Le Quatuor Pražák (2e partie)
La semaine dernière nous vous avions présenté le Quatuor Pražák, un ensemble de musique de chambre reconnu comme un des plus homogènes et virtuoses au monde. Dans la seconde partie de l’entretien qu’il a accordé à Radio Prague, l’altiste Josef Kluson nous révèle sa musique préférée et compare le paysage musical en France et en République tchèque.
« Nous apprécions Beethoven bien sûr, car il a composé dix-sept quatuors. Quand on compose des programmes, nous proposons toujours un morceau de Beethoven. Après Beethoven, je dirai Brahms parce qu’il a poursuivi la tradition de Beethoven. Il était très sévère et très strict, il a détruit tout ce qui lui plaisait. Résultat : ses quatuors sont parfaits, mais pas seulement, ses quintets et sextuors le sont également. Pour ce qui est de la musique tchèque, bien sûr c’est Leoš Janáček, Bedřich Smetana, et disons, cinq-six quatuors d’Antonín Dvořák. »
J’ai regardé votre programmation et me suis aperçu que vous jouiez très souvent en France. Si l’on regarde ce début d’année, cela représente presque la moitié de vos concerts. D’où vient ce lien particulier avec la France ?
« C’est toujours un plaisir de jouer en France où nous avons gagné notre première grande compétition. La France s’investit beaucoup dans la musique et la culture en général. Elle donne plus d’argent à la culture, et donc à la musique, que les autres pays. C’est aussi la raison pour laquelle on s’est beaucoup produit en France ces dernières années. On a fait des biennales à Paris, on a joué sur toutes les scènes les plus importantes de Paris : le théâtre des Champs-Élysées, le théâtre des Bouffes du Nord, le théâtre du Quai d’Orsay, etc. Mais ce n’est pas seulement Paris qui a l’esprit musical. Il y a pas mal de festivals en été par exemple à Perros-Guirec, dans les Bauges ou à Lyon. Alors oui, nous aimons ce pays. »Vous avez même donné un « master class » (classe de maître) en juin dernier à Paris. Pourriez-vous nous en parler un petit peu ? Comment cela s’est-il passé ?
« Oui, c’était un ‘master class’ pour quartet dans le cadre d’une organisation exceptionnelle assurant une grande promotion pour la musique de chambre. Elle invite des ensembles talentueux pour étudier avec des membres de différents quatuors ou trios du monde entier. C’est une excellente occasion pour les jeunes musiciens. Cette fois, j’ai enseigné à un quatuor polonais et à un quatuor italien qui ont étudié György Ligeti et Witold Lutoslawski. C’est une musique moderne écrite dans les années 1950-1960. C’était une expérience très intéressante et les deux ensembles ont vraiment bien travaillé. »
Vous avez déjà un peu parlé de la France. C’est un pays qui est très favorable à la culture, à la musique, mais j’aimerais vous inviter à comparer le paysage musical français et celui de la République tchèque, le fonctionnement autour de la musique…
« Le public est partout le même : quand vous jouez bien, il apprécie. La France est un grand pays, alors il y a plus d’occasions d’organiser des concerts et des festivals. Il y a plus de salles de concert à Paris qu’à Prague. En revanche, à Prague, nous avons une série de concerts auprès de l’Orchestre philharmonique tchèque qui a une tradition plus que centenaire. Il a toujours un grand succès auprès du public, parce qu’on fait plus de trente concerts par an et que nous avons à peu près 800 auditeurs abonnés. C’est fantastique. En France, il y a plus de possibilités à organiser des concerts dans des lieux moins grands. Par exemple, nous avons joué il y a un mois à Marseille devant 400 auditeurs, ça n’est pas mal aussi. Mais on peut citer aussi la ville de Lille qui organise nombre de bons concerts. Et aussi Bordeaux. Il y en a partout. Pour moi, il n’y pas de différence dans l’approche des auditeurs avec la musique, c’est la même chose. »Il y a un proverbe tchèque qui dit que derrière chaque Tchèque se cache un musicien. Est-ce vrai ? Pensez-vous que les Tchèques sont particulièrement doués en tant que musiciens, ou même qu’il y a plus de musiciens qui grandissent ici qu’ailleurs ?
« Oui, il y a toujours beaucoup de talents en République tchèque. Mais ce proverbe vient probablement de l’époque où le pays était vraiment pauvre. Les gens du peuple voulaient se distraire parce qu’il n’y avait pas beaucoup de choses et ils n’étaient pas riches. Alors ils pratiquaient la musique à la maison. C’est devenu une tradition. Mais je ne sais pas si elle persiste encore aujourd’hui. Quand j’étais jeune, pour acquérir ma première expérience dans le jeu collectif, nous avons joué avec des amateurs qui étaient capables de jouer tout et qui connaissaient tout. Ils n’avaient pas besoin de travailler pour produire de la musique parfaite. Pour se distraire et s’amuser, ils connaissaient tous les Beethoven, les Haydn, les Mozart… Par contre, un quatuor professionnel, normalement, ne joue que quinze ou vingt quatuors de Haydn, qui en a pourtant écrit soixante-dix… »