Le système électoral tchèque ne favorise pas la participation des étrangers
A l’approche des élections au Parlement européen, le droit de vote des étrangers, souvent ignoré du débat public tchèque, est un peu plus évoqué que d’habitude. En témoigne notamment le programme de la conférence organisée à Brno le 23 avril prochain sur le sujet. Directeur de l’Organisation d’aide aux réfugiés (Organizace pro pomoc uprchlíkům, OPU), une ONG créée en 1991, Martin Rozumek est un des invités de la conférence. En amont de cet événement, il a évoqué la question de la participation politique des étrangers au micro de Radio Prague.
Cette distinction est importante, car les deux groupes ont des statuts tout à fait différents. Les citoyens européens bénéficient du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales et au Parlement européen (comme Radio Prague en a informé récemment : http://radio.cz/fr/rubrique/faits/europeennes-les-citoyens-de-lue-peuvent-voter-en-republique-tcheque). Il faut néanmoins remplir certaines conditions. A la lumière de la très faible participation aux élections européennes (seules 318 personnes se sont déplacées dans les bureaux de vote tchèques en 2009), la question de la complexité de la procédure administrative peut se poser. Martin Rozumek réagit :
« Je ne pense pas que les conditions pour pouvoir voter aux élections européennes et municipales soient trop compliquées à remplir. Je dirais plutôt que le problème réside dans le fait que notre système électoral est très fermé. C’est-à-dire qu’il n’est pas ouvert à des modes d’élection un peu innovateurs ou progressistes, comme le vote des étrangers, le vote à distance ou le vote par internet. A mon sens, cette fermeture du système électoral reflète la crainte des politiciens par rapport à certains groupes d’électeurs, qu’il s’agisse des jeunes susceptibles de voter en ligne ou des ressortissants européens qui pourraient influencer le résultat. »C’est un fait, le système électoral tchèque n’est pas particulièrement flexible. A la différence de treize Etats européens, parmi lesquels l’Allemagne et la Belgique, il n’est ainsi pas possible en République tchèque de voter par voie postale. Contrairement à ce qui se fait en France, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, il n’est pas non plus possible de voter par procuration. Enfin, à la différence de seize autres Etats européens, les Tchèques ne peuvent pas non plus voter dans leurs ambassades à l’étranger pour les listes nationales aux élections européennes. Quant à l’« e-voting », ou le vote électronique, il est pour le moment mis en place uniquement en Estonie.
Outre les citoyens européens, les ressortissants des Etats tiers n’ont pas de droit de vote en République tchèque, et ce même s’ils ont déjà obtenu un permis de séjour permanent. Par ailleurs, la loi de 1991 interdit l’adhésion des étrangers aux partis politiques, qu’ils soient ressortissants européens ou non. Malgré le droit d’éligibilité de ces derniers, cette interdiction peut constituer une entrave à leur volonté de se porter candidat, chose peu évidente sans affiliation partisane.
Si certains pays de l’UE ont déjà étendu le droit de vote, dans des modalités diverses, à tous les résidents étrangers, et d’autres en débattent, comme c’était le cas en France, une telle option ne semble pas être à l’ordre du jour en République tchèque. Pourtant, Martin Rozumek précise que le vote des étrangers ne redessinerait pas la carte politique du pays :« Selon nos statistiques relatives à la proportion des résidents étrangers dans les communes, il y a seulement 89 communes où les étrangers représentent plus de 5% de la population, et dans seulement dans vingt-deux cas, ils constituent plus de 10% de la population. En résumé, dans 3,5% de communes tchèques, le nombre d’étrangers dépasse les 5%. »
Si les résidents permanents n’ont pas de droit de vote aux élections municipales, quelle que soit la durée de leur séjour, acquérir la citoyenneté tchèque n’est pas non plus une démarche simple :
« En République tchèque, il est très compliqué d’obtenir la citoyenneté. En Europe occidentale, les étrangers ont soit le droit de vote afin de pouvoir participer à la vie publique, soit ils peuvent plus rapidement acquérir la citoyenneté du pays. A titre de comparaison, en Suède, un résident peut demander la citoyenneté après trois ans de séjour permanent. Après la procédure dure un an et elle est relativement difficile, mais il n’empêche qu’au bout de quatre ans, un étranger peut devenir un citoyen suédois. En République tchèque, nous demandons cinq ans de résidence de longue durée, ensuite cinq ans de séjour permanent. Après dix ans, la personne a le droit de demander la citoyenneté qu’il n’est pas sûr d’obtenir. Ainsi, il y a des gens qui vivent dans des villes et villages tchèques depuis quinze ou dix-sept ans et qui voudraient participer à la vie politique locale, mais ne peuvent pas. Dans ce sens, la République tchèque a une attitude très restrictive à leur égard, car non seulement elle ne donne pas le droit de vote aux étrangers, mais elle ne permet pas non plus une acquisition rapide de la citoyenneté. »
Selon les statistiques d’Eurostat, parmi les pays de l’UE, la République tchèque fait partie de ceux qui octroient le moins la nationalité. En 2011 et 2012, cela a concerné très précisément 1 653 et 1 771 personnes. De plus, jusqu’à récemment encore, l’acquisition de la nationalité tchèque impliquait également de renoncer à sa nationalité d’origine. Néanmoins, la loi entrée en vigueur le 1er janvier dernier permet désormais le cumul de nationalités, en conséquence de quoi le nombre de demandes a considérablement augmenté depuis le début de l’année.Pour permettre la participation politique des étrangers, la République tchèque pourrait s’inspirer des expériences européennes. D’ailleurs, Martin Rozumek est bien placé pour dresser une telle comparaison, car l’OPU participe à un projet qui réunit douze Etats européens et explore la participation des étrangers à la vie publique. Il développe :
« La Slovaquie a accordé le droit de vote aux ressortissants des pays tiers pour les élections municipales. Elle a été suivie par la Hongrie. Il faut noter qu’à peu près la moitié des Etats membres de l’UE permettent le vote des étrangers, mais rappelons surtout les pays qui nous sont proches – la Slovaquie, la Hongrie ou encore la Lituanie. »
L’index européen des politiques d’intégration (MIPEX), une base de données régulièrement actualisée (élaborée par le British Council et le Migration Policy Group), classe la République tchèque à l’avant-dernière place de tous les Etats membres de l’UE dans la catégorie de la participation politique. Selon Martin Rozumek, ce qui a sauvé la République tchèque de la dernière place est le droit accordé aux étrangers de fonder des médias. Il souligne par ailleurs que la participation politique ne se résume pas au vote :
« Dans le projet qui inclut les douze Etats européens et qui porte sur la participation politique des étrangers, nous divisons celle-ci en trois sous-catégories qui sont toutes très importantes – le droit de vote, la représentation dans les organes consultatifs locaux ou nationaux et la représentation de leurs intérêts à travers différentes associations pour que les étrangers puissent communiquer leurs avis et leurs besoins au public. »
Si la question de la participation aux élections locales est parfois source de controverses, l’idée selon laquelle les étrangers devraient pouvoir voter aux élections nationales semble relever de la science-fiction, du moins en République tchèque. Martin Rozumek conclut sur ce point :« Un grand nombre de pays ne permettent pas aux étrangers de voter aux parlements nationaux. Selon leur logique, seuls les citoyens ayant confirmé leur niveau d’intégration par l’obtention de la citoyenneté devraient avoir ce droit. Mais certains Etats, comme l’Irlande, ont accepté le vote aux élections nationales des étrangers résidents permanents. Je suis d’accord avec cette deuxième optique, car je trouve que la participation à la vie publique est importante pour l’intégration dans un pays. Il me semble que la République tchèque est devenue maître dans l’art de ne pas participer et de tenir les étrangers à l’écart. »
L’analyse de Martin Rozumek, directeur de l’OPU, invite effectivement à se poser des questions sur l’opportunité des politiques dirigées envers les étrangers en République tchèque. Selon lui, ces politiques ont pour conséquence un manque d’identification de certains étrangers à la République tchèque, couplé à un manque d’intérêt pour les affaires publiques. Des communautés entières peuvent ainsi vivre à côté les unes des autres, ce qui complique la cohésion sociale de l’ensemble des habitants.