Les pilotes tchèques dans la bataille de France, épisode méconnu et héroïque de la Deuxième Guerre mondiale

Les pilotes de la première escadrille GC I/5 avec František Peřina (troisième à partir de la gauche) à l’aéroport de Suippes, France, 1940

Avant leur célèbre engagement dans la Royal Air Force immortalisé dans le film de Jan Svěrák Tmavomodrý svět (A Dark Blue World), les pilotes tchécoslovaques ont rejoint les rangs de l’armée française et ont participé à la bataille de France en 1940. Si la France capitule face à l’Allemagne, les faits d’armes des aviateurs tchèques dans les airs ont été bien réels, avec un palmarès de victoires impressionnant sur la totalité des combats de l’armée de l’air française. Pourquoi cet épisode français reste-t-il méconnu, éclipsé par leurs exploits réalisés du côté britannique ? Pour tenter de répondre à cette question et découvrir plus en détails l’épopée des as tchèques de l’aviation pendant la Deuxième Guerre mondiale, Radio Prague Int. a interrogé l’historien Paul Lenormand, spécialiste de l’armée tchécoslovaque.

Paul Lenormand | Photo: SciencesPo

« Je me suis intéressé à cet épisode il y a un peu plus de dix ans quand j’avais fait mon mémoire de master sur l’armée tchécoslovaque en France. Les aviateurs étaient un sujet que j’avais laissé un peu de côté car c’était quelque chose de connu, notamment à cause de la RAF. Qu'Alois Vašátko et František Peřina aient été les as dans bataille de France, je l’avais noté mais ce n’était pas ce qui m’intéressait le plus car c’était moins massif que pour les unités terrestres. Mais à l’occasion d’un gros dossier mis en place pour la revue Nacelles au sein du service historique de la Défense, je suis revenu sur cet épisode. Comme j’avais conservé des photos et mes archives d’il y a douze, treize ans, j’ai décidé d’aller un peu plus dans le détail, j’ai pu parcourir un peu plus de littérature sur le sujet. Il existe un certain nombre de mémoires qui méritaient d’être étudiés. Parfois, c’était plus pour la partie RAF, mais il y avait quand même cette sorte de prélude expliquant comment ils étaient arrivés en Angleterre : en général, par la France. »

Après 1939, direction la France, malgré Munich

Avant de parler de leur arrivée en France, que se passe-t-il pour les militaires tchécoslovaques, de manière générale, juste après l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’armée nazie ? Pour ceux qui décident de partir, où vont-ils ?

« En mars 1939, quand le Protectorat est mis en place par le Reich, les citoyens tchèques, qu’ils soient militaires de carrière ou réservistes – tout le monde était réserviste à l’époque puisque n’importe quel citoyen mâle était tenu de faire son service militaire et restait à disposition de l’armée – se retrouvent au chômage, pour les militaires de carrière. Souvent ils vont être transférés dans des administrations, des entreprises du Protectorat ; ceux qui sont partis en exil l’ont fait parce qu’ils l’ont décidé, soit parce qu’ils étaient menacés par les autorités allemandes, soit par choix. Ensuite, tous ceux qui avaient un métier par ailleurs, les réservistes, donc, avaient le choix : ils pouvaient rester dans des conditions variables, en fonction de leur situation (ville ou campagne, emploi exposé ou non), ou alors partaient pour une partie d’entre eux.

L’armée tchécoslovaque dans les années 1930 | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

En proportion du corps des officiers et des rotmistři, les adjudants de carrière, c’est une des proportions les plus importantes d’exil qui existe en Europe à l’époque. C’est lié en grande partie au fait que ce n’est pas encore la guerre. Comme ce n’est pas encore la guerre, les frontières sont relativement perméables. Effectivement, ils partent principalement en Pologne. Jusqu’en septembre 1939, c’est la voie la plus facile. Les Polonais commencent à ressentir la pression allemande, donc ils se détendent et il y a une voie qui passe jusqu’à la mer baltique d’où partent des paquebots vers l’ouest, la France essentiellement. Il y en a qui passent aussi par les Balkans : c’est là un parcours plus aventureux car il faut traverser la Slovaquie – devenue un Etat satellite du Reich, mais certains Slovaques restent bien disposés envers les Tchèques qui peuvent y trouver des réseaux –, puis il faut passer par la Hongrie. Là, c’est plus compliqué car les Hongrois sont foncièrement hostiles à la Tchécoslovaquie pour des raisons liées à la fin de la Première Guerre mondiale : souvent les Tchèques sont arrêtés en Hongrie, puis relâchés, puis passent par la Serbie, ou aussi via la Roumanie, la Grèce et la Turquie avant de continuer vers le Proche Orient. En général, c’est à Beyrouth que leur trajet terrestre se termine, où ils sont pris en main par les Français. Ensuite, ils vont jusqu’à Marseille en bateau. Là, surtout après septembre 1939, ils sont regroupés au camp d’Agde dans l’Hérault d’où ils sont redistribués en fonction de leur spécialité. C’est là où les aviateurs vont pour partie se séparer du reste des Tchécoslovaques. »

N’est-ce pas un peu étonnant malgré tout qu’ils prennent la direction de la France ? N’y a-t-il pas d’animosité vis-à-vis de Paris, des Français qui ne se sont pas vraiment distingués par leur défense des intérêts de la Tchécoslovaquie ? Il y a le précédent des Accords de Munich…

Le camp de l'armée tchécoslovaque au camp d’Agde | Photo: VHÚ

« C’est le moins qu’on puisse dire. Il y a en effet une animosité qui peut exister. Mais il y a des facteurs aussi qui poussent les Tchécoslovaques à aller vers la France, éventuellement la Grande Bretagne, mais c’est plus facile, à l’époque d’aller en France qu’en Grande Bretagne pour de nombreuses raisons. En France, il y a une majorité de Munichois ou en tout cas, de gens qui étaient désintéressés par le sort de la Tchécoslovaquie – à l’échelle des élites politiques, dans les cercles décisionnels –, mais il y a quand même une minorité d’anti-Munichois qui soutient les efforts des Tchécoslovaques. Ils seront plus actifs à partir de l’entrée en guerre. Parmi eux, le général Faucher qui est bien connu des tchécophiles et qui a passé deux décennies en Tchécoslovaquie. Ces gens-là vont faire pression pour soutenir les émigrés. Il y a aussi beaucoup de militaires tchèques qui sont francophones, alors qu’il y a très peu d’anglophones. Quand on regarde les compétences linguistiques des officiers, c’est rare de parler anglais à l’époque alors que le français est la première langue, souvent après l’allemand.

Pour cette raison, c’est donc plus facile d’aller en France, d’autant qu’il y en a pas mal qui ont été formés dans le pays – soit à Saint-Cyr, soit à l’Ecole d’aéronautique, ou qui ont fait des stages, même brefs. Certains ont été au contact d’officiers français en Tchécoslovaquie même, pour les plus anciens même en Russie, via les légions. Il y a un lien historique assez fort qui, malgré Munich, perdure en partie. A partir de l’entrée en guerre, il y a aussi cette centrale politique qu’est le Comité national tchécoslovaque qui va se centraliser à Paris, puis partira en Angleterre. Ce comité fait tout son possible pour avoir une vraie reconnaissance de la cause tchécoslovaque en France, afin de constituer des unités militaires. C’est surtout cela qui sera accepté par les Français, plus que la reconnaissance, car les Français sont très frileux par ailleurs. »

Photo: VHÚ

Un exil tchécoslovaque dans un contexte français de xénophobie

Peut-on faire un portrait-robot de l’aviateur tchécoslovaque ? Qui est-il et combien sont-ils ?

« Quand on dit aviateur, ce n’est pas forcément pilote. On a une masse de gens qui sont issus soit de l’aviation militaire tchécoslovaque, soit de l’aviation civile. On a là environ un millier de personnes, d’aviateurs, soit des pilotes expérimentés, soit des pilotes plus novices, soit des pilotes de tourisme. Il y avait des pilotes amateurs parce qu’à l’époque le pilotage, le parachute étaient des loisirs émergents qui étaient à la mode, très valorisés, attractifs. On n’avait pas d’angoisse environnementale, cela faisait rêver la jeunesse. Voilà pour le personnel volant. Mais il y a aussi le personnel au sol : des mécaniciens, des gens qui savent s’occuper des avions et qui sont très importants pour faire fonctionner une aviation. Ils sont d’ailleurs sous-représentés dans cet exil, ce qui pose problème car les Tchécoslovaques sont plus dépendants des Français pour obtenir du personnel qualifié pour entretenir des avions.

František Novák à Paris en 1938 | Photo: Československý rok 1938/Wikimedia Commons,  public domain

Pour le portrait plus individualisé, je l’ai dit, c’est hétérogène. Mais on a des pilotes un peu stars au sein de cette armée tchécoslovaque, des anciens pilotes de compétition aérienne, des gens qui ont une habitude de la vitesse, comme par exemple František Novák. Ce sont des gens mondialement connus, qui ont battu des records. Cela ne fait pas forcément les meilleurs pilotes militaires, mais c’est bon pour l’image de marque de l’armée tchécoslovaque.

Le pilote tchécoslovaque en exil – à part de rares exceptions – est majoritairement tchèque. Déjà, il y avait surtout des Tchèques au pays, car les germanophones étaient plus rares dans l’armée : étaient-ils moins les bienvenus ? La carrière militaire attirait-elle moins les germanophones ? C’est difficile à dire, sans doute un peu des deux. Les Slovaques ont souvent moins de formation technique, il y a moins d’ingénieurs, ils sont plus rares et sont sous-représentés dans l’armée professionnelle. En exil, c’est encore plus marqué : les germanophones ont moins d’incitation à quitter le Protectorat de Bohême-Moravie puisqu’ils peuvent facilement retrouver un emploi soit dans la Luftwaffe, soit dans la Lufthansa. Donc ces pilotes sont en majorité des Tchèques.

Avion de chasse tchécoslovaque Avia B-534 | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

L’armée tchécoslovaque d’avant-guerre est une armée moderne : les forces aériennes ne sont pas son atout majeur, le matériel n’est pas très performant, mais cela suffit largement à avoir une très bonne formation initiale. »

Paradoxalement, c’est aujourd’hui surtout des pilotes tchécoslovaques qu’on se souvient, plus que des soldats de l'armée de terre, tant pour leur engagement dans l’armée française que pour celui, plus connu et glorieux, dans la RAF. Y a-t-il eu des suspicions de loyauté du côté des autorités militaires françaises face à ces militaires étrangers qui rejoignaient leurs rangs ?

« Oui, il y a eu des tensions. Côté français, on est à l’époque dans une atmosphère très xénophobe. Les années 1938-1939 en France sont marquées par le rejet de l’étranger, c’est une période de tension économique. Il y a à la fois de la xénophobie, une peur de la cinquième colonne qui est extrêmement marquée, avec l’idée qu’il y a des étrangers qui se cachent à la campagne pour préparer des terrains qui vont accueillir des parachutistes allemands… Ce sont des choses qui sont prises très au sérieux par les autorités françaises.

 Les pilotes tchèques en France devant un Morane-Saulnier MS.406 | Photo: VHÚ

Le handicap des Tchécoslovaques, c’est précisément qu’ils sont tchécoslovaques. Pour le Français de 1939, ce n’est pas très bien identifié. La cause tchécoslovaque a pris du plomb dans l’aile à cause des Accords de Munich, et donc l’Etat tchécoslovaque est quasi enterré dans la conscience des Français. Un Tchèque, ce n’est pas très clair dans la tête d’un Français : ce n’est pas très loin d’un Allemand, ou d’un Russe qui serait communiste… On en est là. Il y a à la fois des suspicions d’inclinaisons en faveur de l’Allemagne ou du communisme qu’on retrouve dans les sources policières françaises ou dans les sources tchèques via des protestations contre ce qui est considéré comme des abus.

Le camp de l'armée tchécoslovaque au camp d’Agde | Photo: VHÚ

Il y a aussi l’aspect plus militaire : parmi les Tchèques qui arrivent en France, chez les cadres notamment, il y a une bonne partie de gens qui sont issus de l’armée, qui ont une bonne formation. Or on va les mettre dans un camp qui a servi à accueillir des réfugiés espagnols de la guerre civile, dans des conditions matérielles très mauvaises, ils vont être sous-équipés ce qui est difficile pour s’entraîner. Et tous ceux qui sont volontaires ne sont pas contents et estiment que les Français se moquent d’eux en leur fournissant quelques vieux canons, avec un entraînement trop désuet et axé sur une guerre de type 14-18. Il y a donc aussi des tensions sur la manière dont on se prépare à la guerre : les Tchécoslovaques ne sont pas très satisfaits de l’accueil qui leur est fait. Seulement, ils n’ont pas vraiment le choix, donc la cohabitation se fait malgré tout. »

Des victoires tchèques spectaculaires en combat aérien

En tout cas, par la force des choses, ils vont être utiles à l’armée française par la suite puisque les Tchécoslovaques seront aux premières loges via les airs pour défendre le territoire français contre l’armée allemande. Peut-on revenir sur quelques faits d’armes des pilotes tchécoslovaques pendant la bataille de France en particulier ?

« Pendant la bataille de France, les aviateurs tchécoslovaques ont été, dès l’origine, dispersés dans des unités différentes. Il y a une dizaine d’unités où vous aller trouver trois, quatre pilotes tchèques intégrés directement dans l’armée de l’air. Ils ne sont pas considérés comme des membres de l’armée tchécoslovaque, mais comme des pilotes français d’origine étrangère. »

Avions Morane-Saulnier MS.406 et Curtiss Hawk 75 en 1940 | Photo: VHÚ

A la différence de ce qui sera le cas pour la RAF où il y aura des escadrilles tchécoslovaques…

« Exactement. Il y a des négociations pour créer des unités aériennes tchécoslovaques en France qui aboutissent en juin 1940, donc bien trop tard. Mais ces pilotes à titre personnel représentent la Tchécoslovaquie : le Comité national tchécoslovaque va immédiatement se targuer des exploits de ses pilotes, même si après la guerre, ce sera un peu oublié. Mais à l’époque, pour le côté français, ils ne sont que du renfort, des pilotes qualifiés qu’on est contents de mettre dans des unités.

Le pilote Jiří Řezníček avec sa mascotte,  Chartres,  1940 | Photo: VHÚ

Ils sont dans des unités variées. Celles qui ont le plus marqué, celles qui ont réalisé des exploits (ce qui est un peu injuste pour les autres), ce sont les unités de pilotes de chasse. Les groupes de chasse vont avoir un certain nombre de pilotes qui vont réussir à abattre un certain nombre d’avions allemands avant et pendant la campagne. La majorité, c’est pendant la campagne, mais il y a même de premiers exploits qui se produisent pendant la ‘drôle de guerre’ où il y a des escarmouches aériennes au-dessus du front qui est figé à ce moment-là. Ce qui est le plus marquant, ce sont ces pilotes qui pendant la campagne vont abattre un certain nombre d’avions allemands.

Alois Vašátko | Photo: VHÚ

Parmi les pilotes qui ont eu le plus de succès, on trouve deux hommes en particulier : Alois Vašátko qui va avoir douze victoires homologuées et qui sera quatrième meilleur pilote de chasse de la campagne de France et František Peřina avec onze victoires et cinquième à égalité avec un autre pilote de l’armée de l’air. Sachant qu’il y a une centaine de pilotes de chasse en tout qui sont engagés, sachant qu’on considère, en additionnant les chiffres, qu’on dépasse la centaine de victoires tchécoslovaques au sein de l’armée de l’air, on arrive à des résultats assez incroyables.

František Peřina | Photo: VHÚ

Il y a des débats entre historiens pour savoir combien les Français ont eu de victoires au total pendant la campagne de France. Il y a un vrai problème de comptabilité car les Français ont déclaré beaucoup plus de victoires que les Allemands n’ont perdu d’avions. C’est assez classique : il y a des questions de doublons, parfois une victoire est déclarée par deux pilotes qui ont collaboré pour abattre un avion. On sait en tout cas que les pilotes tchèques auraient abattu une centaine d’avions ennemis et qu’en tout, il y a à peu près 600 victoires qu’on considère comme réalistes. C’est impressionnant par rapport à l’ensemble des pilotes engagés. Et c’est lié en grande partie au fait que ces pilotes ont une expérience assez solide. Certains sont des cadors du pilotage. En plus, ce sont des volontaires donc ils sont particulièrement motivés. Donc pour des raisons qui nous échappent en partie, les résultats des Tchèques en France sont vraiment très bons.

A côté de cela, les Polonais qui ont un nombre assez important de pilotes en exil ne vont pas bénéficier de cette possibilité d’être placés dans des unités françaises, là où il y a de bons avions, modernes. Ces avions capables d’obtenir des victoires, c’est dans les unités de chasse françaises. Toute unité étrangère sur le sol français se serait retrouvée, comme c’est le cas des Polonais, avec des avions déclassés, incapables de se retrouver avec de tels résultats.

Avions de chasse Curtiss Hawk 75s de l’Armée de l'air française | Photo: Stanley Arthur Devon,  Imperial War Museums/Wikimedia Commons,  public domain

Donc les Tchèques bénéficient de cette intégration et d’utiliser des avions performants. Les Polonais, avec leurs avions déclassés, auront très peu de victoires. Les Tchèques bénéficient du fait de ne pas avoir de reconnaissance statutaire spécifique. Ils se fondent dans la masse, comme s’ils étaient des fantassins de la Légion étrangère engagés dans des unités d’élite. »

Les pilotes tchèques en Angleterre | Photo: VHÚ

Une mémoire éclipsée

Je ne vais pas revenir en détails sur le fait qu’après la France, l’Angleterre, tous ces pilotes ont subi une véritable répression de la part du régime communiste tchécoslovaque qui s’installe dans le pays après le Coup de Prague de 1948. Je renvoie à votre article qui est très précieux sur ce sujet. Je ne reviendrai pas non plus sur le fait qu’après la bataille de France, ils partent pour la Grande Bretagne où ils mettent leurs compétences et leurs exploits au service des Alliés, côté anglais. D’où vient cette érosion de la mémoire sur cet épisode français ? Est-ce dû à la capitulation qui a suivi ? Est-ce parce que leurs exploits côté anglais ont éclipsé cette période française ?

Alois Vašátko | Photo: VHÚ

« D’abord il y a l’ombre des Accords de Munich qui subsiste. Quoi qu’aient fait les Français en collaboration avec les Tchécoslovaques en 1939-1940, cela se passe après Munich et se fait avec un parfum de tensions. Il y a la défaite aussi évidemment. Les Français comme les Tchèques aiment beaucoup célébrer leurs défaites, c’est un point commun. Mais en l’occurrence, ce n’est pas quelque chose qui est resté car cette défaite est ensuite sublimée par les victoires au sein de la RAF et les destins de ces pilotes – dont certains vont mourir, comme Alois Vašátko qui va mourir au combat en 1942 dans les forces aériennes britanniques. Donc il ne sera plus là pour parler de cette période française.

František Peřina | Photo: VHÚ

Ces couches sédimentaires de mémoire vont effacer cette période assez courte finalement. Ce qui va rester, c’est la période britannique, une période longue, avec des escadrilles entières de Tchécoslovaques qui sont constituées, et après la guerre, il y a tous ces enjeux liés à la répression, la mémoire qui est effacée par le régime communiste. Cela revient dans les années 1990, avec un retour en grâce de ces pilotes. František Peřina est vivant à l’époque, il fait partie de ces grandes figures qui ont survécu à la guerre, à la période communiste (certains sont restés ou partis en exil).

D’autres enjeux viennent se superposer, médiatiques aussi, avec le film Tmavomodrý svět, de 2001. Ce film célèbre la période britannique parce que dramaturgiquement il y a de la matière. La période française, comme pour les armées terrestres, est effacée. Pour les forces terrestres, c’est le front de l’Est qui va dominer. Pour l’armée aérienne, c’est plutôt la Grande Bretagne. Il y a ces gros piliers de la mémoire et pas grand-chose depuis 1989 n’a pu vraiment changer les équilibres. Toute la partie sous commandement soviétique a beaucoup perdu de sa gloire alors qu’elle a été abondamment célébrée sous le communisme. Toute la partie occidentale, surtout britannique, a retrouvé un vrai écho dans la société tchèque. Il y a aussi toutes les questions liées à l’Union européenne, au rapport de la France à l’Europe centrale qui parfois est un peu hautain ou difficile, au rapport de la Grande Bretagne qui est peut-être plus lointain mais moins intrusif. Je ne suis pas politiste, je ne peux pas fournir une analyse définitive là-dessus, mais en tout cas, c’est un épisode qui est resté relativement mineur. »