Les aléas du tourisme en République tchèque
La baisse du tourisme en République tchèque a commencé avant la crise financière. Mais justement, dans ce contexte plus serré, les professionnels du secteur peuvent-il encore se permettre des approximations ? Prague compte a priori comme une destination stable car son patrimoine est parti pour rester mais l’enjeu est ailleurs : une fois venu, le touriste reviendra-t-il une seconde fois ? Une question qui touche aux domaines corollaires du tourisme : l’agriculture et la formation.
Benjamin Cardineau a ouvert, il y a un peu plus d’un an, un restaurant de cuisine française, Passe-Partout, à Vinohrady, dans Prague 2. Nous lui avons demandé s’il constatait une baisse de fréquentation de son établissement :
« Si je compare avec l’année dernière, pour les mois de septembre-octobre, nous enregistrons une baisse d‘activité de l’ordre de 20 %. La fin de l’année est moins bonne, je le vois dans mes chiffres mais je le vois aussi chez les clients réguliers, qui ,avant, prenaient une bonne bouteille de vin et qui désormais optent plutôt pour le vin de la maison, qui est, ceci dit, très bon ! Ce qui m’inquiète d’avantage que la crise, c’est la montée de la couronne car cela impacte directement les touristes »
La conjoncture n’est pas au beau fixe et dès lors, la fidélisation des clients s’impose comme un enjeu majeur. Rappelons la phrase que Vaclav Klaus aurait prononcé lorsqu’il était à la tête du gouvernement il y a une dizaine d’années : « tant que nous avons Prague, nous pouvons nous permettre quelques déficits commerciaux ». Une déclaration qui, contrairement au bon vin, a particulièrement mal vieilli en ces temps de crise. Elle n’en recèle pas moins une part de vérité : le secteur tourtistique participe grandement au rééquilbrage de la balance des paiements dans le pays.A y regarder de plus près, la réalité est un peu moins rose : à nombre de visiteurs identique, d’autres pays tirent des recettes plus importantes du secteur touristique. Le premier voyage est déterminant et dans ce domaine, Prague fait figure de mauvais élève. Les chiffres sont parlants : si 80 % des touristes reviennent à Berlin après un premier voyage, cela concerne moins de 10 % des visiteurs de Prague ! Et dans ce domaine, comme l’explique Benjamin Cardineau, les responsabilités sont multiples.
« Dans mon restaurant, malheureusement, je ne dispose d’aucun personnel tchèque. Les différents gouvernements qui se sont succédé dans le pays jusqu’au dernier, n’ont jamais donné l’impression de faire quelque chose pour améliorer cet état de fait, à savoir que le personnel formé ici en école de restauration, c’est une catastrophe, c’est horrible de dire cela ! ».
Benjamin évoque par ailleurs un phénomène inquiétant : la présence du tout marketing dans les programmes des écoles hôtelières.
« Sans citer de noms, de nombreuses marques se retrouvent dans les écoles hôtelières pour se faire sponsoriser avec des bouillons tout prêts et en disant : hé bien voilà, c’est avec cela qu’on cuisine et c’est tout simplement catastrophique ! ».
Loin d’un constat fataliste, Benjamin est prêt à prendre sa part de responsabilité:
« C’est aussi à nous, restaurateurs, de faire quelque chose. Si une école hôtelière vient me voir en me demandant de prendre un ou deux de ses gars pour les former un petit peu, ce sera avec plaisir, on n’a pas la science infuse ».
Autre point à travailler, l’approche agricole, encore marquée par des années de standardisation et de mécanisation de la production sous le communisme. Si la production de houblon a été épargné par ce phénomène, les produits maraîchers ou les vergers en ont fait les frais. La culture de la prune a même été un temps menacé en Moravie. Les restaurateurs quant à eux subissent directement les conséquences cette situation. Nous écoutons Benjamin :« Ce que je souhaiterais, à terme, serait de me voir fournir plus de produits locaux. Aujourd’hui, lorsque je veux acheter de l’oseille, je n’ai pas d’autre choix que de le faire venir d’Israël ou de Hollande, ici, on en a pourtant toujours fait pousser ! Qu’il s’agisse des légumes ou de la viande, moins de 10 à 20 % de mes produits seulement sont tchèques, ce que je trouve plus que dommage »
La création du label KlasA, créé en 2003 par le ministère de l’Agriculture pour mettre en avant des produits de qualité, partait d’une bonne volonté. Pour Benjamin, c’est surtout de la poudre aux yeux.
« C’est pas un label qui marque les esprits car en tout cas moi je ne le vois jamais marqué sur les emballages ou les cartons »Coq au vin, mousse à la pistache, fois gras, Passe-Partout franchit les obstacles pour au final proposer une cuisine de qualité. Mais au fait, est-ce encore un atout d’être un restaurateur français à Prague ?
« Je crois que partout dans le monde, on observe ce phénomène d’attraction pour la cuisine française, malheureusement, bien souvent, les restaurateurs qui la proposent optent pour une certaine politique de prix qui donne une image chère de la cuisine française. Cela me gêne car, au départ, la cuisine française est une cuisine du terroir, donc peu onéreuse. C’est un petit peu mon cheval de bataille, j’essaie de faire bon avec des prix raisonnables. »