Le regard des protestants français sur la figure de Jan Hus (I)

Jan Hus

Début novembre, l’historien Patrick Cabanel, spécialiste du protestantisme dans la France moderne et contemporaine, donnait une conférence à l'Institut de théologie protestante à Paris sur le regard porté par les protestants français sur le réformateur tchèque Jan Hus, considéré en République tchèque comme une importante figure nationale et dont est commémoré cette année le 600e anniversaire de la mort. Patrick Cabanel a accordé un entretien sur le sujet à Radio Prague, dont voici la première partie.

Patrick Cabanel,  photo: Pierette13,  CC BY-SA 4.0 International
« Le nom de Hus apparaît en fait dès le XVIe siècle dans la réformation française. Le problème pour la réformation française, qui est le problème de toutes les réformations religieuses, c’est de se réclamer d’ancêtres. Parce que l’Eglise catholique accuse systématiquement ce qu’elle appelle des hérésies de n’avoir aucun fondement, d’être des inventeurs. Ce sont des sociétés à l’époque où il n’est pas bon d’être des novateurs, contrairement peut-être à nos sociétés. Ce sont des sociétés où il faut pouvoir se réclamer d’une généalogie, dire qu’on invente rien mais qu’on retrouve une origine, une sorte de pureté évangélique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les premiers protestants en Europe se sont appelés les « évangéliques ». Et donc les protestants français, dès qu’ils apparaissent, cherchent dans le passé des ancêtres, reconstituent des généalogies. Et ils trouvent immédiatement, parmi les ancêtres qu’ils prétendent être les leurs, aussi bien Wyclif que Hus.

Tout de suite, dans la manière dont ils racontent l’histoire, ils affirment qu’ils ne sont pas en vérité des novateurs, des inventeurs, mais qu’ils reprennent une sorte de courant qui a toujours cherché à retrouver la pureté évangélique et dont, à travers les siècles, on peut repérer un certain nombre de segments. Hus est vraiment pour eux la grande figure de cette quête de pureté évangélique dont ils se revendiquent. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, à Genève en exil, les protestants français commencent à rédiger un livre qui va être un best-seller du monde réformé français, qui s’appelle ‘Le Livre des Martyrs’. C’est l’histoire de tous ceux qui sont morts pour la vraie foi, martyrisés par la monarchie ou par l’Eglise catholique. Systématiquement et dès la première édition, ce ‘Livre des Martyrs’ s’ouvre sur Wyclif et sur Jan Hus. »

Quels sont les traits qu’ils mettent en avant dans cette filiation ? S’agit-il de l’expérience commune des persécutions ?

« Il y a effectivement cette expérience des persécutions mais plus fondamentalement, de manière théologique fondamentale, il y a l’idée que ce sont de mêmes chercheurs de vérité et de retour à l’évangile. Ils ont tendance à considérer, et cela deviendra systématique au XIXe siècle, que Hus est le type même du pré-réformateur. C’est une expression qui est un peu anachronique, mais c’est ainsi qu’ils vont présenter Hus et d’autres, un précurseur et donc au XIXe siècle un pré-réformateur. A leurs yeux, c’est la même histoire, la même quête du vrai évangile contre les perversions que l’Eglise, en l’occurrence l’Eglise catholique, aurait apportées.

Jan Hus
Voilà comment une sorte de lignée se reconstruit. Théologiquement, elle est sans doute très fragile mais sur le plan de la généalogie inventée, cela fonctionne de façon assez remarquable. De même qu’il y a une sorte de ligne officielle qui est celle évidemment de l’Eglise catholique, et papiste comme disent beaucoup de ses adversaires, il y a une lignée qui est en partie clandestine, souvent persécutée, mais qui finira par aboutir au grand jour de la vérité évangélique. Et dans cette lignée-là, Hus est vraiment important. Comme avec les vaudois auparavant. La lignée remonte même au cœur du Moyen Âge. On croit même au XVIe siècle que les Albigeois ou les cathares font partie de cette lignée persécutée du vrai évangile et on reconstruit la filiation cathares/vaudois/hussites/protestants du XVIe siècle. »

Y a-t-il également un regard critique sur Jan Hus, sur la réforme qu’il a pu engager ?

« Je crois que ces théologies, qu’elles soient cathare, vaudoise ou hussite, sont mal connues des réformés, des théologiens du XVIe siècle. Y compris pour des problèmes de langue quelques fois, sauf évidemment lorsque les livres ont été écrits en latin. Mais l’idée n’est pas tellement pour eux de vérifier la réalité de chacun des systèmes théologiques, mais c’est de se persuader que, puisque tous ces groupes ont été de la même manière dénoncés comme hérétiques par la grande Eglise officielle, persécutés successivement, ils avaient tous la même vérité, c’est-à-dire tout simplement l’évangile. Après il y a vraiment des ignorances caractérisées. Par exemple, je crois qu’on peut dire que les réformés du XVIe siècle n’ont rien compris au catharisme. Du reste, il reste difficile de comprendre le catharisme. Mais ils les ont désignés comme ancêtres théologiques alors que je pense que sur le plan théologique, les proximités sont plus fortes avec les vaudois et avec les hussites. »

Au moment de la révocation de l’édit de Nantes, via l’édit de Fontainebleau en 1685, des centaines de milliers de protestants fuient la France. Certains se réfugient-ils en Bohême, peut-être avec l’idée que ces pays tchèques ont par le passé accueilli un mouvement « pré-réformateur » ?

La fuite des huguenots
« Non, il n’y a pas de refuge huguenot dans les pays tchèques. Au moment de la révocation de l’édit de Nantes, les protestants français, les huguenots donc, qui fuient, s’installent systématiquement dans les Etats protestants. Que ce soit Genève et les villes suisses, que ce soit le monde germanique ou hollandais, britannique, écossais, un peu scandinave. Au moment de la révocation de l’édit de Nantes, la Bohême n’est plus que l’un des espaces d’un Etat les plus catholiques qui soient, l’Autriche. Cela suffit à faire qu’il n’y ait aucune direction d’immigration vers Prague. Là, l’idée qu’entre les hussites et les huguenots, il y a une filiation, n’est pas suffisante pour transformer le refuge huguenot en une filière géographique qui irait vers la Bohême. Ils cherchent vraiment les Etats protestants où ils sont sûrs de nouvelles persécutions politiques. L’Autriche évidemment ne pouvait pas à l’époque leur offrir une garantie de cette sorte. »