Les Onze de Klapzuba : l’odyssée de onze garçons dans le vent sur la planète foot
C’est l’un des petits bijoux de la littérature tchèque, peu connu à l’étranger, que la réalisatrice Marcela Salivarová Bideau a traduit et publié aux éditions L’Age d’Homme de Lausanne. Les Onze de Klapzuba, ou Klapzubova jedenáctka, écrit en 1922 par Eduard Bass, raconte la merveilleuse odyssée d’une famille, celle du paysan pauvre Klapzuba qui décide de faire de ses onze fils une équipe de football pour sortir la famille de la misère. Leur aventure les mènera dans de nombreux pays, les succès leur monteront à la tête avant qu’ils ne retrouvent la vraie valeur du jeu et du sport. Pour aimer les Onze de Klapzuba, pas la peine d’être un fan de foot, si cette fable fraîche et drôle est un des classiques tchèques, c’est qu’elle parle à tout un chacun.
Un long travail aussi pour mettre en scène ce livre, avant la Coupe d’Europe qui se passait en Suisse. On sait depuis que les Suisses ont d’ailleurs été malheureux au jeu tout comme les Tchèques. Mais ce n’est pas grave, après tout, il y avait la pièce du Onze de Klapzuba. Elle a été jouée au Théâtre Saint-Gervais à Genève et c’est à votre mari Jean-Luc Bideau que vous avez confié le rôle du père Klapzuba. C’était évident pour vous que ce soit lui ?
« Oui, presque à chaque fois que je mets en scène une pièce, je travaille toujours avec lui. Tout ce travail de financement on le fait ensemble. Sinon, parmi les autres personnages, il y a donc la mère Klapzuba, il y aussi un poète, Vincenc Kabrna et j’ai choisi de représenter aussi Edouard Bass. »
Et il y a aussi des femmes qui chantent, vous avez en effet intégré des chants en tchèque, comment s’articulent-ils à la mise en scène ?« D’abord, il y a encore un autre personnage : le fan du club Servette de Genève car je voulais mêler parce que je voulais mêler l’histoire locale de Servette. Et puis on était cinq femmes, dans la pièce le poète nous présente comme Les Muses. On dit que c’est le nom de la chorale de Dolní Bukvičky, le village natal de Klapzuba. On joue donc le rôle d’une chorale de ce village qui est venue pour donner un coup de main. »
Donc votre pièce s’adresse finalement à un public francophone mais tchèque également ?
« Oui, il y avait des Tchèques de Genève, qui étaient ravis et qui sont venus plusieurs fois, tout le monde a bien sûr la nostalgie et ce spectacle était quand même tchèque, même si c’était joué en français. Il y avait un esprit tchèque. »
Quelles ont été les réactions dans le monde du foot ? Je suppose que vous avez eu des échos vu l’actualité du foot avec l’Euro 2008 à ce moment là ?
« A Genève, il y a ce club, Servette. Il a beaucoup de problèmes aujourd’hui, des problèmes d’argent. Il existe un stade où ils jouaient autrefois qui a été abandonné, il va être détruit et on leur a construit un énorme stade où on peut jouer devant 30 000 personnes... Et les Genevois n’ont jamais oublié cet esprit de cet ancien stade des Charmilles. Pour les Genevois, Servette et le stade des Charmilles c’était quelque chose de révolu mais c’était quelque chose un peu comme les Klapzuba. C’est pour cela que j’ai fait intervenir Servette dans la pièce. Dans l’histoire les Klapzuba détruisent leur stade, le labourent car ils ne veulent plus jouer. Or le stade des Charmilles à Genève cet été, on l’a labouré et ça va devenir un parc. Alors on est allés voir beaucoup de footballeurs de cette glorieuse époque du stade des Charmilles, ceux qui ont gagné autrefois contre le Dukla Prague 3-2. C’était LE match de Servette, ils ont gagné contre des Masopust et autres grands joueurs. Après ils sont venus voir la pièce. »
Ce livre est une satire aussi du football, mais écrite dans les années 1920, une époque où le football n’était pas encore cette grosse machine médiatique, financière. Quel est le message de ce roman pour notre société aujourd’hui ?
« Ce qui est curieux c’est qu’une fois qu’ils deviennent champions de la Tchécoslovaquie, ils font une tournée en Europe et sont payés pour cela et deviennent très vite professionnels. A partir de là, ils ne jouent que pour l’argent. Les garçons qui jouent ne s’y intéressent pas, c’est vrai, c’est le père qui est paysan et qui n’a jamais eu un sou et qui sait ce que c’est que de devoir penser à l’avenir. Les garçons jouent partout, changent complètement, et un jour ils rentrent chez eux et rencontrent des enfants qui jouent au foot et ont très envie de jouer avec eux. Les enfants refusent et le garçon qui a le ballon leur dit : non on ne va pas jouer avec vous parce que vous êtes des professionnels et vous jouez pour l’argent et nous on joue pour l’honneur. C’est seulement là qu’ils commencent à comprendre et à réfléchir. Ils ont l’impression qu’ils ont toujours joué pour l’honneur mais ils se souviennent que papa a beaucoup de billets de banque dans le tiroir ! »
Les Onze de Klapzuba a été adapté deux fois à l’écran, en 1938 et en 1967. Est-ce que vous connaissez ces adaptations et vous ont-elles inspirées ?« Oui, je les ai cherchées car je ne savais pas comment faire. La première adaptation d’avant-guerre n’a presque rien à voir avec Klapzuba, car ça mêle une histoire d’amour, alors que les Klapzuba, pendant toute leur carrière professionnelle, ne connaissent pas de femmes. Donc ça n’a rien à voir. Et le deuxième c’était une série pour la télévision, j’ai vu quatre ou cinq épisodes mais pas tous. Ca c’était adapté par contre à l’époque socialiste. Parce que les Klapzuba se font à partir de rien, ils viennent de la campagne, avant d’arriver à Prague et d’en mettre plein la vue au Slavia. Et le président de l’association de football se fâche ! »
En 2005, il y a eu une autre adaptation, celle des frères Petr et Matěj Forman pour le théâtre Minor à Prague, un théâtre pour enfants. D’ailleurs, ce n’était pas que pour les enfants puisqu’il y avait de nombreux adultes présents aux représentations qui riaient bien. L’avez-vous vue cette adaptation ?
« Oui, je l’ai vue. Au début comme je ne voulais pas faire moi-même la mise en scène et j’ai parlé avec Petr Forman, je lui ai demandé s’il ne pouvait pas venir avec le spectacle. Mais vous avez vu, c’est un petit théâtre, mais la scénographie qu’ils ont était impossible à faire à Genève, c’était trop compliqué à transporter. J’avais envie que quelqu’un d’autre le fasse pour moi mais j’ai été obligée de le faire ! »
On n’est jamais mieux servi que par soi-même...
« Oui, je savais que ça ne me plairait pas si quelqu’un donnait des directives et y mettait ses idées. Ca ne m’aurait pas plu. Je n’ai pas fait une adaptation comme les Forman. Eux ont placé un personnage de fille, ils ont un tout petit peu changé mais ils ont fait toute l’histoire du début à la fin. Moi j’ai rajouté cette histoire de Servette et je n’ai pas intégré toutes les histoires. J’ai adoré cette fable, je n’aurais pas aimé que quelqu’un d’autre le fasse en fait. »
C’est étonnant, quand j’ai découvert moi-même le Onze de Klapzuba, tardivement, je me suis dit : il n’y a pas de grands écrivains qui écrivent sur le foot ou sur le sport en général... Eduard Bass a écrit sur le foot sans que ce soit trop technique et rébarbatif. Il y a finalement peu d’exemples dans la littérature.?
« En fait après j’ai découvert quand même que ça existait. On m’a parlé d’un roman brésilien, d’un roman italien et puis il y a un Suisse, Georges Haldas, qui a écrit sur le foot, sur son amour de Servette justement. Ces Onze de Klapzuba en fait, c’était l’époque où des écrivains travaillaient dans un journal, Lidové noviny, je crois : il y avait Josef Čapek, notamment. Et ils ont décidé qu’ils allaient écrire des contes modernes. Et Klapzuba fait partie de ce programme de contes modernes. »
Pour finir, Marcela Salivarová Bideau, êtes-vous une fan de foot ?
« Non, je le serais si j’avais un mari footballeur ou un fils footballeur. Mais non... »