Les rites des Tarahumaras vus par Raymonde Carasco s'invitent à Jihlava

'Tarahumaras 78', photo: MFDF Jihlava

Comme chaque année, le festival international du film documentaire de Jihlava, dont la 19e édition s’est achevée récemment, proposait son lot de rétrospectives. Historien du cinéma à l’Université Charles, David Čeněk avait notamment décidé de mettre à l’honneur la cinéaste Raymonde Carasco, décédée en 2009, qui a durant plus d’un quart de siècle suivi la trace et filmer les rites des Tarahumaras, un peuple indien vivant au nord du Mexique, avec pour toile de fond les écrits et voyages d’Antonin Artaud. Son mari et collaborateur, Régis Hébraud, était invité à Jihlava et il a répondu aux questions de Radio Prague.

Régis Hébraud,  photo: YouTube
« Raymonde cherchait, elle venait de finir une thèse en 1975 sur Eisenstein. Elle est prof de philo, elle enseigne alors ce qu’on appelle en France l’esthétique et elle avait comme fondamentaux, comme textes fondamentaux ceux de Friedrich Hölderlin et ceux d’Antonin Artaud. Après la thèse, elle éprouve le besoin d’écrire, avec l’idée que pour écrire, il fallait aller ailleurs. Elle dit qu’elle est allée voir l’écriture d’Antonin Artaud. Elle dit qu’elle a voulu voir qu’est-ce qu’était écrire, qu’est-ce que raconte l’écriture, comment l’écriture raconte à partir d’un voir initial, confronter son voir et le voir d’Artaud. Hypothèse fondamentale : à l’origine de l’écriture, du texte, de la poésie, il y a un voir. Il reste que nous avions deux caméras quand nous sommes allés chez les Tamahumaras, nous n’étions pas innocents… Mais du point de vue de Raymonde, le projet était un projet d’écriture. »

A l’époque vous étiez professeur de mathématiques. Vous avez donc suivi votre femme et vous êtes devenu cinéaste…

'Tarahumaras 78',  photo: MFDF Jihlava
« Uniquement le cinéaste de Raymonde Carasco. Pour réaliser le désir de la femme aimée. C’est clair, simple et net. Sinon nous n’aurions pas continué à vivre ensemble, cela n’était pas possible. »

Votre travail chez les Tamahuramas s’est étendu sur 25 ans. Comment a-t-il évolué ? Comment a évolué votre regard sur ces mythes, sur ces rites ? Et en même temps comment a évolué ce peuple ?

« Pour nous, c’est ce qu’on peut appeler ‘aller au bout du chemin’. C’est un projet qui a pris corps. Au début, les sept premiers voyages à Norogachic, c’était un voyage - un film. C’était à peu près ça, nous y allions pour les fêtes de Pâques, pour les matachines (danse rituelle mexicaine), et on ramenait de la pellicule. Ce processus s’est ensuite gâté. Nous avons été à Mexico mais pas chez les Tamahuramas. Raymonde n’est pas allée au bout donc elle a réamorcé le processus du côté de Nararachi, là où les ethnologues disent que depuis cent ans il n’y a qu’en ce lieu qu’on peut trouver le ‘ciguri’, le rite du peyotl. Et effectivement nous l’avons trouvé. Donc on peut dire que c’est une quête - d’autres cherchent le graal -, avec la volonté d’aller au bout du chemin. »

Et sur l’évolution de ce peuple ?

'Tarahumaras 78',  photo: MFDF Jihlava
« Il est en train de se perdre. Pas numériquement mais il perd sa culture, par le désastre économique, par le fait qu’on leur a fait déboiser la région. Cela a eu pour conséquence de changer le système de pluie. Il ne pleut plus assez. Quand on les connaissait en 1977-1978, ils étaient autonomes, ils arrivaient à se nourrir, il n’y avait pratiquement pas d’argent. Les jeunes vont maintenant à Chihuahua (la capitale de l’Etat du même nom, au nord du Mexique, ndlr) chercher du travail. C’est la fin des rites, la fin de la culture tamahumara…

Et donc la fin de votre travail ?

« La fin a à peu près coïncidé avec cela. »

Que représente pour vous cette venue au festival de Jihlava et le fait d’y bénéficier d’une rétrospective du travail de votre femme et du votre ?

'Tarahumaras 78',  photo: MFDF Jihlava
« Pour moi, c’est la logique totale, c’est ce que je peux rêver de mieux. Les questions sont très précises, la qualité de l’attention est remarquable. Par exemple ce matin, je craignais qu’il y ait pas beaucoup de gens et finalement on aurait pu remplir plus que la salle. C’est merveilleux, que des gens regardent une séance aussi lourde - parce que c’est lourd trois films comme ça -, avec autant de suivi et d’attention. C’est un cadeau qu’ils nous font. »