Les vestiges d’un camp de travail forcé découverts sur la colline de Letná à Prague

Des fouilles préventives ont dévoilé l’existence d’un ancien camp de travail forcé sur la colline de Letná, photo: Daniel Mrázek, ČRo

Des fouilles préventives entre le socle de l’ancien monument à Staline à Prague et la villa Kramář, résidence officielle des chefs de gouvernement, ont dévoilé l’existence d’un ancien camp de travail forcé. Les baraquements en bois, dont il reste peu de choses, ont hébergé au début des années 1950, les ouvriers chargés de la construction de l’immense statue du dictateur, issus des rangs des anciens Bataillons auxiliaires techniques (PTP) qui étaient réservés à ceux considérés comme des ennemis par le régime communiste.

La place ‘Staline’,  photo : Aktron,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Le parc de Letná qui domine la capitale tchèque est aujourd’hui un lieu de promenade prisé des Pragois et touristes, où, hors pandémie, il fait bon siroter une bière au Biergarten en profitant d’une vue imprenable sur la ville. Si aujourd’hui, un métronome s’élève sur la colline, entre 1955 et 1962 son socle, toujours existant et rendez-vous des skateurs, a soutenu le poids d’une des plus grandes statues de groupe jamais érigées en l’honneur de Staline.

Des fouilles préventives ont dévoilé l’existence d’un ancien camp de travail forcé sur la colline de Letná,  photo: Daniel Mrázek,  ČRo

Les historiens tchèques ont toujours su que ce monument mégalomaniaque avait été construit par ces ouvriers surnommés les Barons noirs, immortalisés dans le roman et le film éponymes. Ces hommes avaient été condamnés aux travaux forcés et intégrés aux Bataillons auxiliaires techniques (PTP), une unité spéciale de l’armée chargée de « rééduquer » les individus considérés comme des ennemis du régime communiste. Mais l’existence de baraquements sur le site des travaux était peu à peu tombée dans l’oubli. Au micro de la Radio tchèque, le chef du chantier, Jan Hasil, de l’Institut d’archéologie de l’Académie des sciences :

Jan Hasil,  photo: Daniel Mrázek,  ČRo

« Ici, on peut voir que ce baraquement faisait 10x18 mètres. 40 personnes y auraient été hébergées. Il a été rasé au bulldozer jusqu’aux fondations qui ne sont plus visibles que grâce aux restes d’une matière isolante à base de goudron, qui se trouvait entre la fosse des fondations et la structure en bois. Sinon, les seuls autres vestiges sont ceux des réseaux : les tuyaux de vidange des eaux usées et ceux de l’arrivée d’eau. Ils sont toujours situés plus en profondeur que les fondations, et c’est pour cette raison qu’ils n’ont pas été totalement détruits. »

Les fouilles archéologiques préventives ont été lancées début janvier et doivent se poursuivre jusqu’à fin avril, en lieu et place d’un futur réservoir d’eau qui doit y être aménagé. Plusieurs tranchées, ou saignées de plus d’un mètre de profondeur ont été réalisées sur le site, comme l’explique Jan Hasil :

Des fouilles préventives ont dévoilé l’existence d’un ancien camp de travail forcé sur la colline de Letná,  photo: Daniel Mrázek,  ČRo

« Ces saignées ont été réalisées de telle manière que l’on puisse voir l’état de conservation d’une des maisons de ce camp de travail. Très peu de choses nous sont parvenues. C’est une règle assez classique : en général, quand un régime autoritaire décide de liquider ce type de construction qu’il a lui-même édifiées, il prend un soin tout particulier à faire disparaître au maximum toute trace de son existence. »

120 ouvriers ont été logés dans les trois baraquements du camp. Jusqu’à la mise au jour récente de ces vestiges, seuls quelques écrits datant de 1951 les mentionnaient, de même qu’une photo aérienne de 1953 et une séquence d’un film de propagande de 1955 évoquant la construction de la statue et intitulé : « Un monument à l’amour et l’amitié ».

Pomník lásky a přátelství (1955)

Outre les rares vestiges des structures en bois, des objets ont également été retrouvés par les archéologues. Ivana Hrušková est une des scientifiques chargés de classer les débris :

Des objets ont également été retrouvés par les archéologues,  photo: Daniel Mrázek,  ČRo

« Nous nettoyons et trions les débris que nous avons mis au jour. Nous les classons par type de matériel : la céramique de construction, comme ces carreaux, des revêtements de toiture, ou de la porcelaine. Nous avons également retrouvé du verre. Tous ces vestiges sont classifiés et transmis aux experts qui analysent les matériaux. »

Des objets ont également été retrouvés par les archéologues,  photo: Daniel Mrázek,  ČRo

Cette découverte vient compléter l’histoire très particulière et sombre du sommet de la colline de Letná à Prague. Débutée en 1952, la construction de la colossale statue de groupe, ironiquement surnommée à l’époque par les Pragois « la file d’attente chez le boucher », s’est achevée en 1955 soit deux ans après la mort de Staline et un an avant le rapport Khrouchtchev dénonçant le culte de la personnalité. L’auteur du projet, le sculpteur Otakar Švec, s’est suicidé peu avant l’inauguration de son œuvre, un destin tragique qui a inspiré à Elsa Triolet son roman, « Le Monument », paru en 1957. Il faudra attendre quelques années pour que la Tchécoslovaquie commence sa déstalinisation, et que les autorités communistes décident de se débarrasser de ce monument de granite, encombrant à tous points de vue : il sera dynamité en novembre 1962.

Le monument de Stalin,  photo: Miroslav Vopata,  CC BY-SA 3.0 Unported
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Auteurs: Anna Kubišta , Daniel Mrázek
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