Les métamorphoses sphériques de Vladimir Skoda

Cinq corps de Platon III, 2004, photo: Siegfried Wameser

C'est à un voyage dans la quatrième dimension que je vous invite cette semaine. Une quatrième dimension dont Prague pourrait être la porte d'entrée, en tout cas, c'est peut-être par là qu'elle aurait été détectée, comme le laisse à penser le nom de l'exposition du sculpteur français d'origine tchèque, Vladimir Skoda.

Des sphères, des boules, des plaques concaves et convexes qui réfléchissent la lumière. La forme est pure, l'aspect brillant mat, noir, doré ou argenté. Les jeux de miroirs de Vladimir Skoda proposent une déformation de la réalité, donc une manière de voir la réalité, qui n'est pas sans rappeler les travaux des Anciens, notamment de la Renaissance : astronomie, corps célestes, perfection de la sphère, mais aussi tout cela et son contraire, car l'espace est l'ordre et le chaos, les choses ne sont pas forcément telles qu'elles nous apparaissent... Anamorphoses et « perspectives dépravées », selon la terminologie du grand historien de l'art Jurgis Baltrusaitis, semblent faire partie du vocable de Vladimir Skoda. Je vous propose donc de découvrir un peu de l'histoire de ce sculpteur étonnant, né à Prague en 1942 :

« Je suis parti en 1968, un peu avant l'intervention des armées soviétiques à Prague. Je n'avais pas prévu la chose. C'était plutôt à cause des études d'art que je voulais faire. J'ai passé plusieurs fois de suite le concours d'entrée, mais je n'ai jamais été accepté. Vers 1966-1967, j'ai fait un voyage touristique à Paris, j'ai décidé d'essayer de faire mes études là-bas. En 1968, j'ai commencé à préparer, pour avoir des invitations - fausses d'ailleurs, car c'était impossible autrement. J'avais donc fait toutes les démarches administratives nécessaires, je suis parti avec un visa de tourisme, c'était le maximum. Je me suis retrouvé à Paris, je ne parlais pratiquement pas français, et j'ai vu dans les kiosques la revue Paris Match avec une photo de la place Venceslas et les chars d'assaut. Je me demandais ce qui se passait, j'ignorais tout des événements. Les jours suivants j'ai rencontré un Tchèque qui parlait Français et qui m'a tout dit. »

« Mon intention était alors de rester à Paris, même avec les moyens minuscules que j'avais. C'était un peu naïf mais je l'avais fait car j'avais dans la tête l'idée des artistes qui venaient à Paris comme moi. Bien entendu, sur place, à Paris, en France, j'ai réalisé que ce n'était pas tout à fait vrai, que Paris n'était pas le centre du monde artistique. D'abord j'ai passé une année à Grenoble. Un peu grâce à ce malheur de l'invasion, les Français ont donné de petites bourses à des étudiants tchèques ; j'en ai fait partie et j'ai suivi l'Ecole des Beaux-Arts, puis j'ai encore fait un ou deux ans à Paris. »

Nourri à l'oeuvre du sculpteur César, avec lequel il a travaillé dans son atelier parisien, Vladimir Skoda rappelle son admiration pour le sculpteur roumain Brancusi, qu'il a fréquenté, mais également Lucio Fontana, Yves Klein. Et il n'oublie pas d'évoquer le souvenir d'un autre émigré, qui ne l'a pas influencé artistiquement, mais humainement, l'artiste et poète Jiri Kolar.

Votre exposition qui se déroule à Prague s'appelle Quatrième dimension. Est-ce une manière de dire que c'est une porte d'entrée dans la quatrième dimension ? Prague est-elle un endroit où cela est possible ? Est-ce une forme de rêverie ?

« Souvent je n'utilise pas de titre du tout. Mais là, ce n'est pas le premier titre que j'utilise qui s'inspire de l'astronomie et de l'astrophysique. Si on parle d'espace extérieur virtuel qui se réfléchit dans la sphère, je n'ai pas pensé à l'espace proche, le plus immédiat. C'est logique car dans l'espace, tout tend vers la sphère, vers la forme de la sphère, dans la nature aussi, partout. Tout est lié. Car l'exposition précédente, que j'avais faite il y a dix ans au Rudolfinum, était intitulée Constellation. C'était le commencement. Quatrième dimension, cette fois, est un peu liée à la question du temps car il y a beaucoup d'objets qui ont un mouvement pendulaire. Le pendule est bien entendu un symbole du temps. D'autre part, l'exposition est constituée d'objets qui sont des miroirs qui déforment un peu la réalité. Le but est justement de déformer, et cela nous emmène au-delà de ce que l'on peut voir naturellement. Evidemment, il y a aussi Kepler et Prague, les voyages de Monsieur Broucek dans le passé et dans le futur : je n'y ai pas forcément pensé, mais après je me suis aussi rendu compte que ça me plaisait. »

Vous avez mentionné votre dernière exposition à Prague, organisée au Rudolfinum en 1995. Cela fait plus de dix ans que vous n'avez pas exposé dans votre ville natale, comment cela se fait-il ? Qu'est-ce que cela représente pour vous d'exposer à Prague, est-ce important ?

« Si, j'avais fait quelques petites expositions à Prague, mais c'était toujours des petites choses, des gravures, des choses qui n'étaient pas d'une importance considérable. Je suis quelqu'un qui se sent très ancré en Europe centrale, même si je vis la plupart du temps en France. Je suis très attaché à l'Europe centrale, surtout parce qu'il y a des artistes que j'ai connus, que j'ai admirés et qui viennent de là. Je les trouve différents par rapport au reste du monde. Pour moi, c'est très important de me confronter à ce milieu car je viens de là-bas. J'ai fait un effort car je me suis dit que cela faisait dix ans que je n'y avais pas exposé mon travail. »

Votre exposition, en plus, se situe au tout dernier étage du Palais des Foires (Veletrzni palac) à Prague, c'est un bâtiment constructiviste, assez extraordinaire. L'espace est important, il y a de quoi installer une belle exposition. Comment avez-vous décidé de travailler avec cet espace et avec la lumière ?

« En effet, c'est un espace qui est très particulier. J'ai fait d'autres expositions, par exemple en Italie, en collaboration avec une conservatrice italienne d'origine tchèque, à Pise et à Spoleto. Les catalogues, que l'on peut voir dans mon exposition à Prague, montrent bien le contraste avec ces expositions italiennes réalisées dans des lieux très historiques où j'ai dû m'adapter à l'architecture médiévale. Ce qui était très excitant pour moi, au 5ème étage du Palais des Foires, c'est que c'était le contraire. L'espace y est tellement vide et pur. Les photos qui doivent être faites avec la photographe sont très compliquées : autour, il n'y a aucune séduction de l'espace. La lumière est magnifique. C'est un parcours aligné, on peut passe d'une chose à l'autre. Il y a une pénétration d'une chose à l'autre. »

L'exposition de Vladimir Skoda se trouve au Palais des Foires à Prague et se poursuit jusqu'au 30 septembre.