Les chants d’espoir et de désillusion d’août 1968
Ce dimanche, la République tchèque commémore les 48 ans depuis l’invasion soviétique de la nuit du 21 août 1968. Des centaines de Tchèques, mais aussi des centaines d’artistes avaient fui le pays dans les jours, les semaines ou les mois qui suivirent cet évènement qui bouleversa l’échiquier politique du pays. Dans la prochaine demi-heure nous allons vous présenter certains de ces artistes qui ont marqué l’esprit des citoyens tchécoslovaques au moment du durcissement du régime politique dans le pays.
Une euphorie printanière suivie d’une déception automnale
Les évènements du printemps de Prague ont rapidement cédé la place à une atmosphère plus que lugubre avec l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie dans la nuit du 20 au 21 août 1968.Face à une situation politique mouvementée, certains des musiciens tchèques ont réagi à leur manière. Certains ont mis un terme à leur carrière, d’autres ont utilisé la musique pour montrer leur profond désaccord. Comme si tout à coup les paroles de certaines chansons prenaient un tout autre sens avec l’évolution politique dans le pays. Une de ces chansons est celle intitulée « Dobře míněná rada », soit « Un conseil bien pensé », une chanson également appelée « Běž domů Ivane » - « Rentre chez toi Ivan ». Elle a été interprétée par différents artistes, comme Milan Chladil, le duo Jiří Suchý et Jiří Šlitr ou aussi Jaromír Vomáčka.
« Rentre chez toi Ivan,
Natasha t’attend,
Rentre chez toi Ivan
, les filles ne t’aiment pas ici,
rentre chez toi Ivan,
Natasha t’attend,
rentre chez toi et ne revient plus. Ivan était avant un très gentil garçon,
il habitait dans un petit village,
mais oui, mais après ils l’ont envoyé
dans un tout autre village très loin,
le pauvre, qui est-ce qu’il devait alors abandonner ? Ben, Natasha!»
« Apparemment celui qui devient un héros,
celui qui quitte la bataille à temps,
à qui l’honneur et à qui la gloire,
il s’est laissé convaincre à cause de nous. Celui qui connaît ce jeu ancien,
il empruntera le bon chemin,
les autres ne feront qu’un signe de la main,
et commenceront à croire aux contes de fées. »
21 août 1968 : un espoir abattu, une désillusion confirmée, une musique interdite
Un des personnages clé de la scène artistique, qui a montré son désaccord avec l’occupation soviétique par la musique, a été Karel Kryl. Principal représentant de la chanson protestataire tchécoslovaque, il a néanmoins émigré en Allemagne un an après l’entrée des chars dans le pays. Karel Kryl avait composé spontanément sa chanson phare, « Bratříčku, zavírej vrátka » - « Petit frère, ferme la porte », dans la nuit du 22 août 1968.
« Petit frère, ne sanglote pas, ce ne sont pas des épouvantails
mais tu es déjà grand, ce ne sont que des soldats,
ils sont arrivés dans des roulottes carrées en fer. Larme à l’œil, nous nous dévisageons,
reste avec moi petit frère, j’ai peur pour toi,
sur ces chemins sinueux, petit frère, avec des chaussures basses. Il pleut et il s’est assombri dehors,
cette nuit ne sera pas courte,
le loup a envie de l’agneau,
petit frère, as-tu fermé la porte ? Petit frère, ne sanglote pas, ne gaspille pas tes larmes,
avale les jurons et économise tes forces,
tu ne dois pas m’en vouloir, si on n’arrive pas à la fin. »
La chanson « Modlitba pro Martu » - « Une prière pour Marta », de Marta Kubišová, est rapidement devenue le symbole de la résistance du peuple tchèque à l’occupation du pays. Même si la chanson était destinée au départ pour une série télévisée, le compositeur de la chanson, Jindřich Brabec, dont la voiture avait été détruite par les chars, avait dicté par téléphone les paroles, écrites par Petr Rada, à Marta Kubišová, qui avait de suite enregistré le morceau avec notamment le batteur de l’époque et chanteur Karel Černoch. Cette chanson a par la suite été interdite de diffusion à la télévision et à la radio et Marta Kubišová interdite de scène. « Modlitba pro Martu » a été réinterprétée par Marta Kubišová pour la première fois en 1989, lors de la Révolution de velours.