Karel Zeman, le visionnaire du grand écran
Plusieurs générations de spectateurs ont été subjuguées par l’art et la fantaisie du réalisateur de cinéma Karel Zeman (1910-1989). L’artiste qui a donné au cinéma de nouveaux moyens d’expression, fait l’objet d’une importante monographie sortie récemment aux éditions CPresse sous le titre « Karel Zeman a jeho kouzelný svět » (Karel Zeman et son monde magique).
Une monographie complète
La création de ce livre évoquant l’itinéraire brillant de Karel Zeman est une affaire de famille. Conçue et réalisée par sa fille Ludmila Zemanová et sa petite-fille Linda Zeman-Spálená, la monographie réunit d’innombrables photos et documents écrits sur la vie et les films de ce magicien du grand écran. Ce riche matériel iconographique est accompagné par les textes et notes explicatives de sa fille qui a été pendant un certain temps sa proche collaboratrice. Pour Ludmila Zemanová réunir tous ces documents dans un livre n’a pas été une tâche facile :« C’était un énorme travail. Nous n’avons achevé ce livre qu’au bout de deux ans. Je suis infiniment reconnaissante à ma fille d’avoir supporté tout cela avec moi et d’avoir donné la forme définitive à ce livre. Nous avons préparé tous ces documents pour l’ordinateur. Ce n’était pas facile. Aucun livre d’une telle ampleur sur mon père n’avait jamais été créé auparavant. Le lecteur y trouve une filmographie absolument complète et aussi tout ce qui était exceptionnel et le plus important dans ses films. »Du bourg d’Ostroměř aux studios de Zlín
C’est la commune d’Ostroměř non loin de la ville de Jičín en Bohême du nord qui est la patrie de Karel Zeman. Il est né dans ce petit bourg en 1910 et son enfance n’est pas heureuse. Orphelin de père, il vit avec sa mère et puis avec son beau-père et connaît la pauvreté. Petit, il monte déjà des spectacles de marionnettes pour son frère cadet. Bien que doué pour les arts, il étudie dans une école de commerce et se lance dans la publicité commerciale. A 18 ans déjà, il part pour la France pour parachever ses études dans une école française et travaille ensuite jusqu’en 1936 dans un studio de publicité de Marseille.Revenu en Tchécoslovaquie pour faire son service militaire, il réalise ses premiers films dans les studios de la ville de Zlín. Dans son premier court métrage intitulé « Rêve de Noël », il ose déjà combiner la technique du film de marionnettes avec celle du film classique et c’est une réussite. Le succès véritable ne vient cependant qu’avec la série de courts métrages dont le héros « Monsieur Prokouk » est une image humoristique et caricaturale du citoyen ordinaire qui cherche à se débrouiller dans les situations difficiles de la vie de tous les jours. C’est la figurine de monsieur Prokouk qui fait connaître Karel Zeman dans son pays et à l’étranger. Ludmila Zemanová explique les particularités du style de son père :
« En travaillant sur le livre de mon père, je me suis rendue compte avec quelle précision et profondeur il avait réalisé ses films. Au départ, il y avait toujours une excellente idée originale et les scénarios étaient toujours parfaits sur le plan littéraire. Mon père voulait également que ses films donnent au spectateur quelque chose sur le plan plastique et artistique, il voulait l’instruire. Il s’inspirait chez les grands de la littérature mondiale, chez Jules Verne par exemple, et il s’y prenait tellement bien qu’il réussissait à montrer les plus beaux aspects de ces auteurs et de leurs œuvres. Il s’inspirait aussi de divers courants artistiques, dont l’impressionnisme. Dans ce livre je cherche donc à mettre en relief tous ces aspects que je trouve merveilleux. Mon père voulait apporter un enrichissement dans la vie du spectateur. Et c’est aussi la cause de la pérennité de ces films. »Les inspirations de Jules Verne
La première œuvre de Karel Zeman inspirée déjà en partie par Jules Verne est « Le Voyage dans la préhistoire », l’histoire de quatre jeunes garçons qui découvrent, 38 ans avant « Jurassic Park » de Steven Spielberg, l’univers fascinant des prédateurs monstrueux et de la flore antédiluvienne. Ludmila Zemanová ajoute encore un détail sur les inspirations de son père:« Je pense que c’est un autre trait génial de mon père. Il trouvait par exemple des sujets dont personne ne se doutait qu’ils pourraient servir pour des films. A l’époque on ne savait que peu de choses sur les animaux préhistoriques. Nous avions quand même un avantage, nous les Tchèques, d’avoir un excellent peintre, Zdeněk Burian, qui évoquait magistralement la faune préhistorique dans ses tableaux. A part cela, la préhistoire était un monde quasi inconnu. »
C’est l’adaptation pour l’écran du roman « Face au drapeau » de Jules Verne qui sous le titre « Vynález zkázy » (L’Invention diabolique) apportera à Karel Zeman la célébrité dans le monde et toute une série de prix internationaux. En animant dans le film les illustrations originales des « Voyages extraordinaires » de Jules Verne, il revient aux impressions inoubliables des lectures de son enfance et les fait partager au public international. Encouragé par ce succès, il utilisera ce procédé aussi dans ses films suivants dont « Sur la comète », « Le dirigeable volé » ou « Le baron de Crac ». Son inventivité est prodigieuse. On peut dire que pour tous les films qu’il réalise, il invente et met au point des moyens d’expression appropriés et des effets spéciaux souvent inédits. Il attirera dans les studios de Zlín aussi sa fille Ludmila :
« Depuis ma plus tendre enfance, je jouais avec des marionnettes des films de mon père. C’étaient mes jouets à l’époque où les jouets véritables étaient encore rares. Comme nous habitions tout près des studios, j’y allais avec plaisir. Je regardais comment on confectionnait les marionnettes, c’était pour moi un monde de conte de fées. Je me rendais aussi dans la salle de projection pour regarder des films que je ne pouvais pas voir au cinéma. Ainsi j’ai pu voir entre autres ‘Blanche-neige et les sept nains’ de Walt Disney et j’ai été fascinée. Je pense que j’ai eu une belle enfance. »Ludmila Zemanová, héritière de son père
Aujourd’hui Ludmila Zemanová peut se retourner avec fierté sur sa propre œuvre. Etablie au Canada depuis 1984, elle est peintre, écrivaine et cinéaste. Ses livres, dont la trilogie « L’Epopée de Gilgamesh », ont obtenu de nombreuses distinctions internationales et son film « Lord of the Sky » a été nominé aux Oscars. Elle se rend compte qu’elle doit ses succès en partie aussi à l’apprentissage du métier de cinéaste dans le studio de son père :« Ce n’était pas facile. Après des études dans une école d’art que j’ai terminées avec succès, je voulais peindre et devenir artiste. Mais mon père a dit: ‘Non, tu vas travailler dans mon studio. Tu vas apprendre tout depuis le début parce que le cinéma est un métier.’ Alors il m’a amenée devant un tour et m’a dit de fabriquer, de tourner la tête d’une marionnette en bois. J’étais d’abord effrayée mais j’ai fini par dominer ma peur. Par la suite j’ai peint des décors de fond, j’ai découvert la technique du montage. Je n’ai réalisé que plus tard combien cet apprentissage de chaque étape du processus de création était important pour pouvoir faire des films. »
Aujourd’hui Karel Zeman a un musée dans le quartier de Malá Strana à Prague, récemment son film « L’Invention diabolique » a été numériquement restauré, et, grâce à sa fille et sa petite-fille, sa vie et son œuvre font l’objet d’une monographie représentative. Il constitue, à lui seul, un important chapitre de l’histoire du cinéma. A l’époque où les cinéastes disposent de techniques ultrasophistiquées pour réaliser toutes leurs fantaisies, il n’en finit pas de leur rappeler par ses œuvres que les films basés sur les effets spéciaux ne devraient pas manquer d’une qualité très importante – la poésie.