Les marionnettes, deux siècles de tradition dans les pays tchèques
La galerie Smečky, dans le centre de Prague, expose depuis plusieurs semaines, et pour encore quelques jours, des marionnettes tchèques qui datent du XIXème siècle à aujourd’hui. Pavel Truhlář, commissaire de l’exposition, propose une petite visite guidée et raconte la tradition des marionnettes en République tchèque.
« L’exposition que nous avons appelé ‘les marionnettes tchèques, tradition et présent’ décrit l’histoire des marionnettes tchèques de la première moitié du XIXème siècle à aujourd’hui. Une grande partie de l’exposition, la partie historique, provient de la collection personnelle d’Alena Vodlová. Elle est complétée par sept auteurs contemporains qui créent aujourd’hui pour des théâtres de marionnettes, pas seulement en République tchèque, mais aussi à l’étranger. Les marionnettes sont arrivées en Europe centrale dans le courant du XVIème siècle avec des troupes de comédiens ambulants qui venaient d’Angleterre, de Hollande, d’Italie. En Bohême, la tradition s’est établie dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, époque où nous avons la première mention de marionnettiste tchèque itinérant. »
La tradition s’est ensuite ancrée durant le XIXème siècle ; les plus anciennes marionnettes rassemblées pour l’exposition sont celles du marionnettiste Mikulas Sychrovský, de la première moitié du XIXème. Alors que représentent ces marionnettes ? Quels sont les personnages récurrents de ces figurines animées ? Pavel Truhlář :
« Nous nous trouvons ici devant une installation que nous avons appelé la forêt hantée où nous pouvons voir des diables, des ondins, des squelettes, des fantômes de différents auteurs, du XIXème siècle aux années 1950 du siècle passé. Les personnages de diables ont toujours été une base du théâtre de marionnettes, qu’ils soient négatifs ou positifs. Il n’est pas possible de se passer du diable dans le théâtre de marionnettes. A côté, nous avons une installation du sculpteur Alessi, qui était à l’origine italien et qui est arrivé à Prague dans les années 1830-1840 en tant que conservateur et restaurateur des églises de Prague. Il a aussi commencé à sculpter des marionnettes et nous avons ici une belle collection de ses œuvres. A son époque, il était particulièrement précis et rigoureux, aussi bien pour la sculpture des visages que dans la technologie, dans la mécanique du corps des marionnettes pour leur manipulation. »Alors comment vivait cette tradition des théâtres de marionnettes dans les pays tchèques au XIXème siècle ? Qui avait accès à ses spectacles ? Les troupes de théâtres de marionnettes avaient-elles leur propre théâtre ou se déplaçaient-elles de ville en ville ?
« Il y avait ici beaucoup de troupes ou de familles de marionnettistes qui voyageaient de villes en villes, de villages en villages et qui jouaient pour les adultes. Ils jouaient une semaine dans la même ville, avant de se rendre dans la ville suivante. Il y avait à cet effet une certaine variété de marionnettes. Il y avait des marionnettes utilisées par les théâtres itinérants pour attirer les gens à la représentation du soir. Il s’agit de marionnettes qui ne sont pas faites pour des représentations classiques mais qui sont fabriquées avec des effets spéciaux ; par exemple, un squelette qui perd ses os, des jongleurs, ou un acrobate avec une chaise. C’étaient donc des marionnettes qui étaient faites pour séduire les gens avant la représentation, ou elles étaient utilisées comme un supplément, après une représentation. Quand il y avait beaucoup d’applaudissements, on sortait une de ces marionnettes pour divertir les spectateurs. » Les spectacles de marionnettes n’étaient donc pas destinés seulement à l’attention des enfants, comme c’est principalement le cas aujourd’hui, et comme on peut le supposer, les textes des représentations n’étaient pas forcément complètement innocents. Pavel Truhlář :« Au XIXème siècle, avec les marionnettes que nous voyons autour de nous, que ce soient ces chevaliers ou ces diables, se jouaient des pièces classiques comme des pièces de Shakespeare. Il s’agissait vraiment de théâtre plus pour adulte que pour enfants. Puis c’est devenu quelque chose plus destiné pour les enfants mais au début, il s’agissait de représentations destinées plutôt aux adultes et qui s’nitéressaient à des thèmes tchèques, et peut-être parfois avec une certaine satyre politique. »
On dit en République tchèque que chaque famille possède au moins une marionnette, ce qui semble bien montrer l’ancrage de cette tradition dans la culture tchèque. Pavel Truhlář n’est pas tout à fait sûr que ce soit aujourd’hui encore une réalité mais il nous explique d’où vient cette tradition domestique.« Avec ces marionnettes domestiques, au tournant du XIX et XXème siècle, il y a eu ce que j’appellerais un boom des marionnettes. En 1912 a été fondée une association qui s’appelait quelque chose comme l’association des amis du théâtre de marionnettes tchèques et son slogan était de faire entrer dans chaque famille un théâtre de marionnettes, de fabrication tchèque pour maintenir la tradition tchèque. Je ne sais pas si c’était dans toutes les familles, mais certainement dans toutes les familles riches, et même dans les familles des classes moyennes, il y avait de petits théâtres de marionnettes.Même des artistes, comme Mikuláš Aleš, ont offert de fabriquer ces marionnettes ou de peindre les coulisses justement pour que cela reste une production tchèque, pour que l’on parle tchèque, pour que les familles tchèques aient quelque chose qui se fabrique ici et qui maintienne la tradition tchèque. C’était l’époque du réveil national où on parlait encore beaucoup allemand, tout était inondé de produits allemands. Ces troupes de marionnettistes itinérants jouaient en tchèque, tout comme on parlait tchèque autour de ces petites théâtres domestiques de marionnettes. Il est sûr que cela nous a aidé à ce que la langue tchèque reste vivante. » Même si le théâtre de marionnettes n’a plus le rôle éducatif évoqué ci-dessus, il continue de faire le bonheur des enfants. L’exposition de la galerie Smečky est d’ailleurs très fréquentée par de nombreux groupes scolaires. Petra Vannyová est professeure des écoles et explique pourquoi elle a amené sa classe voir cette exposition :« Les marionnettes sont belles et je pense que c’est bien que les enfants les voient et s’intéressent aux marionnettes plutôt que de rester seulement plantés devant leur ordinateur. Et ils sont intéressés, parce qu’ils ont l’habitude de les voir dans des contes, et cela leur plaît. Ils en emmèneraient volontiers quelques-unes à la maison. »
L'exposition "les marionnettes tchèques, tradition et présent" à la galerie Smečka, située tout près de la place Venceslas, se termine le 28 janvier. En plus des marionnettes anciennes, elle présente des créations actuelles qui sont de réels petits bijoux d'humour et de finesse. Les créations de Pavel Truhlář, celles d’autres marionnettistes contemporains, et un programme de représentations théâtrales sont disponibles à l’adresse suivante : www.marionety.cz