Les loisirs et les fêtes de la vieille Prague

Comment les Pragois s’amusaient-ils au XIXe siècle ? Etaient-ils sociables ? Quels loisirs appréciaient-ils ? Prague était-elle une ville ouverte, accueillante et enjouée, ou plutôt une cité fermée, taciturne et recroquevillée sur elle-même dont la population préférait la vie d’intérieur et de famille aux distractions de la société ? Vous trouverez les réponses à toutes ces questions dans le livre « Les loisirs et les fêtes de la vieille Prague » paru aux éditions Ostrov.

C’est surtout dans le matériel iconographique que réside l’intérêt de ce beau livre. L’ambition de son auteur, Zdeněk Míka, était d’évoquer les aspects sociaux de la vie des Pragois et notamment leurs loisirs et leurs distractions au cours de la période allant de la fin du XVIIIe au début du XXe siècles:

«Lorsque nous préparions une exposition intitulée ‘Comment on s’amusait à Prague’, nous avons envisagé de publier aussi un livre sur cette thématique. Seulement, en ce temps-là, nous manquions de moyens financiers. La réalisation du livre a donc été différée et celui-ci est finalement sorti un peu plus tard et avec un autre titre.»

Il n’a pas été facile de rassembler les innombrables documents pour ce livre volumineux car son auteur cherchait à sauver de l’oubli les loisirs et donc les activités périssables qui n’attiraient que rarement l’attention des historiens et des archivistes. Heureusement, il y a à Prague des personnes qui se sont rendu compte de l’importance de ces activités éphémères:

«Un des membres de l’ordre des Prémontrés qui possédait la bibliothèque du couvent de Strahov à Prague, semblait se douter que ce genre de documents imprimés sur les loisirs et amusements marginaux, non officiels et populaires, pourrait intéresser quelqu’un après plus d’un siècle. C’est ainsi qu’a été réunie dans la bibliothèque de Strahov une jolie collection de ces vieux documents imprimés.»

C’est grâce aux violons d’Ingres de certains Pragois que beaucoup de ces documents ont été sauvés. Les historiens et archivistes sont redevables notamment aux collectionneurs de cartes postales qui sont aujourd’hui une source inappréciable d’informations sur la culture non officielle et la vie quotidienne des Pragois aux XIXe et XXe siècles.


Le livre de Zdeněk Míka est divisé en plusieurs chapitres dont chacun d’entre eux est consacré à un ensemble des loisirs. D’innombrables dessins, peintures, gravures, daguerréotypes et photos retracent ces moments oubliés. Zdeněk Míka évoque les activités qui distinguaient les Pragois des habitants d’autres capitales européennes:

«On peut dire que les Pragois manifestaient un intérêt passionné pour certains loisirs comme, par exemple la consommation de bière dans les brasseries. C’est ce qu’ont remarqué certains voyageurs étrangers qui se sont rendus à Prague. Ils ont également remarqué avec quel entrain les jeunes Pragois et surtout les jeunes Pragoises s’adonnaient à la danse. On y dansait, comme dans tous les pays de l’Empire autrichien ou en Allemagne, mais, selon ces sources, avec plus d’entrain qu’ailleurs.»


Les loisirs des Pragois étaient bien variés. Ils faisaient des promenades et des randonnées. Ils participaient, nombreux, aux grandes fêtes religieuses, aux défilés et aux cérémonies officielles comme les couronnements, les inaugurations de divers monuments et les poses de première pierre. Ils adoraient les démonstrations de nouvelles inventions techniques, les vols en ballon, les présentations publiques des premières automobiles et des premiers avions. Ils raffolaient aussi des journaux humoristiques, des caricatures et de la satire. Ils peuplaient une quantité considérable de brasseries, de cafés, de bars à vin, de cafés-théâtres et de cafés-concerts. Ils pouvaient choisir parmi plusieurs théâtres, salles de concert, théâtres de variété, arènes, cirques et d’autres attractions. Et ils faisaient aussi du sport et assistaient avec plaisir aux compétitions sportives et aux fêtes gymniques qui ont pris progressivement des dimensions gigantesques. Zdeněk Míka rappelle que tout cela se déroulait dans une société très hiérarchisée:

«Nous trouverions les critères de la hiérarchie sociale dans la saison des bals, qui nous permettrait de distinguer très facilement les diverses couches de la population. Des bals et soirées dansantes fermés au public et où il n’était pas possible d’entrer sans une invitation, étaient organisés dans les milieux aisés. Ce qui a cependant ouvert une brèche dans ce monde clos, ce sont les bals masqués qu’on a commencé à donner au Théâtre de la Nouvelle ville à Prague. L’entrée y était libre. N’importe qui, même les passants de la rue, y étaient admis. Et la société y était joliment métissée, les barrières sociales tombaient. On y allait à cause de la sensation que provoquait l’accoutrement de certaines femmes que nous considérerions aujourd’hui comme tout à fait innocent, mais qui, à l’époque, dans ce milieu très prude, provoquait à la fois le rejet et la curiosité. Dans la haute société on n’en parlait pas, mais selon un témoignage de l’écrivain et journaliste Ignát Hermann, parfois s’y rencontraient, à leur grande surprise, les personnes du meilleur monde qui se connaissaient, condamnaient ce genre de distraction et étaient donc bien embarrassées.»


En feuilletant le livre de Zdeněk Míka, on se rend compte que les plaisirs et les distractions des simples gens, ces moments privilégiés d’une population, ne sont pas moins importants pour l’évolution d’un peuple que les grands événements. Beaucoup de Pragois s’intéressaient à ces petits plaisirs quotidiens beaucoup plus qu’aux grands événements qui figurent aujourd’hui dans les manuels d’histoire. C’est dans ces petites activités de tous les jours qu’il faut chercher les racines des tournants historiques. La petite et la grande histoires s’entremêlent et s’influencent mutuellement. C’est dans les loisirs et les distractions des simples Français de la seconde moitié du XVIIIe siècle, dans les innombrables pamphlets, dans la presse satirique et dans les spectacles de la rue ridiculisant la cour et la famille royale qu’on pouvait déjà déceler les signes de l’ouragan révolutionnaire qui devait balayer la monarchie et ébranler le monde.