Les décrets Beneš font irruption dans l’entre-deux tours de la présidentielle
La campagne de l’élection présidentielle s’est exacerbée. Depuis la semaine dernière et les derniers débats télévisés entre les deux candidats en lice pour le second tour, les échanges entre Karel Schwarzenberg et Miloš Zeman ont pris la forme d’une joute verbale particulièrement violente autour d’un problème historique toujours sensible dans la société tchèque : les fameux décrets Beneš.
« J’ai toujours dit et je le maintiens : ce que nous avons fait en 1945 serait aujourd’hui condamné comme une violation des droits de l’Homme et le gouvernement de l’époque et le président Benes seraient convoqués à La Haye. »
Face à cette déclaration forte, Miloš Zeman s’est posé en défenseur des acquis de la Seconde Guerre mondiale, alors même que le propos de Schwarzenberg était plus d’ordre moral que d’ordre juridique :
« La Cour constitutionnelle, et ceci M. Schwarzenberg devrait le savoir, a constaté que ce ne sont pas les décrets Benes, mais bien les lois de l’Assemblée nationale de la Tchécoslovaquie, qui a réceptionné ces décrets en 1946, qui font partie de l’ordre législatif tchèque. »Le président sortant Václav Klaus s'est aussi exprimé avec virulence sur le sujet des décrets Beneš et a condamné les propos de Karel Schwarzenberg, estimant qu'il ne pourrait « jamais les lui pardonner ». A noter que le problème de l'expulsion de tous les Allemands des Sudètes après la Seconde Guerre mondiale est un sujet sensible en République tchèque. Le président Klaus lui-même avait agité le spectre d'une révision de ces décrets en demandant - et obtenant - que la République tchèque ne soit pas liée par la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne.
Si les hommes politiques comptent souvent sur la courte mémoire du grand public, les médias, eux, sont allés à la pêche d’anciennes déclarations tant de Miloš Zeman que du président Klaus ; des déclarations bien loin de ce regain de nationalisme en pleine campagne. Ainsi s’exprimait donc Miloš Zeman à la Radio tchèque il y a quelques années :
« J’ai été le premier homme politique à affirmer clairement que les décrets Benes étaient passés, et j’ai été très critiqué pour cela. »
Du côté des commentateurs politiques, on regrette l’agitation de cet épouvantail, comme le souligne Petr Fischer, du quotidien économique Hospodářské noviny :« C’est un thème complètement artificiel qui n’est pas d’actualité pour la scène politique tchèque. De même, ni les Autrichiens ni les Allemands n’ont jamais traité le problème dans une telle envergure. C’est un problème artificiel. Karel Schwarzenberg n’a fait allusion qu’au fait qu’il existe une culpabilité morale côté tchèque, et que s’il était élu, il reconnaîtrait en tant que président qu’un mal a été commis. C’est tout. Le reste, ce n’est que de la récupération politique dans le cadre de la campagne, car en Europe ce thème n’est absolument pas vivant. »
Une chose est sûre cependant : le débat a désormais pris une tournure personnelle, voire diffamatoire, avec la mise en doute du patriotisme de la famille Schwarzenberg pendant la dernière guerre. Cette semaine, pourtant, les deux candidats ont affirmé vouloir clore la campagne, pour les jours qui restent, de manière plus apaisée. Reste à savoir si les électeurs succomberont aux sirènes du passé lorsqu’ils se rendront aux urnes vendredi et samedi.