Les églises baroques, symboles de la Contre-réforme, mais aussi résultat d’une création collective

La bataille de la Montagne Blanche

8 novembre 1620. Les armées protestantes de Bohême sont défaites par les troupes habsbourgeoises catholiques, mettant un coup d’arrêt définitif à la liberté de confession en pays tchèques et amorçant le processus de la Contre-réforme. Avec Nicolas Richard, doctorant français en cotutelle entre Paris et Prague, Radio Prague s’est intéressée à son sujet de thèse consacré au clergé catholique dans la période qui a suivi cette fameuse bataille. Nous vous proposons la première partie de cet entretien.

La bataille de la Montagne Blanche
Nicolas Richard, vous êtes doctorant et vous venez de passer une année, dans le cadre de votre thèse, au Cefres à Prague. Votre thèse, vous la préparez en cotutelle entre l’université Charles de Prague, sous la direction du professeur Martin Nejedlý, et l’université de Paris-Sorbonne, sous la direction du professeur Olivier Chaline. Vous vous intéressez, dans le cadre de vos recherches, aux conséquences de la Montagne Blanche en Bohême. Pourquoi avoir choisi cette époque et cet événement en particulier ?

La bataille de la Montagne Blanche
« Pour être exact, ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les conséquences de la Montagne Blanche, mais l’action du clergé paroissial dans la période qui va de l’épiscopat du cardinal Harrach à partir de 1623 jusqu’à la mort de monseigneur Breuner en 1710. Là, j’essaye de voir comment d’une population qui était à 90% non-catholique, on en est venu dès la fin du XVIIe siècle à une population très majoritairement catholique. Pas seulement catholique parce que le catholicisme est la seule religion autorisée, mais aussi catholique parce que c’est la religion qui correspond à leurs convictions personnelles, même s’il reste encore des poches de protestantisme. C’est un basculement extraordinaire qui est absolument sans précédent dans l’Europe du temps. »

Les chariots hussites
Longtemps dans l’historiographie tchèque, on a parlé de la période dite « des ténèbres », ou « temno » en tchèque, pour l’après-Montagne Blanche. Le pouvoir habsbourgeois, catholique, reprenait la haute main sur la Bohême rebelle, hérétique, étouffait dans l’œuf toute velléité de dissidence. C’est en tout cas l’interprétation qui en a été faite à partir du réveil des nationalités au XIXe siècle. Les communistes eux-mêmes, plus tard, se sont identifiés et appropriés les Hussites. Aujourd’hui, est-ce que ce clivage noir et blanc est dépassé et est-ce qu’on peut étudier l’après-Montagne Blanche avec plus de sérénité ?

« On peut bien entendu étudier la place de la Montagne Blanche dans l’esprit national tchèque depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours. Mais c’est un sujet en soi qui a des historiens très talentueux. Ce n’est pas l’objet de ma thèse. Il m’est donc très difficile de juger et de savoir si actuellement dans la société tchèque, la Montagne Blanche soulève encore les passions ou pas. Ce que je peux dire, c’est qu’un jour j’étais à un dîner avec un directeur d’une entreprise importante. Quand je lui ai dit que je travaillais sur le XVIIe siècle, il a fait les gros yeux et m’a dit que c’était horrible, car c’était la période où les chariots hussites avaient été vaincus par les Allemands à la bataille de la Montagne Blanche. Alors je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu le moindre chariot hussite à la Montagne Blanche, ils avaient sans doute tous disparus à la bataille de Lipany deux siècles avant. Mais ce qui est certain, c’est qu’on a beau être directeur d’une belle entreprise, ça ne dispense pas d’apprendre un peu l’histoire. L’ignorance permet toutes les manipulations. D’un autre côté, il est certain que dans l’historiographie tchèque, il y a un certain nombre d’oppositions, ce qui est légitime et normal. Ce ne sont pas que des oppositions purement intellectuelles, mais elles reflètent aussi des positions politiques. En tant que français, j’ai la chance de me sentir tout à fait étranger à ces polémiques. C’est une chance mais aussi une difficulté. Comme je n’ai pas baigné toute mon enfance dans l’histoire tchèque, j’aurai beau faire, je ne serai jamais aussi compétent et aussi érudit qu’un historien tchèque sur sa propre histoire. »

L'église Saint-Nicolas en Prague - l'example de l'architecture baroque
Après cette fameuse bataille de la Montagne Blanche, les églises baroques recouvrent la Bohême d’un « blanc manteau » pour paraphraser un chroniqueur de l’époque romane. Au XVIIe siècle, on pourrait d’ailleurs y rajouter un « blanc manteau tissé d’or » au vu de la profusion de richesses dont l’Eglise catholique les remplit. Le baroque, c’est la partie émergée de l’iceberg de cette Contre-réforme. Au quotidien, comment le paroissien de Bohême vit-il cette Contre-réforme ?

« Les églises baroques sont des documents historiques comme les autres. Peut-être plus agréables à regarder que des documents d’archives à moitié déchirés et avec une paléographique souvent difficile à déchiffrer. De toutes les façons, ces églises baroques ne peuvent être séparées de la civilisation qui les a produites. Votre comparaison avec la phrase de Raoul Glaber pour désigner le grand mouvement de reconstruction et d’embellissement des églises en France et en Italie autour de l’an mil, semble assez exacte parce qu’on assiste dans la Bohême baroque à un certain nombre de ces vagues de reconstruction d’églises. D’abord, à la fin de la Guerre de Trente ans, après les destructions énormes, il est nécessaire de réparer les églises. Ensuite, au début du XVIIIe siècle et tout au long de ce siècle, on a des vagues de reconstruction d’églises. Donc, actuellement quand on pense au baroque et aux églises baroques de Bohême, on ne parle pas vraiment du baroque du XVIIe siècle, mais plutôt celles du XVIIIe siècle, car la plupart des églises que nous voyons aujourd’hui, datent de ce siècle. Autant celles du XVIIe siècle répondaient à une nécessité, celle de reconstruire un patrimoine détruit pendant la guerre, autant celles du XVIIIe siècle sont le fruit d’une émulation entre les communautés, les seigneuries pour construire une église plus belle que celle du voisin. Il est donc certain qu’il s’agit là d’un phénomène comparable à celui que décrit Raoul Glaber. »

Au niveau du paroissien moyen, comment l’Eglise catholique reconquiert-elle ses brebis égarées ?

« Si l’on revient aux églises, quelle est la place du paroissien dans ces églises ? Est-ce qu’il se voit imposer une architecture étrangère, d’origine italienne, et que l’église catholique, soutenue par des magnats et de seigneurs étrangers, fait reconstruire dans les villages et villes de Bohême ? Ou ces églises sont-elles une création collective de toute la population ? Il faut voir pour cela qui paye pour ces églises, ce qui permet de voir comment les gens s’impliquent peu à peu dans la construction de leur église, symbole tangible, dans la pierre, de la religion. Le peuple des campagnes n’a certainement pas les moyens de payer le gros œuvre, les murs, les toits etc. De ce point de vue là, les églises sont donc faites aux frais du seigneur, même si c’est le plus souvent la corvée qui fournit la main d’œuvre nécessaire pour les murs et la réparation de toit. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on trouve dans ces églises, tout un mobilier, des ornements, qui ont la plupart du temps disparu, des objets en bois doré, en matériaux non-nobles, qui sont le résultat de donations faites par les paroissiens. Ceux-ci n’ont pas les moyens de construire des chapelles entières mais ils ont les moyens de donner des objets. C’est ce qui explique sans doute la profusion de ces petits objets en bois dans les églises de campagne. On peut regarder le paysage baroque comme une création collective parce que c’est le seigneur qui donne les grandes directions, qui fera faire le gros œuvre, mais pour les petites chapelles ou les croix de carrefour, on s’aperçoit que ceux qui payent sont soit les communautés locales, soit les principaux habitants des villages. Or quel est le rôle de l’Eglise dans ces constructions de croix et de chapelles ? On s’aperçoit à partir de l’épiscopat de monseigneur de Waldstein, soit dans le quatrième quart du XVIIe siècle, que désormais l’archevêque et les autorités cherchent à limiter ces constructions faites sans licence et sans autorisation par les petites gens des campagnes. Le clergé paroissial cherche beaucoup plus à encadrer des phénomènes de construction religieuse, à les freiner, plutôt qu’à les provoquer. On voit qu’il y a eu un basculement très clair, qu’il ne s’agit pas de l’imposition de quelque chose d’étranger mais d’une création collective où chacun joue son rôle : la masse de la population, la seigneurie et l’Eglise. »

Deuxième partie de cet entretien en septembre.