Les participants de l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 proposés pour le statut d’anciens combattants

Août 1968, photo: Engramma.it, CC BY-SA 3.0

Les soldats russes qui ont participé à l’invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968 pourraient obtenir le statut d’ancien combattant. C’est en tout cas le but de trois députés communistes russes qui en ont fait la proposition mardi à la Douma, la Chambre basse du Parlement russe. Dans un amendement à la loi sur anciens combattants, ils demandent d’accorder aux soldats ayant pris part à l’ « opération stratégique et militaire Danube » les mêmes privilèges que ceux des anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale.

Août 1968,  photo: Engramma.it,  CC BY-SA 3.0
Le 21 août 1968, les armées de cinq pays du Pacte de Varsovie, menées par les Soviétiques, envahissent la Tchécoslovaquie pour empêcher la tentative des communistes libéraux de réformer le régime, mieux connue sous le nom de « Printemps de Prague ». Leurs troupes resteront dans le pays jusqu’à la chute du communisme en 1989.

Bien que les dirigeants russes, dont Boris Eltsine et Vladimir Poutine, aient, par le passé, reconnu « la responsabilité morale de l’URSS » dans l’intervention d’août 1968, selon les trois députés communistes russes de la Douma, cette intervention n’a pas été inutile. Elle aurait permis, disent-ils, d’empêcher un coup d’Etat préparé par l’opposition tchécoslovaque avec le soutien de l’OTAN et des puissances occidentales, qui aurait eu pour objectif de liquider le système socialiste. C’est pour cette raison, qu’ils proposent d’accorder le statut d’anciens combattants à tous les Russes âgées de plus de 67 ans qui ont été impliquées dans cette opération et qui ont « montré leur courage en accomplissant leurs devoirs militaires ». Afin d’obtenir l’approbation du projet, ses auteurs essaient de présenter l’invasion de la Tchécoslovaquie comme un « état de guerre ». L’argument principal : au moins 105 Russes et 108 Tchèques morts et des centaines de blessés suite à quelques accrochages entre les occupants et les habitants du pays.

Cette rhétorique s’est vite vue désapprouvée par les députés tchèques du parti TOP 09 qui l’ont qualifiée de « falsification scandaleuse » de l’histoire. De même, le chef de la diplomatie tchèque, Lubomír Zaorálek, a indiqué qu’il espérait que le Parlement russe rejetterait ce projet car la relation aux événements de 1968 représente un point crucial des relations tchéco-russes. La situation paraît cependant bien moins dramatique à l’eurodéputé communiste tchèque, Jaromír Kohlíček, qui pour sa part explique :

Jaromír Kohlíček,  photo: Parlement européen
« Ils ne seraient pas récompensés pour avoir agi contre la population en Tchécoslovaquie mais pour avoir obéi aux ordres. On peut discuter après si ces ordres étaient justes ou non, mais ce n’est qu’une évaluation de la politique de ceux qui ont envoyé ces soldats. Regardez ce qu’ont fait les soldats américains au Vietnam. Personne n’approuverait les cruautés qu’ils ont commises, pourtant ils ont le statut d’anciens combattants. »

Actuellement, quelque 20 000 personnes ayant participé à l’invasion de la Tchécoslovaquie vivent en Russie. Le statut d’anciens combattants pourrait leur faire notamment bénéficier de certaines allocations sociales, ainsi que d’un accès à un meilleur système de soins médicaux. Les députés défendent donc leur proposition qui coûterait à la Russie environ 119 millions de roubles (près de 1,6 millions euros) par an, en indiquant que « vu la situation actuelle de la Russie vis-à-vis de l’étranger, il est nécessaire de soutenir le patriotisme des soldats russes qui sont en charge de la défense de l’intégrité territoriale du pays, et cela même en dehors de ses frontières, comme ils l’étaient en Tchécoslovaquie en 1968 ». Plutôt favorable à l’adoption du projet, Jaromír Kohlíček poursuit :

« C’est à la Douma de décider. Il est vrai que les justifications ne sont pas vraiment correctes. Mais ce n’est que notre point de vue. J’estime que le Parlement de chaque pays a le droit de décider qui est un ancien combattant et qui ne l’est pas. »

Cette proposition a provoqué également une vague de critiques de du côté de l’opinion publique tchèque, notamment de ceux qui ont vécu les événements. Parmi eux, l’ancien journaliste de la radio publique puis signataire de la Charte 77, Jan Petránek, qui s’est vu, après 1968, contraint de démissionner :

Jan Petránek,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
« Ce qu’ont fait les Soviétiques en 1968 est une honte ineffaçable dans l’histoire soviétique et russe. Il faut donc le refuser vigoureusement. Mais d’autre part, des lois accordant des avantages dans les systèmes sociaux et de soins médicaux aux participants de cette opération ont déjà été adoptées au Kazakhstan, en Biélorussie et dans d’autres anciens pays soviétiques. En Russie, il s’agit donc de la même chose : toute personne combattant sous le commandement soviétique devrait avoir ce statut. De notre point de vue, c’est bien évidemment affreux. Mais du point de vue russe, il ne s’agit que d’un changement dans le système. »

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas, côté russe, de la première interprétation des événements de l’époque comme étant une « aide fraternelle » au peuple tchécoslovaque face à la menace des pays occidentaux. Des conclusions similaires ont été par exemple présentées l’année dernière dans un film documentaire diffusée sur la chaîne de la télévision publique russe Rossiya 1.