Les grands thèmes de Danièle Sallenave

Auteur de romans, d’essais et de pièces de théâtre, Danièle Sallenave a collaboré avec des revues importantes dont «Temps modernes», mais aussi avec le journal «Le Monde». Sa riche bibliographie témoigne de l’ampleur et de l’importance des thèmes qui l’intéressent, thèmes qui seront peut-être décisifs pour l’évolution de la civilisation. Parmi ces thèmes - le féminisme et la condition féminine mais aussi le rapport de notre société vis-à-vis des religions. Lauréate de plusieurs prix littéraires, dont celui de l’Académie française, elle a fondé en 2005 un festival littéraire à Savennières près d’Angers, pays de son enfance. Au début de cette année, elle a publié chez Gallimard une biographie de Simone de Beauvoir. C’est ce livre qui a été évoqué, entre autres thèmes, par Danièle Sallenave dans un entretien accordé à Radio Prague:

Vous avez écrit un livre sur Simone de Beauvoir? Expliquons d’abord le titre de ce livre. Pourquoi «Castor de guerre»?

«‘Castor de guerre’, c’est une expression qu’elle emploie, elle-même, quand elle envoie une photo à un ami. Comme c’est au moment de la déclaration de la guerre, elle met ‘Castor de guerre’. Ce ‘Castor’ était son surnom que lui avait donné un ami, puisque les castors ce sont les petites bêtes sympathiques qui construisent, qui sont très actives, ça lui va bien. Et moi je l’ai pris dans un sens beaucoup plus large, plus symbolique, comme l’image d’une personne qui est toujours combattante, toujours sur la brèche, toujours en alerte.»

Pourquoi une biographie de Beauvoir puisque elle-même a écrit ses Mémoires? En quoi ce livre enrichit nos connaissances de sa personnalité?

«Mon but n’était pas seulement d’enrichir la connaissance de sa personnalité, mais surtout de montrer que les Mémoires de Simone de Beauvoir ne sont pas simplement une biographie où elle raconte des faits. C’est aussi une interprétation qu’elle donne de sa vie. Et cela m’a amusée et intéressée de voir comment elle se voyait, comment elle se racontait, comment elle se décrivait. Une lecture de ses Mémoires le montre.»

Quel rôle cette femme, philosophe et écrivain a joué dans votre vie?

«Ce rôle pour moi, il est tout entier dans la lecture que j’ai faite, dans le premier volume des Mémoires, ‘Les Mémoires d’une jeune fille rangée’, où elle donnait à ceux qui la lisaient, et, j’espère, aux garçons autant qu’aux jeunes filles, l’idée : ‘Je dois choisir librement ma vie’. Si je suis une femme, je ne suis pas obligée de faire ce que veut la tradition, la religion, la morale. Je peux aussi choisir librement d’être mère ou de ne pas l’être. Et pas seulement. Elle voulait aussi un destin d’écrivain, destin d’une femme qui se choisit librement. Et cela m’a donné confiance.»

Quelles idées de Simone de Beauvoir sur la femme et sur la condition féminine restent actuelles ?

«Ce qui me paraît actuel, c’est qu’elle souhaite qu’on n’accepte pas les formes quelles qu’elles soient, tantôt économiques, tantôt, sociales, tantôt religieuses, de soumission des femmes. Elle voit bien que, dans l’histoire de l’humanité, il y toujours eu deux sexes, et qu’il y avait un sexe qui dominait l’autre. Elle cherche les raisons de cette domination. Elle pense que la principale raison, c’est que la femme ou les femmes font les enfants, et elle pense que ce n’est pas le destin des femmes. C’est une possibilité pour les femmes, ce n’est pas leur unique destin. Mais il y a pourtant beaucoup d’endroits dans le monde où les femmes n’ont d’autre destin que de faire des enfants. Et pour elle, c’est une manière de réduire leur liberté d’être humain. »

Vous aussi, vous êtes écrivain et avez écrit un roman qui se passe à Venise, La Fraga. C’est l’histoire d’une femme qui est à la recherche de sa liberté. Dans quelle mesure avez-vous été inspirée, en créant ce personnage, par les idées de Simone de Beauvoir?

«Vous remarquerez, que contrairement à Simone de Beauvoir, cette femme a un enfant. Elle accepte cet enfant. Elle ne le refuse pas, mais elle voudrait, et là je voulais apporter quelque chose de différent, elle voudrait construire avec cet enfant une relation un peu différente des relations qu’elle voit autour d’elle. Elle voit autour d’elle à Venise, vers 1900, des femmes du peuple (elle vit dans les quartiers populaires de Venise) qui ont des rapports affectifs. Tantôt elles embrassent les enfants, tantôt se mettent en colère. Elle voudrait les rapports plus rationnels, plus construits. Elle adore son fils. Elle souffrira beaucoup quand son fils sera tué pendant la Première Guerre mondiale, mais j’ai voulu montrer une femme désirant construire. Elle pensait qu’il fallait réfléchir aussi ce rapport-là, qu’il ne fallait pas le vivre comme un animal qui a son rapport à ses petits.»

Dans le livre ‘Dieu.com’ vous abordez des problèmes de la religion. Quels problèmes précisément?

«Pourquoi j’ai mis ce titre ? Je conjugue quelque chose qui est très ancien, la croyance religieuse et surtout les religions instituées et puis quelque chose qui est très moderne, l’Internet. J’ai voulu réfléchir un peu à ce qui était la situation des religions à l’époque de l’extrême modernité. Je ne parle pas tellement de la foi religieuse, parce qu’il n’y rien à dire. Quelqu’un a la foi religieuse, moi je le respecte complètement. C’est une expérience. Mais je parle des religions avec tout ce qu’elles entraînent de dogmes, tout ce qu’elles imposent par exemple aux femmes, de soumission, dans l’islam, dans la religion juive, dans la religion hindoue. Le christianisme s’est un petit peu corrigé, petit à petit, mais aux départ les femmes n’étaient pas les égales des hommes. Je me suis demandée ce qui se passe dans le monde moderne. On pouvait à la fois être fou de technique et d’Internet et d’être repris par ce poids des religions. Je ne parle pas de la foi religieuse, mais des religions instituées.»

Il y a beaucoup de religions. Sommes-nous déjà capables d’être objectifs vis-à-vis de ces religions ? Est-ce qu’une objectivité vis-à-vis d’une religion est possible ?

«Moi, je crois que nous autres Occidentaux, Européens en tout cas, mais pas seulement, nous ne pouvons pas être objectifs, même si on n’est pas croyant, même si on ne pratique pas de religion, on est élevé dans le cadre des religions monothéistes, et de tout ce qu’elles emportent comme idées, comme ordre. Nous sommes à l’intérieur de tout cela et c’est un peu difficile, certainement, mais je voudrais aussi pouvoir dire qu’on peut vivre une vie morale, honnête, à tous les points, privée et publique, sans appartenance religieuse. C’est important de le dire parce qu’aujourd’hui on a l’impression que tout le monde doit avoir une religion et il y a aussi des gens qui n’en ont pas. Et ce n’est pas mal, à mes yeux.»

Et encore une dernière question. Vous avez donné une impulsion pour la création du festival «Terres à vin. Terre à livres» à Savennières. Pouvez-vous présenter ce festival?

«Ce festival, je l’ai créé dans le village où j’ai passé mon enfance et surtout où mes parents étaient instituteurs. C’est une manière de rendre hommage à l’action qu’ils ont menée. Je crois beaucoup à l’éducation, surtout primaire, première. C’est un village qui est très beau, qui produit un très bon vin, et moi je me suis dit: ‘Au fond, le vin et les livres c’est pareil’. Ca donne tout le charme de la vie. Ca donne quelque chose de plus qu’on peut mettre, peut-être, en parallèle. Le vin, on le consomme avec modération, et les livres sans modération.»