Le stade de Strahov, un patrimoine délabré et témoin d’une époque

Le stade de Strahov

Vous l’ignoriez-peut-être, mais l’un des plus grands stades au monde se trouve tout près du centre de Prague ! Situé dans le quartier de Strahov, le stade du même nom a accueilli les spartakiades, ces rassemblements sportifs de masse pratiqués sous le régime communiste, un concert des Rolling Stones au lendemain de la révolution de Velours, ou encore le pape Jean-Paul II. Mais l’histoire du stade de Strahov est surtout liée à celle du mouvement sportif, éducatif et culturel Sokol, dont les membres du monde entier se sont réunis cette semaine à Prague. On vous fait visiter cet endroit emblématique du sport tchèque, au sort incertain….

Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

Classé monument national en 2003, l’immense stade contient en lui-même neuf terrains sportifs : pour la majorité des terrains de football où s’entraînent les joueurs du Sparta. L’ONG Open House Praha organise régulièrement des visites guidées dans ce stade, dont les grandes tribunes en béton armé sont aujourd’hui délabrées et risquent de fermer au grand public.

Avec le guide Michal Šedivý, nous nous trouvons sur la tribune ouest, la mieux entretenue et doté d’un toit, d’où les présidents tchécoslovaques suivaient le déroulement des exercices sportifs collectifs, des Sokols d’abord, puis des participants aux spartakiades.

Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

« En 1925, la ville de Prague a loué à l’Etat tchécoslovaque pour 80 ans les terrains situés ici sur la colline de Strahov. En une seule année, la jeune République tchécoslovaque a construit les premières installations en bois, soit un stade encore provisoire qui a accueilli, en 1926, le VIIIe grand rassemblement du Sokol, en présence du président T. G. Masaryk. »

Mouvement gymnique et patriotique tchèque fondé en 1862, le Sokol a également joué un rôle politique, en participant à la fondation de l’Etat tchécoslovaque en 1918 via l’engagement de nombre de ses membres du côté des Alliés pendant la Grande Guerre. De plus en plus populaire, ce mouvement sportif qui représentait en quelque sorte la jeune Tchécoslovaquie ne pouvait plus convoquer ses membres de tous les coins du pays sur l’esplanade pragoise de Letná, faute de place. D’où la décision des autorités tchécoslovaques de construire un grand stade à Strahov.

« Après le rassemblement du Sokol en 1926, le site sportif de Strahov s’est rapidement développé », raconte Michal Šedivý. « Ici où nous nous trouvons, dans la partie ouest, cette tribune fonctionnaliste a été construite en l’espace de six ans. De chaque côté de la tribune se trouve une tour de six étages. La tribune et ses tours n’ont pas été remaniées depuis. »

Photo: „Fotolegie“ Praha 1926 / Wikimedia Commons,  public domain

D’autres tribunes en métal-béton ont été construites des côtés nord et sud jusqu’à la fin des années 1940, tandis que l’aile orientale, avec une piscine et une salle de gymnastique, a été bâtie dans les années 1960 et 1970.

Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

On y trouve également des studios de la maison de disque tchèque Supraphon, où, dès les années soixante, les stars de l’époque comme Eva Pilarová, Waldemar Matuška et Karel Gott enregistraient leurs chansons. Tout en haut de la tribune se trouve une construction entièrement en verre conçue dans le style de l’EXPO 58 de Bruxelles : un espace destiné entre autres aux journalistes et qui offre une vue magnifique sur le stade, sur la cité universitaire qui fait partie du complexe sportif et sur Prague…

Exemple de presque tous les styles architecturaux du XXe siècle, le stade de Strahov est aussi le témoin de son temps.

Le plus grand événement d'avant-guerre du Sokol est devenu le Xe rassemblement Sokol en juillet 1938 | Photo: VHÚ

« En 1938, le rassemblement du Sokol à Strahov s’est transformé en une manifestation contre le régime nazi qui menaçait la Tchécoslovaquie », explique Michal Šedivý. « Ensuite, à l’époque du Protectorat de Bohême-Moravie, des parades militaires ont été organisées ici et les nazis rassemblaient aussi sur le stade les Juifs avant de les envoyer dans des camps de concentration. Pareil après la Libération : les Tchèques rassemblaient à Strahov les Allemands qui allaient être expulsés du pays. En 1948, quelques mois après la prise du pouvoir par les communistes, les Sokols ont à nouveau manifesté leur désaccord. Pendant leur rassemblement à Strahov, ils ont tourné le dos au président communiste Klement Gottwald qui était sur la tribune. On voit bien sur les photos qu’il l’a très mal pris… Tout comme les nazis, les communistes ont alors dissous le mouvement Sokol. Quelques années plus tard, en 1955, un autre président communiste, Antonín Zápotocký, est monté sur la tribune, mais c’était déjà pour saluer des centaines de milliers de participants à la spartakiade. »

En 1938,  le Xe rassemblement du Sokol  | Photo: VHÚ

Précisément 1,7 millions de personnes ont participé à cette première spartakiade sur le stade de Strahov. Des gymnastes de tous les âges venus de tous les coins du pays effectuaient alors des chorégraphies étudiées au millimètre près et symbolisant l’unité et la bonne santé des forces vives de la Tchécoslovaquie communiste.

Avec Michal Šedivý, nous entrons dans le salon présidentiel qui donne sur la tribune ouest du stade :

Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague International

« Le salon est resté tel qu’il était dans les années 1980, à l’époque du dernier président communiste Gustáv Husák. C’est ici qu’il accueillait les hôtes prestigieux, tel que par exemple le président du Comité olympique international Juan Antonio Samaranch qui a été bien sûr plus ovationné que Husák, comme s’en souviennent les témoins de l’époque. Lors des visites du stade, je rencontre beaucoup de gens qui ont participé aux spartakiades organisées tous les cinq ans et ils en ont gardé de très bons souvenirs. A l’époque, c’était vraiment des périodes exceptionnelles, pendant lesquelles on pouvait par exemple acheter à Strahov des produits habituellement introuvables sur le marché, comme des fruits exotiques. Une femme m’a raconté qu’elle avait revendu ici des tampons hygiéniques qu’elle avait acquis je ne sais comment. Et elle a gagné beaucoup d’agent ! On peut voir ici toujours les anciens kiosques. »

Spartakiade 1985,  Poupata | Photo: ČT

« Pendant la dernière spartakiade de 1985, il y avait tant de monde que les bus passaient toutes les six secondes, vous imaginez ? Pour organiser les exercices, on a dû installer sur toutes les tribunes des haut-parleurs qui sont d’ailleurs toujours-là. Les spartakiades étaient organisées fin juin et les enfants pragois avaient des vacances d’été plus longues, parce qu’il fallait héberger les gymnastes dans les écoles. Et bien sûr, le taux de natalité était toujours plus élevé l’année suivante en Tchécoslovaquie, c’est un fait connu. Je dois dire que les spartakiades étaient un excellent coup marketing des communistes. Ils en profitent toujours, car les Tchèques s’en souviennent avec beaucoup de nostalgie. »

250 000 personnes sur les tribunes et plus de 30 000 gymnastes sur le terrain : aujourd’hui, le stade de Strahov n’arrive plus à renouer avec son passé glorieux. Les Sokols se réunissent au stade d’Eden, dans le quartier de Vršovice, et le Sparta Prague qui a, certes, aménagé un centre d’entraînement à Strahov songe à construire un tout nouveau stade à proximité. Plusieurs projets ont vu le jour, visant à transformer le vieux stade en un complexe sportif ou même culturel ou scientifique destiné au grand public, mais à ce jour, aucun d’entre eux n’a abouti.

Ce repotage a été réalisé en collaboration avec l'organisation Open House Praha.

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