Le Sentier d'or
Depuis les temps immémoriaux, le continent européen est sillonné par des routes commerciales qu'empruntaient des caravanes et des voitures à cheval, chargées de marchandises variées. L'un des principaux croisements de ces routes était représenté par les pays de la Couronne de Bohême. La plupart des routes se terminaient à Prague, d'autres continuaient vers le Nord et vers l'Est. L'une des plus anciennes voies de ce genre était appelée le Sentier d'or. Elle était courte, mais d'une importance capitale pour la vie du pays. Menant de Salzkammergut à la frontière bavaro-autrichienne à Prachatice, en Bohême du sud, elle ne servait pourtant pas au transport de l'or, comme on pourrait le déduire de son nom, mais à celui du sel, substance que l'on n'extrayait nulle part dans les pays tchèques. Cet été, on a renouvelé la tradition des fêtes, durant lesquelles les intéressés peuvent faire le trajet du Sentier d'or, de Passau à Prachatice, environ 50 kilomètres. Je vous invite donc à participer à cette balade.
A l'origine, le Sentier d'or n'était qu'un chemin étroit, bon tout juste pour être emprunté par des bêtes de somme, mais avec le développement du commerce, on l'a élargie pour que les voitures à cheval puissent y passer, également. Vers la fin du XVIe siècle, le commerce du sel était aux mains des évêques de Passau, qui profitaient de ce privilège pour accumuler des richesses fabuleuses. Mais revenons plusieurs siècles en arrière, et suivons le chemin des caravanes. Chargés de tonneaux de sel, des groupes de bêtes de somme quittaient Salzkammergut, encore la nuit. A l'aube, elles franchissaient les profondes forêts du massif de la Sumava pour être accueillies dans les pays tchèques, au son des cornes d'appel retentissant, du haut de la tour du château féodal de Kunzvart. Les caravanes n'avançaient que très lentement, car les bêtes et les voitures s'enfonçaient, souvent, dans la boue. Lors d'accidents semblables, les cris des charretiers, répercutés par les échos, se perdaient dans les collines lointaines. Le premier relais, dans ce terrain illégal et pierreux, était au village de Ceske Zleby. Mais les chevaux abreuvés à peine, on se remettait, tout de suite, en route car, il fallait arriver à la commune de Volary, avant la fin de la journée, pour y passer la nuit. A Volary, les caravanes étaient déjà impatiemment attendues par les habitants qui demandaient non seulement du sel, mais aussi des nouvelles du monde. Toutefois, l'agitation ne durait pas longtemps, car à l'aube il fallait poursuivre la marche fatiguante, jusqu'au terminus - Prachatice.
Pour l'emmagasinage du sel, on a construit, sur la Grande place de Prachatice, un dépôt de sel qui s'est conservé jusqu'à nos jours. Il abrite l'hôtel qui porte le nom de Zlata stezka, le Sentier d'or. La ville de Prachatice avait, non seulement le privilège de stocker le sel, mais aussi de le vendre. Grâce à ce monopole de commerce en gros, Prachatice est devenue une ville très riche. En 1593, cette richesse lui a permis d'acheter une partie des biens des seigneurs de Rozmberk, qui possédaient de vastes domaines, en Bohême du sud. De nos jours, beaucoup de constructions témoignent de l'âge d'or de la ville de Prachatice: l'hôtel de ville, et sa riche décoration en sgraffite avec des scènes reproduisant des motifs bibliques et antiques, des maisons bourgeoises entourant la place principale, dont Rumpalovsky dum avec de jolies arcades, le palais princier, construit par les Rozmberk, en 1572, et bien d'autres.
Pour Prachatice, il ne fut pas du tout facile d'obtenir le monopole du commerce du sel. Elle avait un concurrent sérieux dans la ville de Vimperk, toute proche, où se terminait un embranchement du Sentier d'or, et dont le dépôt de sel était encore plus ancien que celui de Prachatice. Un différend de longue durée naquit entre les deux rivaux. En se prononçant en faveur de Prachatice, c'est le roi Venceslas IV qui a fini par mettre un terme à ce conflit. Une grande victoire, si l'on prend en considération que les livraisons de ce produit de première nécessité se montaient à 1200 tonneaux par semaine. Prachatice ne devait pas, pourtant, jouir longtemps de ce monopole. Après la défaite de la révolte des états, en 1620, aux côtés desquels combattaient, aussi, les habitants de la ville de Prachatice, les biens de celle-ci ont été confisqués, et le roi lui a enlevé tous les privilèges dont elle bénéficiait, dans le commerce du sel. La ville perd sa position de ville privilégiée et s'appauvrit, peu à peu. Le sel de Salzbourg est importé par Linz.
L'appellation Sentier d'or n'est pas attestée, dans les documents historiques. Selon une version, la route a pris ce nom grâce à l'or que l'on lavait, alors, dans les rivières Otava, Volynka et Blatnice. Ces temps à jamais révolus se sont conservés dans des tas de sable et de gravillons lavés que l'on appelle « sejpy », et qui s'étendent, souvent, en plusieurs rangées, le long des cours d'eau. D'après une autre version, l'appellation Sentier d'or doit être prise au figuré, car à l'époque le sel valait son pesant d'or.