Quelques idées à retenir
Pour le début de la Nouvelle année, j’aimerais jeter un regard en arrière et vous rappeler quelques-unes des personnalités que je vous ai présentées dans le cadre des ces rencontres littéraires au cours de 2008. C’étaient des rencontres enrichissantes que je ne suis pas prêt d’oublier. Je vous propose donc quelques extraits de tous ces entretiens dans lesquels les personnalités interrogées ont formulé des idées qui méritent d’être retenues car elles donnent matière à réflexion.
C’est en novembre que j’ai interrogé le poète et romancier français Bernard Noël. Je lui ai demandé si notre compréhension et notre perception de la poésie évoluaient avec le temps. Ecoutez sa réponse:
«Je suppose que oui. Et en même temps nous vivons une époque, j’aillais dire dramatique. En tout cas en France parce que la poésie et beaucoup d’autres éléments de notre culture vivent, aujourd’hui comme au cours des siècles, avec le secours des autorités culturelles. Et aujourd’hui dès l’arrivée au pouvoir de notre actuel président, il n’y plus qu’une seule valeur, c’est la valeur comptable. C’est-à-dire la compétitivité et la vente. Le président est allé expliquer aux syndicats des éditeurs que la valeur d’un livre est très simple : c’est le livre qui se vendait le plus qui était le meilleur. Il y a donc cette atmosphère qui est en train de se répandre dans tous les organismes culturels. C’est la rentabilité qui compte. Je ne sais pas si l’on emploi ce terme mais c’est la quantité qui règne. Je pense que c’est une des caractéristiques de l’époque depuis que l’audimat a remplacé la majorité. L’audimat n’est qu’une quantité et cette quantité est devenue la base. Ce qui n’a jamais existé dans l’histoire, c’est que la chose la plus écoutée est la meilleure. On juge de la qualité des émissions télévisuelles, mais pas seulement des émissions culturelles qui sont très peu nombreuses, uniquement sur ce qu’on appelle l’audimat, c’est-à-dire le nombre d’écoutes. Il y a un livre d’un personnage un peu marginal qui s’appelle René Guénon qui s’intitule ‘Le Règne de la quantité et les signes des temps’. Le règne de la quantité ne peut annoncer que la fin des choses auxquelles nous tenons.»
Y a-t-il une issue à cette situation, un refuge contre tout cela?
«Je ne sais pas, j’ai l’impression qu’il n’y a que des couvents. Je me dis parfois que la culture a survécu, après les Romains, dans les couvents, dans les monastères, pendant presque un millénaire. Je me demande si l’on n’est à l’entrée d’une nouvelle barbarie qui fera que nos valeurs ne survivront que dans les monastères. Mais il n’y plus de monastères.»
En décembre 2008, l’Institut français de Prague a accueilli l’écrivaine et journaliste Danièle Sallenave, auteur d’une biographie de Simone de Beauvoir. Elle a expliqué au micro de Radio Prague quel rôle l’auteur du Deuxième sexe a joué dans sa vie et quelles idées de Simone de Beauvoir sont toujours actuelles:
«Ce rôle pour moi, il est tout entier dans la lecture que j’ai faite, dans le premier volume des Mémoires, ‘Les Mémoires d’une jeune fille rangée’, où elle donnait à ceux qui la lisaient, et j’espère aux garçons autant qu’aux jeunes filles, l’idée : ‘Je dois choisir librement ma vie’. Si je suis une femme, je ne suis pas obligée de faire ce que veut la tradition, la religion, la morale. Je peux aussi choisir librement d’être mère ou de ne pas l’être. Et pas seulement. Elle voulait aussi un destin d’écrivain, destin d’une femme qui se choisit librement. Et cela m’a donné confiance. (…) Ce qui me paraît actuel, c’est qu’elle souhaite qu’on n’accepte pas les formes quelles qu’elles soient, tantôt économiques, tantôt, sociales, tantôt religieuses, de soumission des femmes. Elle voit bien que dans l’histoire de l’humanité il y toujours eu deux sexes, et qu’il y avait un sexe qui dominait l’autre. Elle cherche les raisons de cette domination. Elle pense que la principale raison, c’est que la femme ou les femmes font les enfants, et elle pense que ce n’est pas le destin des femmes. C’est une possibilité pour les femmes, ce n’est pas leur unique destin. Mais il y a pourtant beaucoup d’endroits dans le monde où les femmes n’ont d’autre destin que de faire des enfants. Et pour elle, c’est une manière de réduire leur liberté d’être humain. »
En mars, j’ai invité au micro de Radio Prague le professeur Jan Švejnar, économiste renommé et unique rival de Vaclav Klaus aux dernières élections présidentielles en République tchèque. Jan Švejnar a évoqué entre autres les défis que la République tchèque se devait de relever et les perspectives de notre pays dans le monde globalisé:
«Ce sont les défis qu’on voit partout dans le monde, dont la globalisation. La République tchèque est parmi les pays qui sont les plus ouverts au monde. Quelque deux tiers de la production tchèque sont exportés, deux tiers de la consommation tchèque sont importés. C’est donc un pays qui est très, très ouvert économiquement. La concurrence des pays de l’Est, dont la Chine et l’Inde, augmente. Alors, la question qui se pose pour la République tchèque est de trouver les réseaux de production où la concurrence n’est pas aussi forte que dans les réseaux de production de base, dans l’industrie textile, etc. (…) Je pense que nous nous dirigeons vers une société moderne qui accepte le monde globalisé mais connaît aussi les problèmes qui se présentent. Je crois que nous aboutirons à un système bien social mais beaucoup plus efficace que le système que nous avons maintenant. Disons que, dans dix à quinze ans, la République tchèque sera un pays compétitif avec une démocratie beaucoup plus forte où il y aura moins de corruption que nous y voyons maintenant. Et ce sera le résultat des pressions et de la concurrence du monde globalisé. »
Au mois de mai, j’ai interviewé Stéphane Reznikow, auteur du livre « Francophilie et identité tchèque ». Je lui ai demandé entre autres si les Tchèques sont toujours francophiles:
«Tous les sondages montrent, quand on demande aux Tchèques quel est leur pays préféré, que la France arrive très régulièrement en première position. J’ai lu une interview du président Klaus qui expliquait qu’un de ses seuls regrets dans la vie était de ne pas avoir appris le français. Donc, il reste encore une image très positive de la France, une sympathie pour la France. Très peu de Tchèques disent détester la France. On peut parfois se moquer de la France. C’est très courant mais ça existait déjà au XIXe siècle. On pouvait parfaitement être francophile tout en considérant que la France était un pays qui déclinait. Ce n’est pas contradictoire. Justement, quelquefois on préfère être l’allié de quelqu’un qui n’est pas trop dangereux. Maintenant, les relations se sont normalisées. Avant 1914, il y avait très peu de relations économiques, maintenant les relations économiques sont courantes, naturelles. Beaucoup de jeunes Français viennent, beaucoup de jeunes Tchèques viennent. Donc, il y a un échange, une connaissance bien meilleure. Au XIXe siècle, les Tchèques étaient peut-être beaucoup plus francophiles mais ils ne connaissaient pas la France, maintenant ils sont peut-être moins francophiles mais ils connaissent mieux la France.»