La place Venceslas à travers l'histoire
Une exposition en plein air présentant des photos, des tableaux et des gravures réunis par l'architecte et urbaniste Petr Kučera s'est tenue ces derniers jours en haut de la place Venceslas. Les documents exposés retracent les transformations de cette place emblématique de Prague au cours de ses plus de six siècles d'existence. Le public a eu l'occasion de comparer l'image de l'ancien Marché aux chevaux, nom que portait la place autrefois, avec la large avenue à laquelle elle ressemble désormais et qui est une importante artère commerçante de la ville mais surtout un haut lieu de l'histoire tchèque.
Avec ses 750 mètres de long pour 60 mètres de large, elle était exceptionnelle pour le Moyen-âge. C'est lors d'un événement historique, la Révolution de 1848, qu'elle est devenue un symbole de l'identité de la nation tchèque et a pris son nom actuel, en l'honneur du saint patron du pays, Venceslas, dont la statue équestre domine le haut de la place. L'architecte Petr Kučera qui a organisé l'exposition retraçant les métamorphoses de la place Venceslas revient sur l'histoire de cet endroit :
« Pendant cinq siècles, la place Venceslas a joué le rôle d'un grand marché. Avec l'apparition des marchés couverts, au XIXe siècle, la place dégagée commence à être utilisée à des fins de représentation et de promenade. Trois rangées de tilleuls plantées de chaque côté longent la place, contribuant au charme historique de l'endroit. En 1891, on achève la construction du Musée national qui va dominer l’endroit. En 1884, le premier tramway hippomobile traverse la place qui se dote d'un éclairage public. Voilà les principaux changements grâce auxquels l'ancien marché aux chevaux est transformé en une avenue représentative imitant la Ringstrasse de Vienne. » Les transformations dynamiques survenues à la fin du XIXe siècle ne s'arrêtent pas là : à l'instar de Paris, Prague rêve d'une très large avenue qui traverserait le centre de Prague, depuis le Musée national, jusqu'à l'esplanade de Letná. On écoute Petr Kučera :« L'inspiration vient de Paris, où de grands boulevards sont créés dans le cadre des transformations menées par le préfet Haussmann. La plupart des grandes villes d'Europe, dont Vienne et Prague, imitent la modernisation de Paris. En regardant des photos historiques de la Ringstrasse de Vienne et celles de la Porte du Marché aux chevaux à Prague, on aperçoit qu'il existe énormément d'analogies entre ces deux villes, mais qu'il y en a un peu moins entre Prague et Paris. »
S'il avait été réalisé, le projet de construction de cette large avenue aurait changé d'une manière irréversible l'aspect de Prague, ainsi que le développe Petr Kučera :
« Prague a souhaité édifier une avenue similaire au grand axe parisien historique comme on appelait la perspective urbanistique majeure allant du Louvre au quartier de la Défense. Des projets soumis à la fin du XIXe siècle proposaient de prolonger la place Venceslas en direction de la Vieille-Ville : la nouvelle avenue serait passée par la place de la Vieille-Ville et l'actuelle rue de Paris, pour continuer à travers le pont Mánes jusqu'à l'esplanade de Letná. Un changement pareil aurait modifié à tous les égards l'aspect du centre-ville et il aurait aussi eu un impact négatif, car non seulement le théâtre des Etats aurait été sacrifié, mais aussi plus de la moitié de la place de la Vieille-Ville. Cela aurait donc été une intervention urbanistique trop brutale. »
La place Venceslas a connu les plus grandes transformations sous la Première République tchécoslovaque proclamée ici le 28 octobre 1918. Dorénavant, ce n'est pas la place de la Vieille-Ville, mais la place Venceslas, le centre de la capitale du nouvel Etat sur laquelle plusieurs événements marquants de l'histoire se dérouleront : en août 1968, la place est envahie par les tanks soviétiques. En janvier 1969, l'étudiant Jan Palach s'y immole au pied de la statue équestre. En 1989, la place Venceslas est le théâtre d'importantes manifestations de la Révolution de velours.L'exposition retraçant les transformations de la place Venceslas au cours de l'histoire n'a pas apporté que des photos inédites, mais aussi des révélations surprenantes. Ainsi, on y a appris qu'au Moyen-âge, un ruisseau traversait l'ancien Marché aux chevaux, comme le raconte l'architecte Kučera :
« Un souvenir du passage d’un ruisseau est fourni par l'actuelle rue Vinohradská, celle-là même où se trouve le bâtiment de la Radio. Cette rue est en réalité une ancienne vallée creusée par un ruisseau qui coulait par ici, en traversant la place Venceslas et en terminant dans le fossé ayant autrefois séparé la Vieille et la Nouvelle ville. Beaucoup ignorent qu'un étang et un moulin se trouvaient au Moyen-âge au niveau de l'actuelle rue Na Můstku, au bas de la place Venceslas. C'est curieux, mais un ruisseau y passe toujours, sauf que son lit se trouve au sous-sol. » Considérée par certains comme l'équivalent des Champs-Elysées parisiens, la place Venceslas est bordée de palais et de bâtiments de grande valeur architecturale. Parmi eux, la maison Wiehl, au milieu de la place, nommée d'après son architecte Antonín Wiehl, est un édifice néo-Renaissance décoré de dessins de Mikoláš Aleš. En bas de cette place se dresse le Palais Koruna, un immeuble Art nouveau coiffé d'une couronne. Un peu plus en haut, on admire le Grand Hôtel Evropa construit en 1906 dans le style Art nouveau et actuellement fermé pour cause de travaux de rénovation :« Bijou du style Art Nouveau, cet établissement qui a conservé sa façade ainsi qu'une grande partie des décorations intérieures d'origine, est une illustration de l'ambiance qui a régné sur la place Venceslas au début du XXe siècle, lorsqu'elle était une avenue brillante, bordée d'hôtels de luxe, de restaurants et de magasins car c'est ici que sont nés les premiers grands magasins, avec des galeries. »
Un bâtiment incontournable sur la place Venceslas, puisque construit en travertin blanc, est l'hôtel Jalta. Conçu dans les années 1950 sous l'impulsion du président Antonín Zápotocký, son architecte, Antonín Tenzer, a su éviter les motifs ouvriers propres au style du socialisme réel de ces année-là. Petr Kučera continue:« Compte tenu de l'autorité et du renom de l'architecte Tenzer, il lui a été permis de ne pas utiliser pour la décoration extérieure de l'hôtel des statues d'ouvriers et de paysans. Bien que cet hôtel ait été construit dans les années 1950, son architecture monumentale fait penser au style de la Première République. Jusqu'aux années 1990, on ignorait que l'hôtel Jalta cachait dans son sous-sol un abri anti-atomique destiné à près de 150 dirigeants communistes. L'équipement de l'abri leur auraient permis de diriger à partir de là-bas la guerre froide. Dans les années 1970, l'ambassade d'Allemagne avait sa représentation diplomatique dans les locaux de l'hôtel Jalta. Dès lors, les chambres étaient systématiquement écoutées. Aménagé en Musée de la guerre froide, l'abri est accessible au public. »
Nous l'avons déjà dit, la place Venceslas a connu les plus grandes transformations sous la Première République tchécoslovaque. Après la Seconde Guerre mondiale, son aspect reste sans grands changements, à l'exception de l'édification de l'hôtel Jalta. Plus tard, les travaux se déplacent au sous-sol :« Dans les années 1960, la place Venceslas se dote des premiers passages souterrains et des vestibules du métro. Les trams disparaissent de la place en 1980. La place Venceslas est coupée du Musée national par une voie rapide. L'endroit perd l’énergie et la vivacité qui lui étaient propres sous la Première République. Un certain déclin et la perte d'une conception sont caractéristiques de la deuxième moitié du XXe siècle. »
La place Venceslas vit toujours dans l'attente d'une conception urbanistique. Celle sélectionnée en 2005 suite à un concours public proposait l'édification de trottoirs plus larges, de nouvelles allées d'arbres, le retour des trams et le déplacement de la voie rapide qui coupe actuellement le Musée national du reste de la place dans un tunnel souterrain. Après un débat houleux, la plupart des propositions ont été rejetées.