Les éditeurs étrangers à la foire Le Monde du Livre
Une des ambitions des fondateurs du prix Česká kniha - Le Livre tchèque a été d’attirer l’attention des éditeurs étrangers sur la production littéraire tchèque. Plusieurs éditeurs étrangers ont assisté également à la remise des prix le Livre tchèque 2016, jeudi 12 mai, dans le cadre de la foire Le Monde du Livre à Prague. Certains de ces éditeurs invités, dont Benoît Virot de France et Abdelkader Retnani du Maroc, se sont aussi présentés à cette occasion au micro de Radio Prague.
Benoît Virot : Faire découvrir ou redécouvrir
Benoît Virot est créateur de la revue Le nouvel Attila et des éditions du même nom. Voici ce qu’il a dit à propos de sa maison et de ses activités :« Les éditions Attila amorcent leur neuvième année. C’est une jeune maison d’édition à l’échelle française qui a connu trois époques, une première époque dédiée à la réédition des auteurs oubliés, une deuxième époque dédiée aux traductions de géants de la littérature passés inaperçu en France, et depuis trois ans nous développons beaucoup le département des jeunes auteurs français. Donc la maison d’édition conserve ces trois racines : réédition, traduction, création. »
Votre maison d’édition s’intéresse-elle aussi à la littérature tchèque ?
« Nous nous intéressons par essence à la littérature peu connue en France dans la mesure où le moteur premier de notre activité est de faire découvrir ou de redécouvrir. Cette curiosité nous a amené en Europe de l’Est, pour l’instant surtout en ex-Yougoslavie mais comme nous avons beaucoup d’amis proches qui sont excellents traducteurs du tchèque, nous avons eu l’occasion de rééditer des romans de Ludvík Vaculík, notamment ‘Les Cobayes’ en reprenant les traductions que Gallimard avait commandité dans les années1970. Donc c’est un champ de curiosité qui est ouvert. »Pourquoi êtes-vous venu aujourd’hui pour assister à cette remise des prix Le Livre tchèque ?
« Je suis venu à ma première foire du livre tchèque parce que je passe de plus en plus de temps sur les auteurs contemporains et je veux me faire une image précise et la plus large possible de ce qui s’écrit et se publie chez mes confrères, chez les jeunes éditeurs étrangers. Donc je commence à voyager un petit peu dans le monde, et puis l’opportunité offerte par le Livre tchèque est trop belle, trop généreuse pour la refuser. »
Envisagez-vous donc de publier encore un autre auteur, un autre livre tchèque ?« Mais je ne demande que ça. C’est avec beaucoup d’énergie que j’appelle les traducteurs du tchèque à m’ouvrir leurs tiroirs et à venir me voir pour me présenter des auteurs aux univers originaux et aux écritures poétiques. »
Abdelkader Retnani, roi des livres
Parmi les éditeurs invités par les organisateur du prix Le Livre tchèque 2016 il y a avait aussi Abdelkader Retnani, chef de la maison d’édition marocaine « La Croisée des chemins » fondée il y a trente-six ans et parallèlement aussi président de l’Union des éditeurs marocains. Ce n’était pas sa première visite à Prague :« Je viens à ce salon parce que ma vie a été forgée par un passage très important. Quand j’étais jeune étudiant, j’ai été marqué par mon passage en 1968 quand il y avait des chars russes à Prague. Et j’ai vu ça et ça m’a marqué à vie. Donc c’est mon premier souvenir que je garde de Prague et je continue à le porter avec moi. C’est une ville que j’aime beaucoup, les gens sont magnifiques. Prague est une ville, et Dieu sait que j’ai visité toutes les capitales du monde, une capitale paisible. »
Au Maroc, on vous appelle le « roi des livres ». Pourquoi ?
« Parce que je suis le premier éditeur par le nombre de titres, par le nombre de médiatisations, par le nombre de prix littéraires que j’ai gagnés. Chaque année j’en récolte encore et je continue à publier parce que ma thématique à moi, c’est les romans, les essais et les beaux livres sur le patrimoine. Je m’intéresse beaucoup à la mémoire et je suis aussi spécialiste de la mémoire juive au Maroc. Vous pouvez voir mes livres ici sur le stand de la France. Je me bats pour que tous les enfants puissent lire, pour qu’il y ait des bibliothèques même dans les petites villes les plus reculées, parce que sans la lecture et sans le savoir on ne peut pas avancer. »Votre séjour actuel à Prague pourrait-il contribuer d’une certaine façon à la publication par votre maison d’édition d’un livre tchèque ?
« Absolument, et je suis venu pour cela. Je suis déjà en train de préparer le prochain salon parce que je voudrais faire venir trois ou quatre auteurs. J’ai des rencontres avec des éditeurs tchèques pour essayer de trouver une formule pour qu’on fasse une sorte d’échange, que je prenne un texte pour le publier au Maroc et qu’un texte marocain soit publié réciproquement en République tchèque. Je souhaite traduire un des livres tchèques, un beau roman pour que je puisse le présenter dans le cadre du Salon de Casablanca qui est un très grand salon. »
Vous êtes un des coauteurs du livre « Ce qui nous somme ». Pouvez-vous expliquer quel a été l’objectif et le sens de ce ouvrage ?
« Moi, j’ai manifesté lors des événements de Charlie Hebdo. J’étais à Paris où j’ai présenté à l’Institut du Monde arabe un livre sur les Juifs au Maroc. Je l’ai présenté samedi, et dimanche j’étais déjà à la manifestation où j’ai marché comme des millions de personnes. Et j’ai vu qu’il y avait un amalgame, des gens qui y participaient parce qu’ils ont tout de suite fait la liaison entre ce qui s’était passé et les musulmans. Pour eux, l’origine de tout ça, c’étaient les musulmans. Mais je n’ai pas admis ça, parce que je connais l’histoire. Je connais ces personnes qui ont commis ces crimes odieux et qui sont d’abord et avant tout Français. Ils sont nés sur le sol français, ils ont été éduqués par la culture française, ils ne parlent pas l’arabe. Et s’ils sont passés de l’autre côté, c’est par ce qu’il y a des choses qui existent et auxquelles le pouvoir public doit s’intéresser. Il faut se demander pourquoi ce drame et ce changement de cap qui devient dangereux. Et puis j’ai entendu dire dans toutes les télévisions que la faute était à la religion de l’islam qui n’était pas compatible avec la vie dans un pays chrétien. Et cela m’a dérangé et je voulais expliquer que je suis dans un pays musulman, que nous parlons plusieurs langues, que nous avons des centaines de milliers de chrétiens qui vivent en paix et que vivre ensemble est possible si l’on connaît l’histoire de l’autre. Mais si l’on ne veut pas le connaître, ça posera toujours problème. Et je l’ai démontré en ayant fait appel à 35 auteurs marocains de différentes confessions pour leur expliquer qu’on ne peut pas ‘être Charlie’ parce que c’est à la mode. Moi, je condamne les attentats, je condamne les crimes, mais je ne suis pas Charlie. Mais la presse voulait absolument que je le sois. Et c’est là où le livre ‘Ce qui nous somme’ a vu le jour. Il a eu un très grand succès. Il a été primé par la presse italienne en novembre 2015. On en a fait deux tirages, on a eu deux prix littéraires pour le travail qui a été fait et je pense que c’est un livre qui peut servir à rapprocher ceux qui ne veulent pas se connaître. »Nous reviendrons encore à la foire Le Monde du Livre dans le cadre de cette rubrique samedi prochain.