Les Dientzenhofer ont façonné le visage baroque de Prague
Dès le XVIIIe siècle, Prague est l'une des capitales de style baroque les plus prestigieuses d'Europe. Si l'on parle de l'architecture baroque tchèque, on ne saurait ne pas mentionner deux noms, deux architectes qui ont façonné le visage baroque de Prague: Christoph et Kilian Ignac Dientzenhofer, père et fils. Voici donc l'histoire de cette famille d'architectes à laquelle nous devons des centaines de réalisations sacrées et profanes en Bohême et en Moravie.
Christoph entre dans l'ordre des maçons. Avec le temps, il devient de plus en plus indépendant et réalise des constructions de grande envergure, tout d'abord en Bohême occidentale, puis à Prague. Il profite des expériences de son voyage d'étude en Autriche, en Italie et en France, à Marseille, pour devenir un architecte reconnu. On lui doit, entre autres, la nef et la façade de l'église Saint-Nicolas à Mala Strana, l'église Sainte-Claire à Cheb, ou l'église Sainte-Margueritte du couvent des bénédictins de Brevnov, ces constructions pouvant se vanter d'une conception dynamique dans le travail avec la matière et l'organisation de l'espace.
Kilian Ignaz Dientzenhofer, fils et successeur de Christoph, est né le 1er septembre 1689 à Prague. Il fréquente le lycée jésuite de Mala Strana pour étudier la philosophie et les mathématiques à l'Université Charles. En 1708, son père l'envoie à Vienne où il étudie chez un architecte réputé, Johann Lukas von Hildebrandt, dont l'oeuvre contribue à propager le baroque autrichien en Europe centrale. Après ce séjour de neuf ans à l'étranger, le jeune Kilian Ignac retourne en automne 1716 à Prague pour coopérer avec son père jusqu'à sa mort. Kilian Ignac Dientzenhofer était un architecte très fructueux. Avec son père, il réalisa plus de 250 constructions et reconstructions en Bohême, en Silésie, en Autriche, en
Italie, en France, en Hongrie et en Allemagne. Il travaillait pour différents ordres religieux, il était architecte de la cour et, plus tard, il a été chargé de la construction des fortifications, surtout sous l'occupation de Prague en 1742. Dientzenhofer était un architecte recherché, mais, en dépit de sa réputation, sa famille était pauvre. Il était mal ou pas du tout payé pour son travail. La cour impériale, par exemple, pour laquelle il a réparé la salle Espagnole, refusa de lui payer son travail. En témoigne une lettre de sa veuve, mère de treize enfants, dans laquelle elle réclame une rémunération partielle au moins.
Kilian Ignac Dientzenhofer s'inspire beaucoup du travail de son père, mais ses constructions sont beaucoup plus décoratives et emphatiques. Il renoue avec la tradition du baroque tchèque représenté par son père et un autre architecte célèbre - Jan Santini Aichl. Il respecte toujours le rôle de la géométrie dans l'architecture sacrée, mais lui donne une nouvelle dimension: « il crée l'espace, de sorte qu'il impressionne et éclaire l'âme des croyants mais domine aussi toute sa pensée avec l'apparition de la force divine et de la force tout-puissante de l'Eglise ». Il joue avec l'espace, de même que le compositeur joue avec les notes. Avec une fantaisie illimitée, il met en parfaite harmonie les formes géométriques, où alternent les parois concaves et convexes, remplace les plans centrés par des plans irréguliers mais symétriques, il rompt les rythmes architecturaux sans en altérer l'équilibre. On y trouve, par exemple, l'imbrication d'un fronton curviligne dans un fronton brisé à enroulements, des colonnes en biais, une corniche brisée, un contraste entre les courbes de consoles et les lignes droites. Pour émouvoir les âmes, le baroque opte pour une luxuriance décorative enrichie d'effets illusionnistes. L'osmose entre l'architecture et son décor est sublimée par l'emploi du trompe-l'oeil, omniprésent, par exemple, dans le décor de l'église Saint-Nicolas de Mala Strana. En effet, les marbres sont faux et la perspective picturale métamorphose la corniche en la faisant ondoyer ou encore crée un espace fictif sur les voûtes couvertes de fresques figuratives.
Parmi les oeuvres sacrées les plus splendides de Kilian Ignac Dientzenhofer, citons au moins le choeur et la coupole de l'église Saint-Nicolas de Mala Strana, l'église Saint-Jean-Népomucène de Prague ou la façade principale de l'église Notre-Dame-de-Lorette. Parmi ses réalisations profanes, il y a notamment le palais Silva-Taroucca en plein centre de Prague et la villa Portheimka, maison de campagne que Dientzenhofer fit construire uniquement pour les besoins de sa famille.