Les rites des Tarahumaras vus par Raymonde Carasco s'invitent à Jihlava
Comme chaque année, le festival international du film documentaire de Jihlava, dont la 19e édition s’est achevée récemment, proposait son lot de rétrospectives. Historien du cinéma à l’Université Charles, David Čeněk avait notamment décidé de mettre à l’honneur la cinéaste Raymonde Carasco, décédée en 2009, qui a durant plus d’un quart de siècle suivi la trace et filmer les rites des Tarahumaras, un peuple indien vivant au nord du Mexique, avec pour toile de fond les écrits et voyages d’Antonin Artaud. Son mari et collaborateur, Régis Hébraud, était invité à Jihlava et il a répondu aux questions de Radio Prague.
A l’époque vous étiez professeur de mathématiques. Vous avez donc suivi votre femme et vous êtes devenu cinéaste…
« Uniquement le cinéaste de Raymonde Carasco. Pour réaliser le désir de la femme aimée. C’est clair, simple et net. Sinon nous n’aurions pas continué à vivre ensemble, cela n’était pas possible. »Votre travail chez les Tamahuramas s’est étendu sur 25 ans. Comment a-t-il évolué ? Comment a évolué votre regard sur ces mythes, sur ces rites ? Et en même temps comment a évolué ce peuple ?
« Pour nous, c’est ce qu’on peut appeler ‘aller au bout du chemin’. C’est un projet qui a pris corps. Au début, les sept premiers voyages à Norogachic, c’était un voyage - un film. C’était à peu près ça, nous y allions pour les fêtes de Pâques, pour les matachines (danse rituelle mexicaine), et on ramenait de la pellicule. Ce processus s’est ensuite gâté. Nous avons été à Mexico mais pas chez les Tamahuramas. Raymonde n’est pas allée au bout donc elle a réamorcé le processus du côté de Nararachi, là où les ethnologues disent que depuis cent ans il n’y a qu’en ce lieu qu’on peut trouver le ‘ciguri’, le rite du peyotl. Et effectivement nous l’avons trouvé. Donc on peut dire que c’est une quête - d’autres cherchent le graal -, avec la volonté d’aller au bout du chemin. »
Et sur l’évolution de ce peuple ?
« Il est en train de se perdre. Pas numériquement mais il perd sa culture, par le désastre économique, par le fait qu’on leur a fait déboiser la région. Cela a eu pour conséquence de changer le système de pluie. Il ne pleut plus assez. Quand on les connaissait en 1977-1978, ils étaient autonomes, ils arrivaient à se nourrir, il n’y avait pratiquement pas d’argent. Les jeunes vont maintenant à Chihuahua (la capitale de l’Etat du même nom, au nord du Mexique, ndlr) chercher du travail. C’est la fin des rites, la fin de la culture tamahumara…Et donc la fin de votre travail ?
« La fin a à peu près coïncidé avec cela. »
Que représente pour vous cette venue au festival de Jihlava et le fait d’y bénéficier d’une rétrospective du travail de votre femme et du votre ?
« Pour moi, c’est la logique totale, c’est ce que je peux rêver de mieux. Les questions sont très précises, la qualité de l’attention est remarquable. Par exemple ce matin, je craignais qu’il y ait pas beaucoup de gens et finalement on aurait pu remplir plus que la salle. C’est merveilleux, que des gens regardent une séance aussi lourde - parce que c’est lourd trois films comme ça -, avec autant de suivi et d’attention. C’est un cadeau qu’ils nous font. »