Les reines Strachová et Sáblíková
Comme souvent ces dernières semaines, l’actualité sportive a été riche en République tchèque le week-end écoulé. L’équipe féminine de biathlon a ainsi remporté le troisième relais de la saison en Coupe du monde, tandis que Tomáš Berdych, tenant du titre, a été battu en finale du tournoi de Rotterdam par Stanislas Wawrinka. Mais c’est de ski alpin et de patinage de vitesse dont il sera question dans cette rubrique. Šárka Strachová a en effet décroché la médaille de bronze en slalom aux championnats du monde de ski alpin, et Martina Sáblíková a été sacrée championne du monde de patinage de vitesse pour la douzième fois de sa carrière…
Ski – Mondiaux - Slalom : Šárka Strachová, du bronze qui a le goût de l’or
L’histoire de Šárka Strachová, troisième du slalom des championnats du monde de Beaver Creek samedi derrière l’Américaine Mikaela Shiffrin et la Suédoise Frida Hansdotter, n’est décidément pas banale. Peut-être un jour un réalisateur tchèque décidera-t-il de tourner un film sur la vie de celle qui, à ce jour, reste la seule Tchèque, hommes et femmes confondus, à avoir été sacrée championne du monde de ski alpin. C’était en 2007 à Are en Suède : Šárka, qui portait alors encore son nom de jeune fille Záhrobská, avait décroché la médaille d’or dans ce qui a toujours été sa discipline de prédilection (http://radio.cz/fr/rubrique/sport/sarka-zahrobska-premiere-championne-du-monde-tcheque-de-ski-alpin). A 22 ans, la Tchèque, dont le parcours n’est pas sans rappeler par certains aspects celui de la Croate Janica Kostelic, semblait avoir un bel avenir devant elle et être promise à une grande carrière. Mais si celle-ci a effectivement connu des hauts, avec notamment une nouvelle médaille d’argent aux Mondiaux de Val-D’isère en 2009, une autre, olympique cette fois, de bronze aux Jeux de Vancouver en 2010, et plusieurs succès en Coupe du monde, elle a aussi été jonché de pas mal de bas. Depuis sa séparation en 2009 avec un père-entraîneur-manager présenté comme despote, et avec lequel elle est toujours en procès pour une sombre affaire financière, à son opération en 2012 d’une tumeur bénigne au cerveau, Šárka Strachová n’a pas vécu que des jours heureux. Après une deuxième manche aussi bien maîtrisée que la première, deux manches dont elle a signé les troisièmes meilleurs temps, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle estimait que cette médaille de bronze décrochée à Beaver Creek avait pour elle valeur d’or :« C’est difficile à croire. Quand j’ai franchi la ligne d’arrivée et vu la lumière verte sur le tableau d’affichage, j’ai d’abord ressenti une grande joie. Cela signifiait que j’étais en tête, et comme il ne restait plus que deux concurrentes après moi, j’étais déjà certaine de finir sur le podium. Peu m’importait le métal de la médaille, ce n’était pas le plus important. Ce qui l’est, c’est que cette médaille représente tant de choses pour moi. C’est ce qu’il y a de plus beau dans le sport. Il faut avoir vécu ces émotions pour comprendre. »
Il y a un an à peine de cela, à la sortie de Jeux de Sotchi, Šárka Strachová avait pourtant un temps envisagé mettre un terme à sa carrière. Lasse et minée par les blessures, celle qui a été le porte-drapeau tchèque lors de la cérémonie d’ouverture, estimait rester trop loin des places d’honneur auxquelles elle s’était habitué quelques saisons plus tôt :« Je suis contente d’avoir pris la bonne décision après ma blessure, d’avoir continué et de m’être accrochée. Après la saison dernière, j’étais vraiment très fatiguée et j’avais le moral dans les chaussettes. Il a fallu que je retrouve de la force et de l’envie. J’ai suivi mon intuition qui me disait de ne pas abandonner. Cette médaille confirme que j’ai bien fait et c’est une nouvelle étape dans mon renouveau. »
Ce renouveau, comme chez bien des sportifs, est d’avant tout d’ordre mental. Mais si Šárka Strachová est de nouveau bien dans sa tête et bien dans son corps, elle affirme cependant ne pas être sortie du trou au fond duquel elle se trouvait grâce à un coup de baguette magique :
« La foi en moi, la confiance dans le fait que j’avais les moyens de revenir au plus haut niveau et le soutien de mon entourage, et surtout de mon mari, m’ont beaucoup aidée. Mon mari a toujours été là pour me tendre la main, m’aider à continuer dans les moments plus difficiles. C’est lui qui m’a transmis son énergie quand j’étais au plus bas. »
Obtenue le jour de la Saint-Valentin, cette médaille de Šárka Strachová, la quatrième de sa carrière aux Mondiaux et la première dans une grande compétition internationale depuis six ans, est aussi donc d’une certaine manière une belle preuve d’amour. Et effectivement un cadeau qui, même s’il n’est qu’en bronze, peut être considéré comme de l’or.
Patinage de vitesse : Sáblíková, peut-on s’en lasser ?
Vous nous demanderez, et on vous comprendra un peu : mais qui, à part les Néerlandais, les Allemands, les Canadiens, les Japonais et sans doute encore quelques autres nations, s’intéresse donc bien au patinage de vitesse ? Les Tchèques eux-mêmes, qui sont pourtant des amateurs « naturels » des sports d’hiver, n’en ont eu cure pendant très longtemps. Mais les choses ont changé depuis quelques années déjà. Car quels pays peuvent se targuer de posséder un ou une sportive, quelle que soit sa discipline, dont le palmarès affiche, entre autres, trois titres olympiques, huit Coupes du monde et depuis samedi donc douze titres mondiaux ? La République tchèque fait partie de ceux-là. Après sa victoire dans le 3 000 mètres jeudi, Martina Sáblíková a décroché, presque comme prévu, la douzième médaille d’or de sa carrière aux Championnats du monde en remportant, samedi, le 5 000 mètres à Heerenveen (Pays-Bas), dans ce qui est considéré comme la Mecque du patinage de vitesse. La Tchèque a ainsi une nouvelle fois confirmé, si besoin encore en était, qu’elle était la reine indétrônable des longues distances. Son entraîneur, Petr Novák, indissociable des succès de Sáblíková, explique pourquoi :« Nous ne possédons pas d’anneau artificiel et couvert pour la pratique du patinage de vitesse en République tchèque. C’est pourquoi j’ai dû préparer Martina aux longues distances dès ses débuts. Nous nous sommes spécialisés dès l’âge de 13 ans. Tant que nous n’aurons pas d’anneau et de bonnes conditions d’entraînement dans notre pays, nous pourrons difficilement envisager de former un nombre suffisant de sprinters pour pouvoir concurrencer les grandes nations. En revanche, sur les longues distances (3 000 et 5 000 mètres chez les femmes, ndlr), il est possible d’être compétitif même sans anneau, car nous pouvons compenser dans la préparation avec d’autres disciplines sportives. »
Dans le cas précisément de Martina Sáblíková, la préparation sur glace est remplacée essentiellement par du cyclisme, et plutôt à bon escient d’ailleurs puisque la Tchèque, qui envisage de participer aux prochains Jeux olympiques d’été de Rio, avait par exemple terminé 9e du contre-la-montre individuel des championnats du monde en 2012.
Mais surtout, dans un sport qui, comme le cyclisme, la course à pied ou encore le ski de fond, réclame une longue et astreignante préparation, Martina Sáblíková, déjà élue trois fois Sportif tchèque de l’année (2007, 2009 et 2010) à seulement 27 ans, doit ses nombreux succès, en plus de son talent, à sa faculté à encaisser des charges de travail colossales et à une discipline de fer. Autant de dispositions physio-psychologiques dont se félicite et qu’a mis de nouveau en avant son fier entraîneur après la conquête des deux titres mondiaux supplémentaires de sa protégée à Heerenveen. Petr Novák :
« Des gens comme Martina, il y en a très peu. Elle fait entièrement confiance à son entraîneur. C’est une personne à l’écoute de ce qu’on lui dit et conseille. C’est une professionnelle jusqu’au bout des ongles. Elle fait tout ce qu’un sportif de haut niveau devrait faire. Le soir, elle est couchée à dix heures. Elle sait qu’elle a besoin de neuf heures de sommeil pour pouvoir se donner à 100% dès le premier entraînement le lendemain matin. Vous savez, il y a déjà beaucoup de sportifs qui se sont entraînés sous mes ordres. Mais ce qui manquait à beaucoup d’entre eux, c’était la discipline. Martina, sa mère ou une copine peut venir la voir pour aller faire les magasins, mais si elle est en période d’entraînement, je sais qu’elle dira toujours non ! »Un talent indispensable, et plus encore peut-être même un travail de Titan et une discipline à toute épreuve : tels sont donc les ingrédients de la potion magique de Martina Sáblíková, une championne que les Tchèques apprécient non seulement pour ses titres multiples, mais aussi pour les valeurs qu’elle représente. Et admettons que cela n’est effectivement pas donné à tout le monde…