« Le populisme en Tchéquie n’est pas celui de la Hongrie ou de la Pologne »
Avec la très nette victoire du mouvement ANO qui a recueilli près de 30% des suffrages, mais aussi les succès des Pirates et du parti d’extrême droite Liberté et démocratie directe (SPD), deux formations antisystème au-dessus des 10%, les Tchèques ont fait des choix qui interpellent lors des élections législatives. Déjà, beaucoup de médias étrangers comparent l’évolution de la situation politique en République tchèque à celle de la Hongrie et de la Pologne, deux de ses pays partenaires au sein du Groupe de Visegrád, où le populisme aux relents nationalistes triomphe. Chercheuse à l’Institut des relations internationales à Prague, Veronika Bílková s’intéresse de près à cette évolution. Et elle l’affirme, bien que ces trois pays soient unis, entre autres, dans leur peur et leur rejet des réfugiés, le contexte en République tchèque diffère de celui qui règne en Hongrie et en Pologne.
Comment expliquez-vous cette montée du nationalisme dans ces différents pays, et ce donc y compris en République tchèque, où un des principaux thèmes de la campagne a été la migration et l’accueil des réfugiés - ou plutôt le refus de les accueillir - alors qu’on ne trouve trace d’aucun réfugié dans les rues des grandes villes…
« C’est effectivement un phénomène très intéressant et on se pose toujours la question de savoir comment le décoder et ce qui se trouve derrière. C’est difficile, mais nous constatons malgré tout qu’il y a les faits et la perception que nous avons de ces faits. Or, parfois, la perception que nous avons des faits ne correspond pas à la réalité. Et je pense que c’est exactement ce qui se passe actuellement en République tchèque. La perception qui est celle de la question des réfugiés et de la migration est très éloignée des faits. C’est pourquoi les Tchèques sont persuadés que les réfugiés et la migration constituent le problème numéro un pour leur pays. Cela n’est cependant pas fondé sur l’expérience personnelle des gens, mais davantage sur ce que les gens voient dans les médias et ce qu’ils entendent des responsables politiques. »
« C’est donc peut-être un échec de ces derniers qui se cachent derrière cela. C’est peut-être aussi leur volonté, bien sûr parce que les gens qui ont peur sont plus faciles à manipuler. »
« Avons-nous fait assez pour convaincre les gens quelles valeurs sont importantes ? »
Mais comment expliquer que ne soient pas mises en avant dans le débat d’autres priorités qui touchent davantage à la vie quotidienne, familiale ou professionnelle des gens ?« Les gens sont persuadés que la question de la migration touche leur vie quotidienne. C’est ça, la réalité. Mais c’est difficile de changer des perceptions qui se sont développées des années durant. Je le répète, il s’agit là d’un échec ou au contraire d’une volonté non seulement des responsables politiques mais aussi des médias et peut-être même du monde académique. Après tout, n’avons-nous pas tous échoué ? »
Est-ce là pour vous une déception, car on pourrait sans doute débattre de choses plus importantes pour faire avancer le pays ?
« Ce n’est pas tant décevant que surprenant. Pas même trois décennies après la révolution, les gens sont de nouveau prêts à renoncer à toutes les valeurs pour lesquelles nous avons lutté avant 1989 : les droits de l’homme et la démocratie. Aujourd’hui, ce sont presque devenus des mots sales (sic). Mais même si cela me surprends, je le considère aussi comme un échec personnel et un défi. C’est un échec de l’ensemble de la société. Peut-être avons-nous pensé que nous bénéficierons toujours de nos acquis et n’avons-nous pas fait assez pour convaincre les gens que ces valeurs sont importantes. Qu’elles ne sont pas garanties et que leur protection est un combat de tous les instants. »