Le Requiem de Terezin
L'année 1944 dans le camp de concentration de Terezin en Bohême. Pour la majorité écrasante des prisonniers du camp, dont la majorité sont juifs, c'est l'avant-dernière station de leur calvaire avant le terminus, la déportation à Auschwitz. Mais c'est aussi un camp au régime étrangement libéral servant aux nazis à cacher au monde l'horreur des camps d'extermination. Les prisonniers, tels des figurants dans une farce atroce, y jouissent d'un simulacre de liberté, ils peuvent s'adonner aux arts et à la musique. Comme il y a parmi eux beaucoup d'excellents artistes, ils créent souvent de véritables chefs-d'oeuvre. Et c'est dans ces circonstances, avec les moyens d'un camp de concentration, que le chef d'orchestre Rafael Schächter décide de monter à Terezin le Requiem de Verdi, une oeuvre immense et très difficile à exécuter. Après la guerre, son aventure vertigineuse sera racontée dans un livre par un ancien prisonnier du camp, Josef Bor. Et plus d'un demi-siècle plus tard, on lira encore, souffle coupé, ce récit dans lequel la musique s'affronte avec la mort.
Votre maison d'édition n'a été créée que tout a fait récemment. Vous n'avez publié que deux livres dont l'un est justement le Requiem de Terezin. On dirait que vous n'avez fondé votre maison d'édition que pour publier ce livre exceptionnel. Pourquoi un tel engouement?
"Tout d'abord je dois préciser qu'on va en publier d'autres. Il y en a un qui va être publié début décembre. Nous avons un tel engouement pour ce texte parce que, d'abord, je trouve que ce rapprochement entre le chef d'orchestre Schächter, la musique et le camp de Terezin à proprement parler est une chose symbolique d'une force incroyable. Les répétitions du Requiem de Verdi dans le camp se succèdent pour une seule et unique représentation. Les musiciens sont là malgré tout, malgré les convois qui partent, et les difficultés qu'on imagine dans un camp de concentration. Et que reste-t-il? C'est la musique malgré tout. Deuxièmement, c'est un texte qui, comme beaucoup d'autres, avait disparu et est épuisé depuis de nombreuses années. Il a été édité en 1965 par Robert Laffont, il a vécu une vie qui n'a pas été d'une longueur extraordinaire, et puis il a disparu dans les archives de cette maison d'édition. Et je trouvais que c'est un texte qui méritait d'être mis de nouveau à la disposition des lecteurs."
Quel est le genre de ce livre? Est-ce un document historique, un témoignage, un reportage, un roman? Les personnages de cette histoire ont-ils été des personnes réelles?
"Oui, pour la plupart. Josef Bor était donc à Terezin, Schächter a vraiment existé, et certains personnages dont les noms ont été modifiés par l'auteur ont aussi existé, notamment ceux de l'administration nazie. Comment vous répondre? C'est un roman inspiré de l'histoire. Et Josef Bord, qui, lui, a été ensuite transféré à Auchwitz, dont il a été libéré, a fini par retourner à Prague. Au bout de quelques années, il a décidé d'écrire ce roman-récit. Josef Bor avait perdu toute sa famille et il a refait sa vie à Prague où il a passé la fin de ses jours. Je ne sais pas vraiment comment définir ce livre. Pour le moment, nous le présentons comme le roman inspiré d'un fait historique."
Le Requiem - la Messe des morts mobilise littéralement les prisonniers du camp et insuffle une énergie incroyable au chef d'orchestre Rafael Schächter. A plusieurs reprises, il trouve parmi les prisonniers des chanteurs et des instrumentistes qu'il amène presque à la perfection à force de répéter avec eux, et à plusieurs reprises son oeuvre s'effondre juste avant l'achèvement parce que ses artistes partent pour Auschwitz. Mais malgré les crises de découragement, il ne rendra pas les armes et finira par transformer la messe des morts en un appel à la vie.
Qui était Rafael Schächter, le personnage principal du livre?
"C'était un chef d'orchestre qui s'est retrouvé à Terezin, une sorte de vitrine culturelle pour les nazis. C'était un camp très spécifique situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Prague où il y avait une vie culturelle très intense, et Schächter, comme de nombreux autres musiciens, s'est retrouvé là. Beaucoup de gens de théâtre se sont retrouvés aussi à Terezin. Il y a eu, de sa part, cette décision de monter le Requiem de Verdi, donc une oeuvre catholique qu'il voulait faire interpréter par les prisonniers juifs pour une seule et unique représentation devant Eichmann, quand même. Le livre raconte cette décision de Schächter et ensuite toutes les répétitions avec toutes les difficultés que l'on imagine, d'abord concernant les chanteurs, le choeur, les instruments. Certains étaient dans le camp, il a fallu qu'il en fasse entrer d'autres plus ou moins avec l'accord de l'administration nazie. Tout cela est très intéressant parce que très ambigu. Les rapports entre ce chef d'orchestre et la hiérarchie nazie passent par la musique pour aboutir à ce concert unique, et ce livre est témoin, à mon sens, bouleversant à ce titre-là. "
C'est aussi un paradoxe parce que les prisonniers du camp de Terezin déploient toutes leurs forces pour pouvoir exécuter le Requiem de Verdi et ils contribuent ainsi à créer une illusion qui permettrait à leurs bourreaux nazis de masquer leur brutalité. On se demande donc s'il ne valait pas mieux ne pas participer à cette illusion."Je ne crois pas que ce soit une illusion, en tout cas, pour moi, ce n'est pas ainsi que je l'ai interprété, mais plutôt une lutte ultime et unique. Ils étaient tous artistes et leur seule arme face à la barbarie à laquelle ils étaient confrontés était leur art. Et Schächter leur a proposé, leur a offert cette possibilité de résister par ce biais-là."