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2) Karel Zeman, le Méliès tchèque

'L’invention diabolique', photo: Musée Karel Zeman
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Pionnier tchèque des effets spéciaux au cinéma, le réalisateur Karel Zeman a sorti en 1958 son deuxième long-métrage « L’invention diabolique ». Vendue dans plus de 70 pays, cette adaptation du roman peu connu de Jules Verne « Face au drapeau » fait partie des plus grands succès du cinéma tchèque à l’étranger. Reconnu dans le monde entier pour son imagination débridée et ses trucages, Karel Zeman a inspiré de nombreux cinéastes, dont Steven Spielberg, George Lucas, Terry Gilliam et Tim Burton. Nous consacrons à Karel Zeman le deuxième épisode de notre série qui vous fait découvrir l'histoire du cinéma d'animation tchèque, depuis ses origines jusqu'à nos jours.

Karel Zeman,  photo: ČT

Réalisateur, scénariste et plasticien, Karel Zeman est né en 1910 à Ostroměř non loin de la ville de Jičín, dans le nord-est de la Bohême.

Orphelin de père, il vit avec sa mère, puis avec son beau-père et connaît la pauvreté. Petit, il monte déjà des spectacles de marionnettes pour son frère cadet. Bien que doué pour les arts, il étudie dans une école de commerce et se lance dans la publicité commerciale. Agé de 18 ans, le jeune homme part à Aix-en-Provence où il étudie la publicité. Il travaille ensuite, jusqu’en 1936, dans un studio de publicité de Marseille.

'Rêve de Noël',  photo: NFA

Le jeune Karel Zeman voyage aussi au Maroc, en Egypte, dans l’ancienne Yougoslavie et en Grèce. A son retour en Tchécoslovaquie, au début des années 1940, il réalise ses premiers films d’animation dans les studios de Zlín, en Moravie. Dans son premier court métrage, intitulé « Rêve de Noël », il ose déjà combiner la technique du film de marionnettes avec celle du film classique et c’est un succès : le film est primé en 1946 au Festival de Cannes.

'Monsieur Prokouk',  1947,  photo: repro Svět v obrazech,  14. 6. 1947,  public domain

Il crée ensuite une série de courts métrages grotesques et très appréciés du public, ayant pour personnage principal Monsieur Prokouk, un pantin au gros nez coiffé d’un chapeau de paille qui incarne un Tchèque ordinaire confronté aux problèmes de la vie quotidienne. Mais le véritable succès vient avec ses long-métrages qui mêlent dessins animés, marionnettes et prises de vue réelles, comme l’explique Michaela Mertová des Archives nationales du cinéma :

« Ce qui fait la magie des longs-métrages de Karel Zeman, c’est le fait qu’ils emportent le spectateur dans un monde imaginaire et très original. Dans ses plus grands films, il a créé un univers à lui, qui ne cesse d’étonner le public même à l’ère des technologies numériques. Il a su éveiller, chez les enfants comme chez les adultes, l’intérêt pour ce monde à lui, exotique, fantasque et plein d’aventures. »

Karel Zeman en tournant 'Voyage dans la préhistoire',  photo: ČT

En 1955, Karel Zeman réalise un de ses films culte, le « Voyage dans la préhistoire », où un groupe de quatre jeunes garçons part à la découverte des dinosaures. Son premier long-métrage est aussi le premier film où le réalisateur combine le film d’acteurs avec les techniques d’animation. Zuzana Kunstová, guide francophone du Musée Karel Zeman de Prague, explique :

« A l’époque, l’animation ne se faisait pas sur ordinateur comme aujourd’hui. Tout était beaucoup plus compliqué. Mais Karel Zeman était un véritable génie, quelqu’un de très créatif. Il a utilisé pour ce film la technique de multiple exposition avec caches. Elle consiste en l’exposition deux, voire plusieurs fois du même segment du négatif, chaque fois seulement en partie. Les autres parties restent dissimulées par des caches. Après chaque exposition, on revient en arrière et la partie filmée est, à son tour, dissimulée par des caches, tandis que la partie cachée lors de la prise précédente est exposée. Ainsi, il a par exemple animé une maquette de mammouth. »

'L’invention diabolique',  photo: ČT

Tout comme les autres pionniers de l’animation tchèque, Karel Zeman a expérimenté avec des techniques diverses et inventé son style à lui, original et inimitable. Pour son deuxième long-métrage « L’invention diabolique », récompensé à l'Exposition universelle de 1958, il s’est inspiré des romans de Jules Verne et des gravures d’Edouard Riou. Ce film en noir et blanc, accompagné de la musique du compositeur Zdeněk Liška, raconte l’histoire de l’ingénieur Šimon Hartl let du professeur Roch. Ces deux chercheurs brillants et imaginatifs sont enlevés par le terrible comte Artigas, qui veut se servir de leur dernière invention : un explosif particulièrement dangereux et destructeur.

'L’invention diabolique',  photo: Musée Karel Zeman

Dans ce film, Karel Zeman a fait évoluer des acteurs en chair et en os dans des décors composés de gravures agrandies, très souvent animés. Les rayures qui caractérisent les gravures de l'époque sont présentes à chaque plan, elles apparaissent sur le ciel, sur la mer ou sur les habits des personnages.

'Le dirigeable volé',  photo: ČT

Le cinéaste utilisera un procédé similaire pour ses succès suivants intitulés « Sur la comète » et « Le dirigeable volé ». Finalement, les gravures de Gustave Doré lui permettront de créer un film irrésistible sur les aventures du baron de Münchhausen (Le Baron de Crac).

'L’Apprenti sorcier',  photo: ČT

Dans les années 1970, Karel Zeman s’est consacré aux dessins animés pour enfants qui se distinguent de ses longs-métrages plus connus, mais qui sont tout aussi inventifs et créatifs visuellement. De cette époque datent ses œuvres tardives, telles « Les Contes des mille et une nuits », « L’Apprenti sorcier », une œuvre magique réalisée avec la technique d’animation en papier découpé, ou encore la dernière œuvre de sa filmographie, le conte « Jeannot et Mariette », sorti en 1980. De cette même année date une interview que Karel Zeman a accordé à la Radio tchécoslovaque. En voici un extrait :

« J’ai un des plus beaux métiers au monde : je raconte des histoires. Je dessine un personnage, j’imagine une histoire et pendant plusieurs semaines, nous travaillons, avec mon équipe, sur la partie animation. Nous insufflons la vie à ce personnage. Lors de la première projection, tout ce que nous avons inventé devient réel. Cela me réjouit énormément. Déjà quand on réalise un dessin, cela rend heureux. Et quand on arrive en plus à lui donner vie, c’est un double plaisir ! »

Karel Zeman avec sa fille Ludmila,  photo: ČT

La fille du cinéaste, Ludmila Zemanová, elle-même illustratrice et animatrice, a collaboré à plusieurs films de son père. Elle se souvient :

'Jeannot et Mariette',  photo: Musée Karel Zeman

« Notre collaboration a commencé avec le film ‘Le dirigeable volé’, mais j’ai notamment participé à la réalisation des ‘Contes des mille et une nuit’ et des autres dessins animés. Evidemment, la collaboration entre un père et une fille n’est pas toujours facile, mais nous avions la même vision des choses. J’aimais beaucoup mon père. Il était bienveillant, mais en même temps exigeant et sévère. »

« J’ai encore collaboré à son dernier film ‘Jeannot et Mariette’. Ensuite, la situation dans les studios est devenue insupportable, on ne pouvait plus y travailler. Alors j’ai décidé de quitter le pays et de m’aller vivre au Canada. »

Ludmila Zemanová,  photo: Adam Kebert,  ČRo

Installée depuis 1984 outre-Atlantique, Ludmila Zemanová a publié plusieurs livres sur son père et a soutenu la fondation en 2012 du Musée Karel Zeman, situé rue Saská, près du pont Charles à Prague. Visité chaque année par environ 40 000 personnes, le Musée Karel Zeman accueille des cinéphiles venus du monde entier. A travers une exposition interactive, il permet une véritable plongée dans l’univers fantastique de Karel Zeman.

Musée Karel Zeman | Photo: Jekaterina Staševska,  Radio Prague Int.

« Les visiteurs peuvent tout essayer dans notre musée, manipuler les objets et jouer aux cinéastes, mais ils ne peuvent pas toucher les costumes exposés ! (rires) Ils ont été créés pour les films de Karel Zeman dans les studios Barrandov qui nous les a prêtés. Ils sont très précieux », explique la guide Zuzana Kunstová.

Surnommé parfois le « Méliès tchèque », Karel Zeman, s’est effectivement inspiré des films du pionnier français du cinéma et grand magicien de l’écran. Mais, comme le souligne l’historienne Michaela Mertová, il a créé sa propre méthode et son univers à lui, un univers qui continue à séduire les spectateurs jusqu’à nos jours. Le public francophone n’est pas privé de ce plaisir, car les films de Karel Zeman, décédé en avril 1989, sont accessibles sur DVD en version française, grâce aux éditions Malavida.

« Pour qu’un film soit inoubliable, atemporel, il faut qu’il ait une histoire forte et intéressante. C’est toute la magie de l’histoire et la magie entre les acteurs qui est en jeu. Les livres de Jules Verne continuent de passionner les lecteurs et je pense qu’avec les films de Karel Zeman, c’est pareil. Ils font rêver les spectateurs et peu importe qu’ils aient été tournés sur une bobine de film ou créés par ordinateur. »

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