Le tsunami sur l’échiquier politique tchèque

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La crise gouvernementale qui secoue le pays depuis plus de dix jours est naturellement le thème numéro un de l’ensemble des médias nationaux. Journalistes, politologues, psychologues analysent une situation qui semble dépasser le cadre des habituels désaccords qui peuvent apparaître au sein d’une coalition gouvernementale et qui en dit long, aussi, sur la donne politique et sur le climat au sein de la société tchèque. Une situation qui risque de mettre en cause la crédibilité de tout le système politique et de ses élites aux yeux du public... Les médias ont également consacré une large place au rappel du vol de Youri Gagarine dans l’espace, donnant à cette occasion la parole au premier astronaute tchèque, Vladimír Remek...

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« Le gouvernement de Petr Nečas n’existe plus, qu’il se maintienne ou pas et quelles que soient les conditions. En tout cas, ce ne sera plus le même gouvernement », peut-on lire dans l’éditorial de l’hebdomadaire Respekt… « Pour les uns, c’était un gouvernement appelé à sauver par des réformes le pays de la banqueroute et d’un scénario à la grecque, pour d’autres en revanche un gouvernement avec lequel toute l’économie risquait d’être dévastée : quoi qu’il en soit, le cabinet Nečas a cessé de facto d’exister », renchérissait ce jeudi le serveur Aktualne.cz.

La désagrégation de la coalition gouvernementale composée de trois partis se déclarant de droite – Parti civique démocrate (ODS), Top 09 et Affaires publiques (VV) -, a été déclenchée par les révélations concernant des dons en liquide du ministre des Transports sortant Vít Bárta (VV) à plusieurs membres de son parti, dont il est le fondateur. La démission des trois ministres Affaires publiques, qui avait fait de la lutte contre la corruption le principal leitmotif de leur campagne électorale, a ensuite été proposée au président de la République par le Premier ministre.

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Accusations mutuelles, dénonciations, mystifications, enregistrement secret... Autant de signes accompagnant la bataille politique et la crise qui sévit dès lors sur l’échiquier politique tchèque, et qui, selon l’édition de jeudi du quotidien Lidové noviny, « a pris des dimensions monstrueuses ». Dans un des ses éditoriaux, nous avons pu lire :

« Pendant de longues années, la société tchèque a été prête à tolérer la corruption dans la politique et la discrédiation des adversaires dans les médias. Tandis que dans le passé, nous n’en avons connu que des fragments, aujourd’hui nous pouvons tout voir pratiquement en différé. Tout a commencé lentement, pas à pas, comme une grippe mal guérie. Mais au fur et à mesure, l’infection a atteint tout l’organisme pour paralyser la vie du malade. »

Petr Moos est psychologue. Il n’est pas le seul à prétendre que ce n’est plus, et depuis longtemps, le programme qui compte dans la haute politique. A son sens, ce sont les liens économiques et l’argent qui prévalent. Il écrit dans le même journal:

« Nous avons affaire à une nouvelle postdémocratie néolibérale où il ne s’agit plus de voir concourir des partis politiques, mais d’assister à une compétition d’influences économiques. Il n’y a plus de compétitions de visions politiques, idéologiques ou de valeurs entre hommes politiques, car elles ont été remplacées par celles entre des groupes invisibles de lobbistes qui défendent leurs intérêts privés dans l’espace publique. On a des institutions et des structures démocratiques, il est vrai, mais la démocratie en tant que façon de penser et de développer la culture de la société fait défaut. »

Dans le quotidien Hospodářské noviny, Jindřich Šídlo réfléchit sur la menace d’élections anticipées qui seraient pour lui une ultime alternative qu’il vaudrait mieux éviter. Il explique :

Jindřich Šídlo
« Les élections anticipées sont un instrument servant à des situations tout à fait particulières... Le principal problème de notre scène politique, c’est l’opiniâtreté idéologique. Le Parti civique démocrate (ODS) et le Parti social-démocrate (CSSD) prétendent ne pas pouvoir gouverner ensemble. Pourtant, cela se passe tant bien que mal dans quatre grandes villes, ainsi qu’au niveau régional... En cas de chute de ce gouvernement, point n’est besoin de précipiter les gens aux urnes. On devrait plutôt former un nouveau gouvernement majoritaire avec la participation des sociaux-démocrates. Les réformes se verraient ainsi un peu modifiées, il est vrai, mais ce n’est pas une tragédie car elles auraient au moins la chance de survivre, même avec l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle garniture de dirigeants. »

Cette logique est soutenue également dans un article rédigé par le jeune économe Tomáš Sedláček, qui écrit entre autres :

Tomáš Sedláček
« Chaque réforme de longue haleine devrait être préparée dans une perspective à long terme. Pour y arriver, il faut trouver non seulement un consensus gouvernemental, mais aussi un consensus avec l’opposition. L’important est de se mettre d’accord sur le système en tant que tel, de mettre sur pied une bonne réforme, laissant un espace de manœuvres à d’éventuelle modifications partielles... »

Pareille voix s’est fait entendre, aussi, dans le camp de l’ODS. Vendredi, Pavel Blažek, son vice-président, a déclaré pour le quotidien Právo :

Pavel Blažek
« Je pense que le temps est venu pour que les partis démocratiques, et ils ne sont d’après ma profonde conviction que trois au Parlement – l’ODS, TOP 09 et le CSSD -, commencent à communiquer pour chercher une issue à la situation actuelle, dont nous sommes les témoins... Il faut trouver une majorité parlementaire capable de se mettre d’accord sur les principales tâches que nous devons affronter. »

D’après lui, il est inadmissible de « permettre désormais aux structures telles que représente le parti Affaires publiques de se maintenir au niveau gouvernemental. »


A l’occasion du 50e anniversaire du vol de Youri Gagarine dans le cosmos, le quotidien Lidové noviny a publié un entretien avec le premier et l’unique astronaute tchèque, Vladimír Remek, qui est aujourd’hui eurodéputé sous les couleurs du parti communiste. Celui-ci a notamment évoqué le moment où il a appris le vol de l’astronaute soviétique :

« J’avais à l’époque treize ans et j’étais en septième classe à l’école. Le jour J, on a interrompu la classe pour nous annoncer la nouvelle diffusée par la radio. Je dois dire que pour moi, c’était un événement magique. J’ai pensé que le vol de Youri Gagarine était tellement important pour l’humanité que la planète entière allait arrêter de tourner. Bien sûr, rien de tel ne s’est passé, mais pour moi, c’était une immense impulsion, car, déjà à l’époque, le cosmos était au coeur de mon intérêt. »

Vladimír Remek a vécu son expérience cosmique en 1978, en commun avec l’astronaute Alexeï Goubarev, donc dix-sept après Youri Gagarine. Il explique en quoi son exploit différait de ce premier vol :

Vladimír Remek et Alexeï Goubarev
« Techniquement parlant, c’était très différent. Le but du vol de Gagarine a été beaucoup plus simple, il s’agissait de montrer que l’homme était à même de faire un tour de la Terre, qu’il était capable de manipuler les équipements dont il disposait. Notre objectif consistait à rejoindre une station spatiale habitée, à accomplir différentes expériences scientifiques et, finalement, à s’en déconnecter pour atterir. Par ailleurs, l’atterrissage exigeait un équipement technique très différent de celui de Gagarine. Mais il y a encore beaucop d’autres différences techniques. »

Au sujet des secrets qui enveloppaient le vol de Gagarine – par exemple le rapport officiel n’a été publié qu’à l’issue de son atterrissage - Vladimír Remek a dit :

« On peut laisser libre cours à toutes sortes de spéculations... D’ailleurs les deux parties rivales, les Américains et les Soviétiques, avaient à l’époque l’habitude de couvrir leurs projets spatiaux de brouillard... Il se peut aussi que l’on ait agi ainsi par prudence, par superstition... Mais toutes ces rumeurs et toutes ces réflexions, je les trouve superflues. Ce qui compte, c’est que dans l’Histoire, Youri Gagarine est inscrit comme le premier homme ayant effectué un vol dans l’espace. »