Le premier documentaire sur Milan Kundera sort dans les salles tchèques
« Milan Kundera : De la Plaisanterie à l’Insignifiance » est un documentaire consacré à l’œuvre littéraire de l’écrivain d’origine tchèque, installé en France depuis le milieu des années 1970 et qui est sorti en salles en République tchèque le 21 octobre. Réalisé par le documentariste Miloslav Šmídmajer, il met en scène un étudiant fictif qui souhaite réaliser une interview avec Milan Kundera, alors même que ce dernier refuse depuis une quarantaine d’année tout entretien, préférant laisser parler son œuvre.
Le paradoxe Milan Kundera, c’est de faire autant parler de lui, sans jamais s’exprimer lui-même. Comme c’est le cas des choses dont la rareté fait augmenter la valeur, avoir la possibilité d’approcher d’un peu plus près cet écrivain pour un documentaire qu’il n’a certes pas explicitement approuvé, mais auquel il ne s’est pas non plus opposé, est un coup de maître en soi.
La raison en est sans doute essentiellement l’angle choisi par Miloslav Šmídmajer qui, tout en esquissant le portrait d’un auteur à la personnalité complexe, introvertie, qui en impose à son entourage tout en verrouillant au maximum toute narration relative à sa vie, s’est refusé à aborder les sujets polémiques qui lui sont accolés, comme celle liée à une éventuelle collaboration avec la police politique tchécoslovaque dans les années 1950 :
« J’ai demandé à de nombreuses personnes ce qu’il en était. Je suis même allé poser des questions à l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires. Je n’allais pas parler de quelque chose sans savoir de quoi il retourne : il aurait fallu que je fasse un film uniquement sur cette affaire en présentant les arguments des uns et des autres. Honnêtement, j’ai 95 minutes de documentaire où je n’arrivais déjà pas à placer tout ce que je voulais sur son œuvre littéraire, je n’allais pas évoquer un sujet pour lequel toute la lumière n’a pas été faite. »
Miloslav Šmídmajer le dit lui-même : c’est avant toute chose l’œuvre littéraire de Milan Kundera qui l’intéressait de décortiquer. Et si le film s’efforce de comprendre certains traits de caractère de l’homme derrière l’auteur – son refus d’une interprétation de son œuvre par quiconque ou lui-même, son opposition de quelconque adaptations ou encore récemment de traductions en tchèque -, il en ressort une image essentiellement sans aspérités :
« C’est le tout premier documentaire à avoir été réalisé sur Milan Kundera. Personne n’en avait jamais tourné sur lui avant cela. Je ne suis pas du genre à aller filmer un artiste sur ses toilettes ou dans des situations gênantes juste pour être original. Ce qui m’intéressait, c’était de savoir pourquoi il est entouré d’autant de mythes, pourquoi il ne voulait pas faire traduire ses œuvres françaises en tchèque, pourquoi il ne veut pas faire l’objet de films ou d’articles, alors qu’au final la réalité s’avère tout autre. Enfin, je voulais en savoir plus sur ce qui fait la qualité de son œuvre qui en a fait un écrivain d’envergure mondiale. Nous n’en avons pas beaucoup comme cela. Donc je ne vois pas pourquoi je devrais taper sur quelqu’un qui a mieux réussi que la plupart d’entre nous. »
Que ce soit en République tchèque et en France, diverses personnalités proches de Milan Kundera interviennent dans le film pour évoquer la vie et l’œuvre de l’auteur : l’écrivain Milan Uhde, un de ses amis les plus proches, l’écrivaine Silvie Richterová ou l’acteur Jan Kačer qui avait interprété le rôle masculin principal dans l’adaptation au cinéma de la nouvelle Personne ne va rire. Côté français, Yasmina Reza, Bernard-Henri Lévy ou Antoine Gallimard interviennent pour donner à voir des éléments relatifs à la seconde partie de la vie de Kundera.
Le réalisateur a également puisé dans les rares adaptations cinématographiques des œuvres de Kundera et dans les archives pour construire son film :
« Depuis tout jeune, Milan Kundera n’a jamais aimé se faire prendre en photo ou même être filmé. Donc la majeure partie des films existants où il apparaît, nous les avons dans ce documentaire. Ce sont soit des archives plus anciennes, des années 1960 notamment soit ce sont des extraits de chaînes de télévision françaises. »
Une des archives utilisées est le seul entretien radio que Milan Kundera ait accordé depuis le début des années 2000. C’était avec un journaliste de l’antenne de la Radio tchèque à Brno, Tomáš Sedláček. Un document sonore unique en soi, comme le rappelle Miloslav Šmídmajer :
« C’est la seule personne qui a réussi à enregistrer un entretien avec Milan Kundera. Donc c’est très précieux, et il y est parvenu parce qu’ils se connaissaient depuis des dizaines d’années. Il a bien sûr essuyé de nombreux refus, mais un jour, ça a marché ! Il était malin, il a trouvé des thèmes qui intéressaient Kundera. Kundera adore le compositeur Leoš Janáček pour lequel son père avait travaillé. Donc quand Tomáš Sedláček a suggéré de faire quelque chose à l’occasion de l’anniversaire de Janáček, Kundera a accepté et c’est comme ça que cette interview a vu le jour. Il a même réussi à le convaincre de lire des extraits de certains de ses essais et nouvelles. »
Une chance qu’aura eue en partie Miloslav Šmídmajer qui a pu rencontrer le couple Kundera en personne :
« Ils ne voulaient pas être filmés. Ils ont accepté un enregistrement audio, nous avons donc des enregistrements assez longs dont nous avons utilisé quelques courts extraits. Pendant le tournage, nous avons juste fait des gros plans sur des livres ou des images, et il y a un instant où Milan Kundera passe furtivement devant la caméra. Mais je n’ai pas utilisé ce passage, ça ne leur aurait pas plu, et je n’avais pas envie de provoquer inutilement. »