La vie de l’orientaliste Alois Musil (1868-1944) est un grand roman d’aventures. Presque oublié dans sa patrie, ce prêtre catholique devenu un des plus grands connaisseurs occidentaux du monde musulman, mérite d’être connu aussi de la jeune génération. Sa vie est son œuvre font désormais l’objet d’une bande dessinée qui a été créée par la jeune dessinatrice Kristýna Košutová.
Comment un prêtre catholique devient l’ami des bédouins
C’est en 1891 que le jeune étudiant en théologie Alois Musil est ordonné prêtre catholique et commence à exercer le culte dans la ville d’Ostrava en Moravie du Nord. Passionné des études bibliques, ce jeune prêtre promu en 1895 docteur en théologie, est parti au cours de la même année au Proche Orient pour étudier la Bible et y apprendre des langues. Břetislav Tureček, journaliste et connaisseur du Proche et du Moyen Orient, évoque le premier voyage d’Alois Musil qui devait devenir décisif pour le futur itinéraire du jeune prêtre :
« Alois Musil s’est rendu pour la première fois au Proche Orient dans la dernière décennie du XIXe siècle. Il a étudié d’abord à l’Ecole biblique de Jérusalem, mais après avoir acquis une meilleure connaissance de la langue hébraïque que celle de son professeur, il est parti étudier l’hébreu à Beyrouth. Et entretemps il a commencé à faire des expéditions dans le désert et à rencontrer les gens qui y vivaient, y compris les bédouins et leurs chefs. Il s’est aussi familiarisé avec leur coutumes, etc. »
Au cours de sa vie Alois Musil se rend à maintes reprises au Moyen Orient et simultanément il mène une brillante carrière universitaire en Europe. En 1904 il est nommé professeur à l’Université d’ Olomouc et en 1909 professeur de théologie à l’Université de Vienne.
Un chercheur nomade et aventurier
Alois Musil
Lors de ses voyages il cherche à absorber et à enregistrer le maximum d’informations sur le monde arabe, se lance dans des recherches topographiques, ethnographiques et folkloriques et s’intéresse aussi à l’archéologie du monde islamique et préislamique. Pendant ses expéditions il vit dans le désert et partage la vie des bédouins, devient leur ami et même chef adjoint de certaines tribus qui l’appellent Musa ar-Rueilli. C’est en découvrant dans le désert de Jordanie le château de Qusair Amra et en réalisant une documentation détaillée de ce monument unique de la première période de l’art islamique, qu’Alois Musil s’attire le respect des orientalistes européens. On peut dire que sa biographie est un mélange fascinant du travail scientifique très sérieux et d’aventures dignes d’un héros de roman. Břetislav Tureček va encore plus loin :
Břetislav Tureček, photo: Archives de Břetislav Tureček
« Alois Musil, et j’espère que ce que je dis n’est pas trop blasphématoire, était un démon. C’était un original, un obstiné, nous savons grâce aux archives qu’il suivait ses objectifs avec acharnement. Prêtre, il n’était pas obligé de faire de compromis de vie conjugale, et il n’a pas eu d’enfants. (…) Il n’a pas seulement écrit des livres savants très appréciés encore aujourd’hui par les anthropologues spécialistes du monde des bédouins au Proche Orient, mais il a écrit aussi une importante série de livres pour la jeunesse. Dans ces livres d’aventures il raconte et parfois développe par sa fantaisie les histoires qu’il a vécues lors de ses voyages. »
La vie du cheikh Musa en bande dessinée
'Le cheikh Musa ou le professeur Alois Musil', photo: Akademická společnost Aloise Musila / Knihovna Karla Dvořáčka
Alois Musil savait donc bien que sa vie de chercheur nomade et d’aventurier du désert pourrait avoir beaucoup d’attrait pour les jeunes. Encore au seuil du XXIe siècle, il continue à exercer une espèce de fascination sur tous ceux qui ont eu l’occasion de connaître sa vie et son œuvre. Parmi eux, il y aussi la jeune dessinatrice Kristýna Košutová, auteure d’une bande dessinée intitulé « Šejch Músá aneb prof. Alois Musil » (Le cheikh Musa ou le professeur Alois Musil). A l’origine de cette BD, il y a un mémoire de master que Kristýna Košutová a préparé dans le cadre de ses études à la Faculté des arts et du design de l’Université de Plzeň. Son mémoire sous la forme d’une BD étant considéré comme réussi, la Société académique Alois Musil et la Bibliothèque Karel Dvořáček de la ville de Vyškov ont décidé de le publier. Avant de l’envoyer à l’imprimerie Kristýna Košutová a cependant adapté, élargi et développé certaines parties de son ouvrage. Aujourd’hui son livre est disponible en librairie. Il retrace la biographie du cheikh Musa en 140 images dont les lignes un peu floues et les couleurs rappellent l’aspect de vieux photos jaunies par le temps.
Une biographie adaptée pour les jeunes lecteurs
'Le cheikh Musa ou le professeur Alois Musil', photo: Akademická společnost Aloise Musila / Knihovna Karla Dvořáčka
Evidemment, pour attirer et retenir l’attention de jeunes lecteurs Kristýna Košutová ne pouvait pas s’attarder trop sur les travaux scientifiques d’Alois Musil et sur sa carrière religieuse. Elle met l’accent plutôt sur ses voyages au Proche Orient, sa vie et ses amitiés parmi les bédouins, sa découverte du château de Qusair Amra et ses relations avec les grandes personnalités de son temps dont le dernier empereur d’Autriche-Hongrie Charles Ier et les présidents tchécoslovaques Tomáš Garrigue Masaryk et Edvard Beneš. La forme et l’étendue de la BD ne lui permettent pas d’évoquer certaines péripéties et elle est donc obligée de passer sur certaines étapes et certains événements de la vie du grand voyageur. Parfois elle se laisse emporter par le courant de la narration et étoffe son récit par des éléments de fiction.
'Le cheikh Musa ou le professeur Alois Musil', photo repro: Štěpánka Budková / Akademická společnost Aloise Musila / Knihovna Karla Dvořáčka
La vie d’Alois Musil en images racontée par Kristýna Košutová démontre que la biographie d’un scientifique peut être un véritable roman d’aventures plein d’intérêt pour les jeunes lecteurs. Son objectif est cependant surtout d’éveiller la curiosité des lecteurs et de leur donner envie de connaître davantage l’œuvre du prêtre catholique qui a eu la liberté d’esprit de porter un regard objectif, minutieux et profond sur le monde musulman. Břetislav Tureček résume la biographie de cet anthropologue prêt à sacrifier sa vie pour ses recherches :
'Le cheikh Musa ou le professeur Alois Musil', photo repro: Štěpánka Budková / Akademická společnost Aloise Musila / Knihovna Karla Dvořáčka
« Son œuvre est une grande contribution à la mosaïque du savoir occidental sur le monde musulman et sur l’islam. C’était un anthropologue de terrain. Même devenu professeur d’université, il ne restait pas assis dans les salles de recherche mais il se rendait sur place à l’époque où l’on ne voyageait pas par avion. Il était obligé de prendre le bateau ce qui prenait beaucoup de temps, puis il voyageait dans le désert à dos de chameau dans des conditions extrêmement difficiles et il réussissait encore à décrire ce qu’il avait vu, à prendre des notes et des photos, à rédiger des dictionnaires de dialectes bédouins, etc. Il était donc tout simplement phénoménal. »
Les bédouins en Jordanie, photo: Břetislav Tureček
Et Břetislav Tureček ajoute encore certaines idées d’Alois Musil, connaisseur du monde arabe qui était convaincu que les musulmans combattraient toujours pour leur indépendance, contre les intrus étrangers, contre les colonisateurs occidentaux. Fort de ses expériences, Alois Musil estimait que les habitants de ces régions ne cherchaient pas la liberté dans le sens européen du terme et qu’il n’était pas possible d’exporter la démocratie occidentale au Proche Orient. Déjà dans les premières décennies du XXe siècle, Alois Musil constatait que la liberté individuelle n’était pas prioritaire pour les habitants du monde musulman et lançait des avertissements contre les interventions de l’extérieur. Nous voyons aujourd’hui en Irak, en Afghanistan et ailleurs quelles sont les conséquences de ces interventions.