sait pas quelle était la volonté de Tod Browning. On est obligé de se lancer, de prendre des risques. Il faut essayer d'être sincèrement dans un rapport intime à ce film. Musicalement c'est très fort car on fait de la musique avec un élément non musical, donc on est dans un rapport de contrepoint. L'image elle-même devient un partenaire purement musical : il y a des plans dans ce film qui sont comme des sons, des effets sonores ! Il y a des effets de distorsion. Le jeu de l'acteur lui-même a quelque chose de performé, de « live ». Et donc on joue avec, ce qui est très troublant comme expérience. »

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