Les plus grandes œuvres de la musique classique tchèque : Josef Suk - Vers une vie nouvelle

Photo: Museé national, e-sbírky

Suite de notre série consacrée aux plus grandes œuvres de la musique classique tchèque avec cette semaine la plus célèbre des marches : elle s’intitule Vers une Vie nouvelle (V nový život) et elle est signée Josef Suk.

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« Les soldats avancent, mon Dieu, que c’est beau, les soldats avancent, bien en rangs, les uns derrière les autres... » Ce sont les paroles de la marche intitulée Okolo Hradce – Autour de Hradec Králové, qui trouverait son origine dans la bataille de Sadowa, qui a eu lieu en 1866 à proximité de la ville de Hradec Králové, dans le nord-est de la Bohême, et à laquelle ont pris part plus d’un demi-million de soldats autrichiens, tchèques et prussiens.

Toutes les armées du monde ont besoin de musique pour se mettre en marche : d’ailleurs, aujourd’hui encore, la place Rouge de Moscou retentit au son de la marche du régiment Préobrajenski constitué par Pierre 1er, dit Pierre le Grand, à la fin du XVIIe siècle. Et les régiments écossais ont aussi des marches bien à eux, des marches qui accompagnaient au combat au son de la musique de cornemuses. Quant à la marche Preußens Gloria, elle accompagnait tous les défilés militaires en Allemagne. Mais les marches énergiques ne plaisent pas qu’aux soldats : elles sont également appréciées des comités sportifs. La Marche de Radetzky, par exemple, termine traditionnellement le concert de Nouvel An de l’Orchestre philharmonique de Vienne, et elle est toujours très applaudie.

Photo: Museé national,  e-sbírky

Bien évidemment, les pays tchèques ont eux aussi leurs marches. Nous ne nous occuperons cependant pas des marches associées au régime communiste, qui étaient jouées chaque année à l’occasion du 1er Mai, ni de la très importante production de marches du compositeur et chef de musique patriote natif de Kolín, František Kmoch. Nous nous intéresserons plutôt à la marche tchèque la plus connue et la plus célèbre de toutes : la marche Vers une vie nouvelle, de Josef Suk. Elle est même devenue célèbre de l’autre côté de l’Atlantique, où elle a remporté un concours de morceaux pour la marche des athlètes aux Jeux olympiques d’été de Los Angeles, en 1932.

Cependant, c’est bien avant cela – et en tant que marche militaire – que Josef Suk l’avait tout d’abord composée. Après la « Grande Guerre », en 1919, cette musique était en effet destinée à accompagner les soldats tchécoslovaques en Slovaquie pour y défendre la jeune République tchécoslovaque face aux Hongrois. On parlait alors énormément de l’obligation de s’engager pour la défense de la patrie, et un beau jour, Josef Suk s’est emballé et a décidé d’écrire une nouvelle marche « pour que fiston avance mieux au son de la musique de papa ». En effet, son fils devait faire partie des volontaires. Il a cependant interrompu son travail au bout d’un certain temps.

Ce n’est que plus tard que la marche de Suk a été rendue publique, et elle a immédiatement été très bien reçue. Il n’est donc pas étonnant qu’elle se soit imposée aux Jeux olympiques de Los Angeles de 1932. Ces Jeux étaient très particuliers, car la compétition n’y était pas que sportive : elle comportait également un concours musical de morceaux destinés aux performances sportives. Et aux Jeux olympiques de Los Angeles, la marche Vers une vie nouvelle de Suk était tout simplement la meilleure.

Josef Suk | Photo: Archives de ČRo

Mais pendant de longues années, les Tchèques n’ont pas pu l’entendre, puisque de par son lien avec le mouvement gymnastique patriotique tchèque Sokol, la marche fut interdite par les communistes. Tout comme le mouvement Sokol, d’ailleurs. Pendant la période de la Première République tchécoslovaque, des paroles ont été rédigées pour cette marche Vers une vie nouvelle, afin qu’elle puisse être chantée. Face à la menace d’une nouvelle guerre, cette version pour chœurs était d’ailleurs très populaire.

Nous allons maintenant écouter un enregistrement de cette version de la marche de Suk. Il s’agit en quelque sorte d’une illustration de l’époque à laquelle il a été réalisé : juste après novembre 1989. On y ressent donc bien l’enthousiasme de la révolution de Velours. C’est Vladimír Válek qui dirige l’orchestre.

Les notes et les paroles de cette marche sont optimistes et incitent au combat : « Écoute, le clairon retentit. » Cependant, en raison des paroles faisant référence à l’oiseau emblème du mouvement Sokol, le faucon, il fut interdit de jouer cette magnifique marche pendant la période communiste. Paradoxalement, ses paroles ont pourtant servi de modèle à toutes les marches d’esprit communiste des années 1950.

D’un point de vue musical, c’est le début de cette marche qui est le plus intéressant, avec ses imposantes fanfares qui semblent elles-mêmes aller de l’avant. Ceux qui ont connu le plus mémorable des rassemblements de masse des membres du Sokol s’en souviennent comme d’une expérience incroyable. Ils ont le souvenir de dizaines de milliers de gymnastes qui attendent aux portes du stade de Strahov, à Prague. Et lorsque les fanfares de la marche de Suk ont retenti, tous se sont alors sentis transportés par un enthousiasme quasiment sacré.

En 1920, lorsqu’a été lancé un concours de marche destiné au Sokol, c’est sous couvert d’un pseudonyme que Josef Suk a proposé la version allongée et retravaillée de sa marche Vers une vie nouvelle. C’est donc un auteur anonyme qui a obtenu le premier prix attribué par le Sokol. Cependant sa marche ne faisait pas l’unanimité, car certains aînés parmi les responsables du Sokol la trouvaient trop progressiste. Mais les compositeurs Karel Kovařovic et Otakar Ostrčil, qui faisaient partie du jury, sont parvenus à la faire imposer. Malgré cela, Suk en a gardé une certaine amertume.

Après avoir remporté le concours, il a terminé la composition des fanfares d’ouverture et du passage final. Cela dit, cette marche de Suk a eu du mal à s’imposer parmi les morceaux utilisés pour les entraînements et les entrées des gymnastes du Sokol. Les membres aînés du Sokol préféraient en effet la marche Avec une force de lion de František Kmoch. Ainsi, même s’il avait remporté le concours du Sokol, Suk et ses adeptes ne sont pas parvenus à imposer que sa marche soit utilisée pour accompagner l’entrée des gymnastes au septième rassemblement sportif de masse du Sokol de 1920. Elle y a été jouée, mais seulement pour être écoutée. Ce n’est qu’après le décès du compositeur, en 1935, que le Sokol a accepté d’utiliser la marche Vers une vie nouvelle de Suk en tant qu’hymne du Sokol.

Photo: Archives de ČRo

La version de la marche de Suk que les dirigeants du Sokol ont tout d’abord eu l’occasion d’écouter était une version très simple, une composition pour piano à quatre mains. Le grand public, en revanche, s’est vu présenter un véritable « monument musical » introduit par les célèbres fanfares. C’est le compositeur lui-même qui a produit la partition pour orchestre symphonique ; l’original de celle-ci n’a malheureusement pas été conservé. L’arrangement destiné à l’orchestre d’harmonie militaire qui devait jouer cette marche aux rassemblements de masse du Sokol est l’œuvre du lieutenant-colonel Prokop Oberthor, qui était alors inspecteur de la musique militaire tchécoslovaque.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Tchèques avaient régulièrement l’occasion d’entendre les notes de l’œuvre de Suk sur les ondes radio diffusées depuis Londres par le gouvernement tchécoslovaque en exil. Les fanfares de l’introduction de la marche ont par ailleurs été utilisées comme jingle des émissions régulières des comédiens Jiří Voskovec et Jan Werich, qui étaient diffusées par la BBC anglaise à destination des auditeurs se trouvant sur le territoire tchécoslovaque occupé.

Cette série présentant les grandes œuvres de la musique classique tchèque s’inspire des émissions conçues par Lukáš Hurník et Bohuslav Vítek pour Vltava, la chaîne culturelle de la Radio tchèque.

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