L’éland de Derby, une antilope sénégalaise protégée par une association tchèque
Depuis une quinzaine d’années, une association tchèque, Derbianus Conservation, lutte pour la protection et la conservation de l’éland de Derby, la plus grande antilope au monde, qui fait partie des espèces menacées. En coopération avec les autorités sénégalaises, l’équipe de jeunes femmes enthousiastes et passionnées, composée de scientifiques et d’étudiantes, mène de front missions sur le terrain, travail de recherche et sensibilisation du public, tchèque et sénégalais, à la question de la préservation des espèces en danger d’extinction. De manière plus générale, toutes les espèces menacées et leur degré de protection sont en quelque sorte un baromètre de notre capacité à prendre soin de notre environnement et de la planète. C’est en tout cas ce qui, entre autres, ressort de l’entretien qu’a accordé à Radio Prague, Pavla Hejcmanová, de l’association Derbianus Conservation.
« C’est la plus grande antilope du monde, la reine de la savane ouest-africaine, très timide, très gracieuse et en même temps en danger d’extinction. C’est vraiment une perle de la savane. L’éland de Derby a des couleurs brillantes et foncées mais naturelles, avec des rayures blanches. Et pourtant il est invisible dans la végétation d’Afrique. C’est une antilope très particulière parce que son écologie est très peu connue. Bien sûr, on connaît quelques bases mais en même temps cette antilope se comporte de manière différente par rapport aux autres antilopes. C’est une antilope qui broute les branches et les feuilles des plantes ligneuses. Concernant l’écologie de ces animaux, ce qui est très particulier, c’est la vie en solitaire, alors que cette antilope-ci, au contraire, vit dans de grands troupeaux, elle a une vie très sociale, elle est rarement seule. »
A combien s’élève la population de ces grandes antilopes, avez-vous un décompte actuel ?
« Cette antilope est divisée en deux sous-espèces qui habitent dans différentes régions, notre association s’occupe surtout de la sous-espèce occidentale qui est une espèce géographiquement très limitée, seulement pour le Sénégal. La seule population viable confirmée se trouve dans le parc national du Niokolo-Koba dans le sud-ouest du Sénégal. »
Et cette population-là, savez-vous à combien s’élève le nombre d’animaux ?
« C’est très difficile de déterminer la taille de la population actuelle, car pour le moment il n’y a pas de données qui puissent confirmer combien il en reste dans le parc. Dès le moment où les responsables du parc ont commencé à inventorier les animaux, la population semblait s’élever à 200, 400 individus. Dans les années 1990, il n’y a plus eu d’estimations. En 2006, il y a eu une nouvelle estimation, il n’en restait plus que 170. Ce calcul a été fait au contact d’un seul troupeau, par avion. En février de cette année, d’autres décomptes aériens, auxquels j’ai participé, ont été faits dans le parc. Pendant dix jours de décomptes aériens, on n’a pas vu d’éland de Derby. »A partir de quel moment parle-t-on d’espèce menacée ou en voie de disparition ?
« C’est basé sur les critères donnés par l’Union internationale pour la protection de la nature, publiés dans la liste rouge. Le critère en danger critique de disparition, correspond au statut de conservation pour l’éland de Derby occidental. La population adulte ne doit pas dépasser les 200 individus, ce qui est le cas de l’éland de Derby occidental au Sénégal. »
Comment fait-on pour surveiller le parc national du Niokolo-Koba, qui est immense, et faire en sorte que l’éland de Derby soit protégé, comme d’autres espèces d’ailleurs, du braconnage par exemple ?
« Le parc national du Niokolo-Koba a une aire de 9 000 km2, donc c’est plus ou moins 5 km de long et 60 km de large, donc c’est vraiment une grande ‘tache’ dans la savane qui est plus ou moins conservée avec un écosystème unique au Sénégal. Dans ce parc, les activités agricoles ne sont pas permises, le fonctionnement de l’écosystème est maintenu. Surveiller et gérer ce site est une tâche énorme pour l’administration du parc, mais c’est aussi exigeant pour les agents du parc au niveau de la logistique parce qu’il est nécessaire d’avoir des moyens : des véhicules, le GPS, des outils pour la surveillance. Cela exige un entraînement militaire, beaucoup d’efforts internes et de motivation car leur travail n’est pas très visible, et pourtant ils travaillent. »En mai 2015, un mémorandum sur la conservation et la protection de l’éland de Derby entre la République tchèque et le Sénégal, qu’est-ce que cela signifie ?
« Ce mémorandum a été très important à plusieurs points de vue. C’est un aboutissement après 15 ans de travail avec les responsables de la conservation au Sénégal : on a atteint un certain niveau de coopération. C’est une reconnaissance de notre travail. Un autre point concerne comment la communauté internationale nous perçoit car c’est là où nous cherchons des moyens pour financer les activités autour de l’éland de Derby directement au Sénégal. Ça aide beaucoup pour chercher des bailleurs de fonds, ça donne plus de confiance en notre travail. »
Au début de l’année 2018, vous avez lancé un projet qui s’intitule Back home (Retour à la maison), de quoi s’agit-il ?
« Nous prévoyons le retour de l’éland de Derby dans son milieu naturel. Il y a une population d’élands de Derby qui se trouve dans des réserves privées, qui viennent du Niokolo-Koba. Ces animaux sont les descendants des animaux du Niokolo-Koba capturés en 2000. Depuis, ils se sont reproduits. En ce moment il y en a 115 dans deux réserves au Sénégal. Nous trouvons que c’est le bon moment pour rendre les animaux de ces réserves au parc. L’objectif de cette opération est de voir si ces animaux, qui ont vécu et qui sont nés dans des réserves, ce qui veut dire dans des conditions semi-captives, sans prédateurs, dans d’autres végétations, avec d’autres ressources d’alimentation, sont toujours capables de s’adapter aux conditions naturelles et d’origines dont ils viennent. Ce projet prévoit un enclos d’acclimatation où on peut amener un troupeau et si tout marche bien, on voudrait lâcher ses animaux pour voir comment ils réagissent avec la population sauvage. »Pour finir, qu’est-ce que cette opération de sauvetage vous apporte-t-elle, personnellement ?
« Au début, c’était juste une passion pour les animaux, pour la connaissance, donc j’ai commencé à travailler dans le projet comme étudiante en doctorat. C’était donc une vision scientifique. Au cours du temps, j’ai beaucoup appris sur le Sénégal, sur la vie africaine, sur les conditions, sur la conservation des animaux sauvages, de la grande faune, sur le statut de conservation des autres espèces dans toute l’Afrique. J’observe les changements climatiques, sociaux et socio-économiques dans le monde. Et au fur et à mesure j’ai compris que si on veut bien vivre sur cette planète, il faut prendre soin des gens, des écosystèmes qui nous entourent pour conserver un équilibre. Donc c’est devenu une passion pour la conservation parce que les écosystèmes sont la base pour la survie de l’humanité sur terre. »