L’Institut oriental de Prague fête ses 100 ans

Institut oriental de Prague

Il y a un siècle était fondé l’Institut oriental de l'Académie des Sciences, l’une des plus anciennes institutions consacrées exclusivement à l’étude de l’Orient en Europe centrale et orientale. Retour sur l’histoire de cet Institut à l’histoire mouvementée.

Tomáš Garrigue Masaryk | Photo: ČT

Il y a cent ans, Tomáš Garrigue Masaryk, le premier président de la Tchécoslovaquie, fondait l’Institut oriental de Prague. Son désir de créer un Institut oriental venait d’une prise de conscience de l’importance croissante de pays tels que la Russie, la Chine, la Corée et le Japon dans les échanges internationaux. En effet, selon le président, ces pays pourraient devenir de futurs partenaires prometteurs pour la Tchécoslovaquie dans les échanges commerciaux, mais aussi intellectuels et culturels.

En 1922, donc, le président tchécoslovaque fait don d’une partie du cadeau financier qu’il reçut à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire en 1920 pour fonder ce qui deviendra l’Institut oriental que l’on connaît aujourd’hui. Le 25 janvier, la loi par laquelle l’Institut est fondé est votée par le Parlement tchécoslovaque.

Jaroslav Strnad | Photo: YouTube

Selon Jaroslav Strnad, spécialiste de l’histoire de l’Inde et des langues indoaryennes et membre de l’Institut oriental de Prague depuis les années 1990, l’intérêt des Tchèques pour l’Orient est néanmoins plus ancien. Déjà au Moyen Âge, la haute culture tchèque et slovaque est influencée par la pensée, par la littérature et par la philologie orientales. Cet intérêt pour l’Orient s’est tout d’abord porté sur le sous-continent indien. Selon Jaroslav Strnad, l’intérêt des Tchèques pour l’Orient s’est néanmoins renforcé au XIXème siècle pour des raisons politiques :

« Ici, en Bohême, dans les pays tchèques, à partir de la deuxième partie du XIXème siècle, les cercles intellectuels et le grand public ont commencé à s'intéresser à ce qui se passait en Inde. Ils se sont intéressés à la culture indienne, à la civilisation indienne, à la philosophie et à la religion indiennes, aux langues, au sanskrit, mais aussi à la lutte d'émancipation et de libération du peuple indien contre l'administration coloniale, le système colonial imposé par la Grande-Bretagne.

Gandhi | Photo: public domain

Cette sympathie était en partie motivée par les expériences personnelles du public tchèque avec la réalité austro-hongroise, lorsque la nation tchèque essayait d'obtenir un statut plus indépendant au sein de la monarchie dans le domaine strictement politique, en passant du dualisme au trialisme, pour qu'il y ait une sorte de fédération établie dans la monarchie. Il y avait aussi le problème de la langue, puisque la langue tchèque a aussi essayé de s'établir comme principal moyen de communication des pays tchèques historiques qui étaient à l'époque peuplés d'une population mixte : il y avait trois millions d'Allemands et environ cinq ou six millions de Tchèques. La question de la langue était donc très délicate. Il y avait donc une sorte de lutte émancipatrice menée par la classe politique tchèque et par le public tchèque éduqué, et quand ils ont vu que les Indiens essayaient de gagner leur indépendance, il y a eu une empathie naturelle pour eux, pour Gandhi par exemple, pour Rabindranath Thakur. »

Cette sympathie naturelle et cet intérêt de la population tchèque pour l’Orient changèrent néanmoins au cours des siècles. Au XXème siècle, l’image de l’Orient et les études orientales sont fortement influencées par les grandes crises qui secouent la Tchécoslovaquie. L’histoire de l’Institut oriental les reflète.

Photo: ČT24

Pendant l’occupation nazie, l’Institut fut contraint de restreindre son activité qui ne se résuma bientôt plus qu’à l’enseignement des langues orientales. Après la guerre et malgré le coup de Prague en 1948, l’Institut oriental réussit à maintenir son travail scientifique dans le domaine des études orientales. Quelques années plus tard, en 1952, l’Institut oriental est même intégré dans l’Académie des sciences tchécoslovaque.

Bedřich Hrozný | Photo: ČT24

Ce n’est qu’à partir de 1968 que l’Institut perd de sa liberté et que le régime communiste commence à s’immiscer de plus en plus dans ses travaux scientifiques. Dès lors et jusqu’à la chute du régime communiste, en 1989, les axes de recherche principaux deviennent l’économie et la politique des pays du tiers-monde. La recherche doit alors aller dans le sens de l’idéologie communiste. Deux nouveaux départements sont créés, l’un étudiant l’Amérique latine et l’autre l’impérialisme des Etats-Unis. Des purges ont lieu au sein de l’Institut. Beaucoup de chercheurs font alors le choix de s’exiler à l’étranger.

Les contacts avec l’étranger sont limités, ce qui contribue également à un affaiblissement de l’intérêt pour l’Orient par le public tchèque, et ce, notamment à cause des obstacles empêchant les voyages à l’étranger : avant 1989, il était très difficile, voire parfois impossible, de partir à l'étranger pour de longues périodes afin de visiter ces pays, d’une part car ces pays étaient lointains, d’autre part car cela coûtait cher et que la couronne tchèque n’était pas une devise convertible.

Alois Musil | Photo: public domain

1989 marque donc un réel tournant dans l’histoire de l’Institut qui peut alors continuer son travail de recherche plus librement : le département sur l’Amérique latine et celui sur les Etats-Unis sont supprimés ; les chercheurs employés pour des motifs politiques sont licenciés ; de nouveaux chercheurs sont recrutés ; les communications avec les pays orientaux sont rétablies ; l’intérêt du public tchèque pour les études orientales est renforcé.

100 ans plus tard, l’Institut n’a plus beaucoup à voir avec ce qu’il était en 1922. Si les études économiques ont perdu en importance, l’Institut garde néanmoins la même ligne directrice et la même ambition d’étudier le monde oriental. De cette continuité témoigne la revue Archiv orientální, lancée en 1929 par Alois Musil et Bedřich Hrozný, qui continue à être publiée et participe à faire connaître les études orientales tchèques à l’étranger et à vulgariser les savoirs sur l’Orient.

La revue Archiv orientální | Photo: Simurghistan,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

Depuis 1993 partie intégrante de l’Académie des sciences de République tchèque, l’Institut connaît depuis 2005, une autre révolution : il est désormais ouvert à l’international et accueille des chercheurs venant de pays étrangers. Il offre en effet des bourses d’un ou deux ans à des spécialistes étrangers afin de leur permettre de faire leurs recherches sur l’Orient à Prague.

Selon Jaroslav Strnad, le passé mouvementé de l’Institut oriental continue néanmoins d’influencer son présent. Il nous explique cela en prenant l’exemple de la décision de la nouvelle directrice de l’Institut, Táňa Dluhošová, d’accentuer les recherches sur l’Asie centrale :

Táňa Dluhošová | Photo: Noemi Fingerlandová,  ČRo Plus

« Aujourd’hui encore, étudier cette région nous pose quelques problèmes, car, paradoxalement, dans les années 50, alors que nous étions de grands amis de l'Union soviétique, les spécialistes tchèques de l'Orient étaient dissuadés d'étudier l'Asie centrale, car elle faisait partie de l'Union soviétique et ils n'avaient pas besoin que quelqu'un s'occupe de leurs affaires.

Après la rupture sino-soviétique, Khrouchtchev a interdit aux chercheurs orientalistes et aux sinologues d'écrire sur la Chine contemporaine. C'était une question politique très sensible et seul le comité central du parti communiste pouvait alors décider de ce qu'il fallait dire, de ce qu'il ne fallait pas dire, de comment il fallait se comporter, et cela était, bien sûr, étroitement coordonné avec l'Union soviétique, avec Moscou. Encore une fois, la situation politique a en quelque sorte faussé les activités de recherche. »

Pour célébrer son histoire et son centenaire, l’Institut Oriental de Prague organise tout au long de l’année une série d’événements destinés à faire connaître les études orientales tchèques à un public plus large.

Au programme, une série de conférences sur divers thèmes : l’histoire de l’Institut Oriental le 25 janvier, la religion à l’époque médiévale le 1er février, la science à Taïwan le 8 février, l’Islam en Indonésie le 15 février, le Xinjiang chinois le 22 février, le système des castes indien le 1er mars, l’apprentissage du chinois le 8 mars et enfin le développement de l’anthropologie chinoise le 15 mars. Un programme riche et varié qui permettra de découvrir cet Institut centenaire, mais aussi, l’histoire, la culture, l’économie et les langues orientales.

Mais ce n’est pas tout. Du 8 au 9 juillet, l’Institut Oriental quittera Prague pour participer au Festival Eastern Tunes de Mikulášovice, un festival de musique et de culture asiatiques. Il y aura également une exposition sur l’histoire des études orientales en République tchèque à Prague, dans la Galerie des sciences et des arts du bâtiment de l'Académie des sciences, à partir d’août. Du 30 septembre au 4 octobre, il y aura enfin des ateliers de lectures d’auteurs, des conférences et des débats, et des activités destinées aux plus jeunes comme celle intitulée « Dessine un orientaliste » („Nakresli orientalistu“), le tout étant mis en scène dans une yourte mongole montée sur l’île Střelecký à Prague.

Plus d’informations sur le programme de l’Institut Oriental pour son centenaire : https://orient.cas.cz/export/sites/orientalni-ustav/en/100-years/