Les JO de 1924 à Paris, un souvenir mémorable pour les Tchèques

À l’approche de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, Radio Prague Int. vous propose de replonger dans les archives des Jeux de la VIIIe olympiade qui, il y a cent ans, se tenaient également dans la capitale française. Six ans après sa fondation, la jeune Tchécoslovaquie avait alors fini 15e au classement des nations, et un nom était entré dans l’histoire, celui du gymnaste Bedřich Šupčík.

Le départ de sportifs tchécoslovaques aux Jeux olympiques de Paris en 2024 | Photo: e-Sbírky,  Musée national

Il est 11 heures du matin, le 12 juillet 1924, lorsque la locomotive se met en branle. À bord du train en partance de Prague, plusieurs dizaines de sportifs tchécoslovaques. Tous prennent la direction de Paris, où se tiennent cette année-là les Jeux de la VIIIe olympiade. À l’époque, rejoindre la ville hôte est déjà une épreuve en soi. Le trajet, qui devait durer vingt-huit heures, en exigera finalement trente-deux. Le train n’arrive à destination qu’à 19 heures le jour suivant.

Mais pour les athlètes tchécoslovaques qui débarquent à Paris, le long voyage n’entame en rien l’enthousiasme de participer aux Jeux et de porter haut les couleurs tricolores de la jeune République qui, quatre ans après une première expérience mitigée à Anvers, envoie une délégation pour la deuxième fois depuis sa fondation en 1918.

Josef Jungmann est l’un de ces athlètes. Âgé de 36 ans, l’escrimeur connaît bien les Jeux. Quatre ans plus tôt, il a déjà concouru en Belgique. Dans un témoignage, recueilli en 1982 par la Radio tchèque, Josef Jungmann se souvient de la différence notable d’atmosphère entre les deux éditions du début des années 1920 :

L’équipe d’escrime en 1929,  Josef Jungmann avec un cup | Photo: e-Sbírky,  Musée national

« L’ambiance [en 1920] n’était pas aussi bonne. Les Jeux se tenaient juste après la guerre. Les gens étaient malheureux et vivaient au jour le jour, sans grande joie. Les Jeux olympiques de Paris étaient, eux, plus heureux. L’atmosphère était différente, plus agréable. »

Dans les années 1920, le sport se démocratise et contribue, à sa façon, à faire oublier les horreurs de la guerre. Les événements sportifs bénéficient, à cet égard, d’une couverture médiatique de plus en plus large. En 1924, pour la première fois de l’histoire, les Français peuvent ainsi suivre les épreuves des JO en direct à la radio.

Affiche des jeux olympiques de Paris de 1924 | Photo: Tangopaso,  Musée Municipal d'Art et d'Histoire de Colombes/Wikimedia Commons,  public domain

Ces Jeux rencontrent un franc succès. À Paris, cette année-là, les représentants de 44 pays s’affrontent. C’est un record pour l’époque, et ce, malgré l’absence de quelques grandes nations, dont l’Allemagne qui n’a pas été conviée à participer aux festivités compte tenu du passif douloureux avec la France. L’URSS, elle, refuse, pour des raisons idéologiques, de participer à des Jeux que ses dirigeants communistes considèrent alors comme l’apanage de la bourgeoisie.

Les membres du Sokol, les grands vainqueurs des JO de 1924

De leur côté, les athlètes tchécoslovaques espèrent faire mieux à Paris que quatre ans plus tôt à Anvers, d’où ils n’avaient ramené que deux médailles de bronze. À cette fin, le Comité olympique tchécoslovaque mise notamment sur la rigueur et les aptitudes des membres du Sokol, cette organisation apparue en 1862 dans les Pays tchèques qui place la pratique sportive au cœur de sa philosophie. L’un des jeunes espoirs, en 1924, s’appelle Miroslav Klinger, médaillé d’or aux Championnats du monde de gymnastique artistique de Ljubljana deux ans plus tôt. Plusieurs décennies après les Jeux, le gymnaste gardait un très bon souvenir de la façon dont la délégation tchécoslovaque était alors perçue par ses adversaires :

« Nous avions un avantage : nous ne connaissions pas le trac. Nous aurions pu perdre, perdre l’honneur, mais nous ne le voulions pas. C’est pourquoi nous n’avons pas échoué. Je me souviens des Jeux olympiques de Paris comme si c’était hier. Quand nous entrions dans la salle d’entraînement, les Italiens tremblaient et s’écriaient avec épouvante ‘Ceco ! Ceco !’ (‘Le Tchèque ! Le Tchèque’, en italien). Ils étaient terrorisés ! »

L’équipe gymnastique tchécoslovaque aux jeux olympiques de Paris en 1924,  B. Šupčík au premier rang à droite,  M. Klinger au deuxième rang  (centre) | Photo: e-Sbírky,  Musée national,  CC BY 4.0 DEED
Robert Pražák | Photo: e-Sbírky,  Musée national

Les craintes des Italiens sont fondées. En gymnastique, les Tchécoslovaques s’avèrent être de redoutables adversaires. Aux anneaux, au saut, au grimper de corde, au concours général individuel et en barres parallèles, les Tchécoslovaques excellent. Sur les dix médailles qu’obtient le pays en 1924, neuf - une en or, quatre en argent et quatre en bronze - sont remportées en gymnastique par des membres du Sokol. À lui seul, Robert Pražák décroche trois médailles d’argent. Mais celui dont le nom entre à jamais dans les manuels tchèques d’histoire cette année-là s’appelle Bedřich Šupčík.

Bedřich Šupčík, héros malgré lui

Né non loin de Vienne en 1898, dans une famille modeste, Bedřich Šupčík grandit chez sa tante à Kroměříž, en Moravie. Quelques années plus tard, il s’installe à Brno, où, comme une évidence, il rejoint le Sokol. C’est là qu’il développe ses aptitudes physiques. En 1924, il est sélectionné pour participer aux Jeux de Paris et part à Prague pour poursuivre son entraînement.

Bedřich Šupčík | Photo: Wikimedia Commons,  public domain
Bedřich Šupčík | Photo: ČT24

Dans la capitale française, le jeune athlète, âgé alors seulement de vingt-six ans, montre l’étendue de ses aptitudes. Le 20 juillet, au stade de Colombes, au nord-ouest de Paris, Šupčík réussit l’exploit, à la seule force de ses bras, d’atteindre le haut de la corde de huit mètres qu’il a face à lui en seulement 7,2 secondes, battant ainsi le précédent record de deux dixièmes. Jamais, pas même avant la guerre lorsqu’ils participaient aux Jeux sous la bannière de la Bohême du temps de l’Empire austro-hongrois, les Tchèques n’avaient encore remporté l’or. S’il signe donc une performance marquante, ce qui aurait dû être vécu comme une consécration par le jeune sportif ne l’est pas. L’historien Petr Vachůt explique pourquoi :

« La forme du mouvement n’était pas très élégante. Bedřich Šupčík préférait les barres, le saut de cheval et les anneaux. À son retour des Jeux à Prague, il a été accueilli avec beaucoup d’enthousiasme, mais lui n’était pas très heureux. Il fallait tout le temps le soutenir. »

Un siècle plus tard, le nom de Bedřich Šupčík est pourtant bel et bien passé à la postérité. Malgré son peu d’enthousiasme, le gymnaste reste le premier sportif tchécoslovaque à avoir décroché l’or olympique. Aux athlètes tchèques à présent d’être dignes de Šupčík et de faire, pourquoi pas, encore mieux qu’à Tokyo en 2021, où la Tchéquie avait remporté onze médailles, dont quatre en or, et avait fini 18e au classement des nations. Presque aussi bien qu’à Paris il y a cent ans, dans un tout autre contexte et une toute autre concurrence...

L’équipe tchécoslovaque à la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques au stade de Colombes en 1924 | Photo: Agence Rol/Gallica/Wikimedia Commons,  public domain
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