Le projet de suppression de la deuxième langue obligatoire suscite l’inquiétude des enseignants
Une réforme de l’enseignement, selon laquelle la deuxième langue étrangère deviendrait facultative pour les élèves scolarisés au niveau du collège, suscite une vive inquiétude chez de nombreux enseignants. Les représentants de plusieurs facultés de pédagogie ont récemment lancé une pétition qui a rassemblé plus de 2 400 signatures demandant l’abandon de cette partie de la réforme. Pour en parler, Radio Prague Int. a interrogé un de ses initiateurs et signataires Tomáš Klinka, directeur du département de langue et de littérature françaises à la faculté de pédagogie de l’Université Charles.
« La deuxième langue étrangère, c’est comme la LV2 en France. Elle est obligatoire depuis 2013-2014. Ce projet avait été lancé par celui qui est devenu l’actuel Premier ministre Petr Fiala. Cela fait donc un peu plus de huit ans. Cette deuxième langue obligatoire doit être choisie au plus tard à partir de la 8e classe (équivalent de la 4e en France). Le plus souvent elle est enseignée dès le niveau du collège, à partir de 11 ans, donc de la 6e en France. »
Combien d’élèves étudient actuellement une deuxième langue étrangère en Tchéquie ?
« Au total, c’est environ 250 000 élèves. Le plus souvent, ils choisissent l’allemand en seconde langue étrangère. Le français a longtemps été à la seconde place, mais aujourd’hui, il est à la quatrième place après le russe et l’espagnol. Il y a environ 7 500 élèves qui apprennent le français au niveau du collège. Ça va mieux au lycée, où il y a environ 20 000 élèves, mais le français reste la quatrième langue étrangère enseignée. »
L’anglais reste la première langue obligatoire enseignée à l’école en Tchéquie. Le ministre de l’Education, Petr Gazdík, veut, sur la foi d’un groupe d’experts qui le recommandent, supprimer cette deuxième langue étrangère obligatoire. Comment avez-vous accueilli cette idée en tant qu’enseignants ?
« Cette idée vient un peu de nulle part selon nous. On retrouve les mêmes arguments qui étaient déjà avancés avant 2013 : on dit que c’est une matière qui n’est pas nécessaire, qui est trop difficile, que c’est trop compliqué pour les écoles de faire en sorte d’avoir un enseignant pour une deuxième langue étrangère. Mais cette décision d’un panel indépendant d’experts est d’autant plus étrange qu’il n’y avait aucun enseignant de langues. Selon des informations non-officielles, ce serait dû au fait que le ministère a décidé d’introduire plus de cours d’informatique dans les écoles, ce qui rajoute des cours et fait de la deuxième langue obligatoire la victime. C’est donc une décision purement bureaucratique et politique, selon nous. C’est la raison pour laquelle nous protestons car les arguments du ministère ne sont ni plausibles ni logiques. Ils sont très faciles à contredire. »
Un des arguments est ce fameux classement PISA. L’argument invoqué, c’est que 20 % des élèves des écoles élémentaires (niveau primaire et collège en Tchéquie, ndlr) ne maîtriseraient pas correctement leur propre langue maternelle, le tchèque.
« Une fois de plus c’est un argument qui n’a aucun sens parce qu’on ne peut pas confondre la langue maternelle et les langues étrangères. On sait depuis longtemps, grâce à des études scientifiques, que la première et la deuxième langue étrangère aident au développement de la langue maternelle. A ce compte-là, on pourrait dire que la chimie, la physique et les maths nuisent aussi à l’apprentissage du tchèque parce que les enfants n’ont plus le temps de l’étudier. Ce sont des arguments qui ne sont pas logiques, qui sont là tout simplement parce que le mot PISA fait très bien dans les médias. Un rapport de l’Inspection tchèque de l’éducation de 2019 constate quelques problèmes dans l’enseignement en République tchèque : ces problèmes relevés concernent surtout l’insuffisante formation des enseignants, mais aucun argument n’y est avancé pour demander la suppression de la deuxième langue étrangère obligatoire. »
N’est-ce pas étonnant de voir le ministre de l’Education de Petr Fiala pousser pour la suppression de quelque chose que l’actuel Premier ministre avait lui-même introduit ?
« Ce qui est encore plus étrange c’est que dans une interview, Petr Gazdík a déclaré qu’il n’avait jamais consulté cette décision avec le Premier ministre car elle a été prise par un groupe d’experts indépendants. Ce qui me gêne dans l’argumentation du ministère c’est que supprimer l’obligation d’une deuxième langue va améliorer la qualité de l’enseignement des langues. Or cela nuit au système éducatif : les meilleurs vont être les meilleurs et les élèves qui ont des problèmes n’auront pas la possibilité de s’améliorer. Côté ministère on argumente en disant qu’il n’y aura plus dans les classes que les élèves vraiment motivés et les enfants qui n’y arrivent pas feront autre chose. Si c’est cela la stratégie du ministère de l’Education, c’est vraiment triste. Cela ne va pas améliorer la situation des enfants qui sont déjà plus défavorisés ou alors qui en aurait besoin. Prenons les enfants qui vivent à 10 km de la frontière allemande : ils ne croiseront donc jamais l’allemand dans leur quotidien, ils penseront peut-être que l’Allemagne est un pays bizarre, où on trouve des choses moins chères, mais sans jamais comprendre cette notion de voir l’étranger comme un voisin. Car c’est aussi cela que l’on fait en cours de langue, et pas seulement les conjugaisons : c’est comprendre la langue comme la culture, comme une vision du monde complémentaire à la mienne que je peux critiquer ou comprendre. Mais en tout cas, on peut interagir avec la personne que l’on comprend. »
Y a-t-il unanimité sur cette question chez les enseignants des deuxièmes langues étrangères ?
« Malheureusement. C’est étonnant. Certains enseignants veulent peut-être avoir des heures de cours plus faciles avec des élèves vraiment motivés. Mais là aussi, c’est un problème de formation et de l’intérêt pour sa propre discipline. Dès que vous commencez à argumenter avec eux, ils vous disent que c’est vrai mais qu’ils n’y avaient jamais pensé de cette façon. Les directeurs d’école sont pour cette réforme parce que ça leur simplifierait la tâche, ensuite ce sont les parents qui ont tendance à protéger leurs enfants et aussi quelques enseignants. Même si je dois dire qu’à l’exception d’une association de didacticiens de l’anglais, toutes les associations d’enseignement des langues ou institutions ayant à voir avec cet enseignement, y compris de la langue maternelle, soutiennent notre initiative. »
On notera le paradoxe de supprimer la deuxième langue étrangère obligatoire dans un pays où certains ministres du nouveau gouvernement avaient été pointés du doigt pour leur pauvre connaissance de l’anglais par exemple…
« C’est vrai que dans la génération des personnes qui ont 50-60 ans, la connaissance des langues a été plus difficile à acquérir que pour la génération des 40 ans et moins. C’est une question de temps et on ne peut pas reprocher à ces gens-là de ne parfois pas connaître plus d’anglais. Chacun sait autre chose et ils ont des équipes aussi. Ce qui est regrettable, c’est d’affaiblir ainsi l’enseignement d’une deuxième langue étrangère : car ils ne suppriment pas la deuxième langue entièrement, mais veulent la rendre facultative. On est un petit pays au milieu de l’Europe. Economiquement et culturellement, on a toujours coopéré avec d’autres pays et aussi été dépendants. Mais il y a toujours eu un dialogue avec ces différents pays. Regardons les Hollandais par exemple : au Pays-Bas, trois langues étrangères sont obligatoires. Or c’est aussi un petit pays, le néerlandais est comme le tchèque, peu de personnes le parlent. Ils savent que pour mieux collaborer avec d’autres pays, il faut parler d’autres langues. Cette collaboration ne concerne pas seulement les affaires économiques, mais aussi la culture, l’éducation etc. Les Pays-Bas sont un pays qui a du succès à tous points de vue. Ils sont 15 millions, nous sommes 10 millions, les situations sont tout à fait comparables, mais eux ont vraiment œuvré en faveur de la connaissance des langues. »