Le réalisateur centenaire Otakar Vávra
Otakar Vávra fête le lundi 28 février son 100ème anniversaire. Monstre sacré du cinéma tchécoslovaque, il a tourné, entre 1936 et 1989, précisément 49 longs-métrages, dont des comédies, des films historiques et films de guerre à gros budget, des adaptations d’œuvres littéraires tchèques, des drames psychologiques. D’un côté, des films proches de la nouvelle vague des années soixante, de l’autre côté ceux qui correspondaient à l’interprétation communiste de l’histoire. Une œuvre complexe, une personnalité complexe…
Otakar Vávra est inscrit au Panthéon du cinéma tchèque en tant qu’excellent réalisateur et pédagogue, en tant qu’artiste à la fois admiré et critiqué, du fait qu’il a su s’accommoder à deux régimes totalitaires. Nous allons, ensemble, revenir sur sa carrière. Je vous invite aussi à écouter quelques extraits d’un nouveau documentaire sur Otakar Vávra, tourné par trois réalisatrices, l’épouse du cinéaste Jitka Němcová, Alena Činčerová et Adéla Sirotková. Il est diffusé ce dimanche 27 février, à la veille du centenaire d’Otakar Vávra, sur la première chaîne de la Télévision tchèque.
Dès ses débuts au cinéma, dans les années 1930, Otakar Vávra se distinguait par son professionnalisme et sa capacité à mettre en valeur ses projets, mûrement réfléchis et soigneusement conçus, dans un milieu concurrentiel, à en faire en plus des succès commerciaux. Jeune, il abandonne vite des études d’architecture pour se consacrer à sa passion qu’est le cinéma. Le métier de cinéaste, Otakar Vávra l’apprend tout seul. Il se souvient :
« Quand je voyais un bon film au cinéma, je m’asseyais et écrivais, de mémoire, une liste des scènes de ce film. Petit à petit, j’ai commencé à comprendre comment le film était construit. J’ai compris où se cache le suspens, pourquoi les spectateurs ont le souffle coupé, pourquoi ils pleurent et pourquoi ils rient. Tout cela, j’ai commencé à le comprendre en lisant mes notes. Voilà comment j’ai appris à rédiger les scénarios. »Dans les films d’Otakar Vávra apparait une pléiade d’acteur renommés : à commencer par les vedettes du cinéma d’entre-deux-guerres Adina Mandlová, Lída Baarová, Hugo Haas, Saša Rašilov. Il a beaucoup aimé tourner avec Zdeněk Štěpánek et Karel Höger. On écoute Jitka Němcová, épouse d’Otakar Vavra :
« Il choisissait de bons acteurs. Il me disait : ‘un acteur qui n’a pas bien joué m’a trahi’. Donc il choisissait les acteurs en fonction du rôle et il prenait toujours les meilleurs. »
Otakar Vávra continue à tourner même pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il signe des films de qualité, appréciés aujourd’hui encore par le public et la critique. C’est ainsi qu’il se souvient du début de l’occupation nazie du pays :« C’était une catastrophe. On ne savait pas si on allait survivre, je ne me posais même pas la question de savoir si j’allais pouvoir tourner ou pas. Ensuite, j’ai appris à définir exactement ce qui dérangeait les Allemands. La censure était terrible. Ils veillaient à ce que rien dans le film ne soit anti-allemand, ni le sujet, ni l’action, ni une phrase ou un seul mot dans un dialogue… J’ai réussi à éviter tout cela… »
« Uhnout »… éviter un conflit, une controverse, un malentendu qui pourrait avoir des conséquences fatales sur la carrière du réalisateur… Le mot « uhnout » est très fréquent dans le vocabulaire d’Otakar Vávra. Il ne cache pas avoir adopté cette même attitude sous le régime communiste qui le met alors sur un piédestal et le récompense de nombreux prix.
Après la guerre, en 1950, Otakar Vávra fonde, au sens propre du terme, le département de la réalisation à la FAMU, l’Ecole supérieure de cinéma de Prague. Il forme la célèbre génération des cinéastes des années 60, parmi eux, Věra Chytilová, Miloš Forman ou Jiří Menzel. Son élève Jitka Němcová est devenue sa compagne. Elle avait 23 ans, Otakar Vávra quarante ans de plus.« Nous nous sommes rencontrés quand j’étais en deuxième année à la FAMU. Quand j’ai passé le concours d’entrée à la FAMU, je le croyais déjà mort. Tout d’un coup, je me suis retrouvée face à lui. J’étais curieuse de le connaître. Nous sommes vite tombés amoureux l’un de l’autre. Il me disait – tu vas voir, cinq ans avec moi, ça va passer très vite. Maintenant, cela fait 38 ans qu’on est ensemble…Il était excellent comme professeur. Si quelqu’un nous a appris quelque chose, c’était lui. »
Un chapitre intéressant dans la filmographie d’Otakar Vávra s’ouvre avec sa « trilogie hussite » : il s’agit de ses grandes productions des années 1950 et qui se rapportent notamment aux personnages de Jan Hus et de Jan Žižka. Voici un commentaire sur ses films de la part de notre collègue Václav Richter :« Il est à la mode aujourdhui de critiquer la ‘trilogie hussite’ d’Otakar Vávra. On lui repproche d’avoir tourné les films sur commande politique. Mais on oublie que ces films ont été tournés dans les années 1950, donc à l’époque des pires aberrations staliniennes, à l’époque du culte de la personnalité. Déjà le fait d’avoir tourné un film sur Jan Hus, de le présenter en tant que prêtre, c’était un acte de courage. Ce que j’apprécie aussi dans cette trilogie, ce sont les scènes des grandes batailles hussites. Vávra aparaît ainsi comme un véritable professionnel du cinéma. Il sait présenter ces batailles de façon évidente : le spectateur est toujours au courant de ce qui se passe sur l’écran, il sait exactement qui est en train de gagner et qui est en train de perdre. Cet aspect est assez rare, on ne le retrouve même pas dans les productions hollywoodiennes aujourd’hui. »
Dans les années 1960, Otakar Vávra adapte au cinéma, avec succès, des œuvres du poète lyrique František Hrubín, notamment sa « Romance pro křídlovku » (La Romance pour bugle), considéré pour beaucoup comme le meilleur film de Vávra. Dans les années 1960, le réalisateur est probablement à l’apogée de sa carrière. En 1969, il tourne un autre film remarquable : « Kladivo na čarodějnice » (Un Marteau pour les sorcières) d’après le roman éponyme de Václav Kaplický, film qui évoque les procès contre les femmes soupçonnées de sorcellerie à l'époque de l'inquisition, et qui, en même temps, dénonce le pouvoir totalitaire et le fanatisme en général. Le film a été interdit de distribution jusqu’en 1989. A l’époque de la normalisation, Otakar Vávra a tourné une série de films sur la Deuxième guerre mondiale, films qui ne trouvent plus d’écho chez le grand public aujourd’hui.Otakar Vávra qui a signé son dernier long métrage il y a vingt ans, célèbre donc le 28 février son 100ème anniversaire. Une grande fête est annoncée à cette occasion à la galerie Mánes, à Prague, en présence du président de la République.