Les Barons noirs : la réalité virtuelle des années 50 sur le petit écran
La littérature de fiction et le cinéma, ont-ils le droit de modifier la réalité historique ? Cette question est au coeur d'une polémique qui s'est développée dans la société tchèque après la sortie, il y a un mois, d'une série télévisée, intitulée Les Barons noirs. Une sorte de M. A. S. H. tchèque, mais située dans la Tchécoslovaquie communiste des années 1950. Les anciens soldats, persécutés par le régime d'alors et caricaturés dans la série, sont exaspérés. Rassemblés, mercredi, dans un restaurant pragois, ils ont, une fois de plus, raconté aux médias leurs destins. Les vrais...
PTP, une abréviation qui signifie, en tchèque, "Pomocne technicke prapory", en français Bataillons auxiliaires techniques. Une terrible machinerie militaire, mise en place par les communistes en 1948 et destinée aux ennemis du régime, aux fils des familles politiquement non fiables, aux proches des émigrés. Isolés de la société, ces soldats sans armes ont passé deux, trois ou quatre ans à travailler dans des mines ou à construire des complexes militaires. Un travail physiquement très dur, un minimum de repos, de journées libres et de congés, une pression psychologique, de mauvais soins médicaux, pas d'espoir de revenir, un jour, à la vie normale. C'était le quotidien de 40 000 soldats PTP, âgés de 17 à 60 ans, dont 140 sont morts dans des accidents. A partir de 1954, les Bataillons auxiliaires techniques étaient remplacés par des Bataillons techniques, au régime moins austère.
Un des membres de ces Bataillons techniques, où furent placés notamment des soldats incapables d'effectuer, pour des raisons de santé, un service militaire "classique", Miloslav Svandrlik, deviendra écrivain. Après la Révolution de velours, il publie Les Barons noirs, un roman humoristique, qui a, pour sujet, les PTP. Oui, la vie au sein des Bataillons auxiliaires techniques que l'auteur n'a pas connu. Conteur de talent, Svandrlik met au monde une oeuvrette à l'humour fracassant et à un succès surprenant. Au début des années 1990, le livre est adapté au cinéma et le public, de nouveau, se tord de rire. En janvier 2004, les cinéastes récidivent, avec une série télévisée Les Barons noirs, toujours d'après le livre de Svandrlik. Un réalisateur renommé, une pléiade de vedettes tchèques, un joli succès auprès du public amnésique. Les anciens soldats PTP sont choqués et fatigués. Fatigués d'expliquer, depuis une douzaine d'années, que le livre de Miloslav Svandrlik est un roman de pure fiction, car dans les camps PTP, on ne s'est pas « amusé, on n'a pas joué de la guitare, chanté, picolé, dragué les nanas, on ne s'est pas tapé sur les épaules avec les officiers, la clope au bec », comme le font, chaque lundi soir, sur le petit écran, les soldats PTP virtuels. Les soldats réels ont aujourd'hui plus de 70 ans, une santé fragile et la tête pleine de souvenirs tragiques. Ils refusent de rigoler. Que veulent-ils alors ? "Que ce chapitre de l'histoire tchécoslovaque soit expliqué au public comme il faut, qu'il soit traité par un Ecrivain", a écrit, dans la presse, Pavel Krasa, journaliste et ancien soldat PTP.