Lech Walesa à Prague : « Demain, j’espère que la logique l’emportera »

Lech Walesa, photo: ČTK/Michal Krumphanzl

Lech Walesa était un des principaux invités de l’édition 2019 du Forum 2000, qui s’est achevée mardi soir à Prague. A l’occasion du 30e anniversaire de la chute des régimes communistes en Europe centrale, l’ancien président polonais et leader du mouvement de contestation Solidarnosc s’est exprimé sur un ton essentiellement pessimiste lors cette grande conférence initiée par Václav Havel et dont le thème, cette année, était « Comment retrouver les promesses de 1989 ».

Lech Walesa,  photo: ČTK/Michal Krumphanzl

Malgré l’absence de dernière minute, pour raison de santé, de la nouvelle président slovaque Zuzana Čaputová, les personnalités qui ont répondu présent au rendez-vous de la 23e édition de ce Forum 2000, ont été très nombreuses cette année encore. Du patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée 1er à la militante yéménite Tawakkol Karman, ancien prix Nobel de la paix, en passant par l’actuel président du gouvernement tibétain en exil Lobsang Sangay, la Première ministre moldave Maia Sandu et bien d’autres encore, tous sont venus à Prague pour exprimer à leur manière leur attachement aux valeurs prônées par l’ancien président-philosophe tchèque Václav Havel. C’est lui qui, en 1997, avait été à l’origine de la création de cette conférence qui, depuis, traite traditionnellement de thèmes en lien avec la démocratie, les droits de l’Homme, la société civile ou la sécurité dans le monde.

Mais en cette année 2019 anniversaire, c’est bien Lech Walesa qui était une des principales têtes d’affiche de ce Forum. Malgré son image ternie en Pologne en raison notamment d’accusations de collaboration avec l’ancienne police politique communiste, l’ancien grand meneur de grèves reste, avec le pape Jean-Paul II, le Polonais le plus connu dans le monde et une figure emblématique de la lutte pour la liberté et la démocratie en Europe de l’Est dans les années 1980, au même titre précisément qu’un Václav Havel en Tchécoslovaquie. Interrogé par la Télévision tchèque sur le sujet mardi, Lech Walesa n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler son action commune avec ce dernier :

« Nous étions bien conscients à l’époque en Pologne que nous ne pourrions pas nous affranchir seuls du joug soviétique. Nous ne pouvions pas vaincre le communisme de Moscou sans solidarité. C’est pourquoi nous communiquions avec Havel et les dissidents, que ce soit en Tchécoslovaquie ou dans les autres pays. Nous échangions avec les gens qui étaient actifs dans l’opposition. Ce que nous voulions alors, c’était organiser l’Europe centrale et de l’Est. »

Forum 2000,  photo: ČTK/Michal Krumphanzl
Un peu plus de trente ans plus tard, Lech Walesa porte néanmoins un regard très critique sur l’évolution de la situation dans la région. Dans son discours prononcé à Prague, le premier président de la Pologne libre a constaté que le système des partis politiques divisés entre la droite et la gauche ne fonctionnait plus. Selon lui, les dirigeants politiques actuels ne sont pas en mesure d’apporter de réponses aux problèmes, incitant ainsi les électeurs à succomber aux promesses des populistes. La nouvelle victoire des conservateurs nationalistes du parti Droit et Justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski dimanche dernier aux législatives, constitue un très bon exemple de cette réalité :

« Après la révolution, le monde entier a cherché de nouvelles solutions, mais les politiciens ne savent pas les apporter quand cela est nécessaire. C’est ainsi que différents groupements politiques ont instauré leurs propres règles. Les dernières élections en Pologne sont un affront à la démocratie. Nous avons laissé les populistes et les démagogues les gagner. Sous le gouvernement précédent, alors qu’ils étaient déjà au pouvoir, ils ont donné aux gens tout ce qu’il était possible de donner. Et c’est comme ça qu’ils ont gagné les faveurs d’une foule d’électeurs. Ils vont donc désormais continuer de faire la même chose, avec les mêmes résultats. Nous aurons donc des problèmes quelques années encore. »

Lech Walesa s’est montré assez peu optimiste pour l’avenir. Il a affirmé s’être trompé en ayant cru aux principes de la démocratie, dont il pensait qu’elle apporterait rapidement de bonnes solutions. Or, admet-il, la démocratie, de par son fonctionnement, réclame du temps pour résoudre les problèmes et répondre aux défis des trente prochaines années :

« Le débat et les discussions se poursuivent pour déterminer à quoi la République tchèque et la Pologne doivent ressembler. Aussi pour répondre à la question de savoir quelle est notre place dans l’Europe, comment l’appréhender. Quels sont les thèmes que nous devons résoudre globalement pour ne pas détruire notre civilisation ? Aujourd’hui, vous pouvez organiser les gens mécontents, mais le prix que nous avons payé pour cela avant la révolution, a été très élevé. Cela nous a coûté très cher, et c’est pourquoi les populistes peuvent prétendre qu’ils auraient fait mieux. C’est ce qui leur permet de gagner. Mais demain, j’espère que la logique l’emportera. »

Un peu en somme comme Václav Havel espérait que l’amour et la vérité triomphent de la haine et du mensonge…