Les Tchèques et le Jour J
Le 6 juin 1944, 150 000 soldats alliés ont débarqué sur les plages normandes Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword dans le cadre de l'opération Overlord. La libération de l'Europe occidentale commençait. "Le fait que les Tchécoslovaques y étaient, nombreux, est extrêmement important pour notre pays. Leur présence a fait que nous aussi avions de quoi être fiers à la fin de la guerre", a déclaré le président tchèque Vaclav Klaus, l'un des invités, dimanche dernier, du président français, Jacques Chirac, à la cérémonie internationale à Arromanches. Les émotions des anciens combattants réunis pour commémorer le 60e anniversaire du Jour J, sous les images du débarquement projetées sur un grand écran, étaient fortes.
La Tchécoslovaquie, occupée à la suite du Diktat de Munich et transformée en Protectorat de Bohême-Moravie ne pouvait pas combattre. Des milliers de jeunes hommes démobilisés contre leur gré sont partis en France, où ils se sont fait recruter par la Légion étrangère avant, une fois Paris tombée, de partir combattre en Grande-Bretagne. De là, des membres d'une brigade blindée tchécoslovaque sont à nouveau retournés en France, dans le cadre de l'opération Overlord. Près de 3000 Tchécoslovaques ont assiégé le port de Dunkerque. A l'occasion du 60e anniversaire du débarquement, dix vétérans tchécoslovaques ont été décorés de la Légion d'honneur, deux d'entre eux, Anton Petrak et Antonin Spacek, même directement des mains de Jacques Chirac sur la plage Golf à Arromanches. Les autres ont reçu l'insigne de la Légion d'honneur, lors d'une cérémonie, vendredi dernier, à l'ambassade de France. Parmi eux, le colonel Vaclav Straka qui s'est confié au micro d'Alexis Rosenzweig:
"J'ai fini mes études de français et d'allemand à Prague, et j'ai reçu une bourse du gouvernement belge. En septembre 1938, j'ai quitté la Tchécoslovaquie pour Bruxelles. Là-bas, j'ai organisé des colonies tchécoslovaques, il y avait beaucoup de Tchèques et de Slovaques en Belgique. Nous avons formé des groupes de résistance. Après l'offensive allemande en occident, j'ai quitté la Belgique, et je suis allé en France rejoindre l'armée étrangère qui s'y était formée."
Combien de Tchécoslovaques étiez-vous ?
"C'est difficile à dire, parce que la formation ne s'est pas faite d'un seul coup, il y avait de nouveaux qui arrivaient régulièrement, mais à la fin, c'était 12 000, toute une division. Nos deux régiments étaient engagés dans les combats sur les rives de la Seine et de la Loire. C'était déjà les combats de retrait car, malheureusement, la France n'a pas résisté pendant longtemps. Nous étions organisés dans de petits groupes munis de mitrailleuses pour nous frayer un passage en Espagne, ce qui n'était pas possible."
"Finalement, le gouvernement tchécoslovaque et, surtout, le gouvernement britannique ont engagé des navires égyptiens à bord desquels notre division a traversé la Manche pour arriver en Grande-Bretagne. Beaucoup d'entre nous ont voulu rejoindre l'aviation, moi aussi, mais à cause des yeux, on ne m'a pas pris à la RAF. Je suis donc retourné à la brigade et comme j'étais professeur et aussi journaliste, avant la guerre, et parce que les Tchèques avaient besoin d'informations, on a fondé un quotidien de l'armée - "Nase noviny", dont je suis devenu le rédacteur en chef."
"Notre brigade a d'abord servi comme partenaire des Anglais, parce que l'Angleterre a commencé à mobiliser et ses jeunes gens ont manqué d'expérience, alors que nous étions déjà des soldats expérimentés. Beaucoup de nous ont formé des groupes qui allaient être parachutés en Tchécoslovaquie, dans le cadre de la résistance. Nous, comme journalistes, nous étions toujours avec l'armée dans toutes les batailles, à Dunkerque, par ex."
Où étiez-vous exactement, le 6 juin 1944?
"J'ai été avec mon groupe, nous avons traversé la Manche et notre brigade devait rejoindre les Polonais qui avaient déjà avancé vers le nord, en Belgique. Dunkerque était le seul port français intact encore, parce que les autres avaient tous été détruits. Le général de Gaulle a demandé de ne pas détruire ce port. Et comme nous étions là, en tant qu'unité indépendante, Montgomery a décidé que nous allions assiéger les Allemands, sans que le port soit détruit, et attaquer les Allemands pour les contraindre à se rendre, mais ils ne se rendaient pas."
"Nous étions là, pratiquement jusqu'à la fin de la guerre. Nous avons fait 300 assauts, mais qui n'ont servi à rien... Finalement, parce que les Américains avançaient, entre-temps, vers la Tchécoslovaquie, et tout le monde voulait combattre pour la libération de sa patrie, ce qui n'était cependant pas possible, Montgomery a quand même accepté de former une unité symbolique de 150 Tchécoslovaques bien armés de canons et de mitrailleuses. Nous sommes allés, de Dunkerque, rejoindre les Américains, deux jours après qu'ils ont franchi la frontière tchécoslovaque à Cheb, le 1er mai 1945. Avec eux, nous sommes allés jusqu'à Plzen, et nous voulions continuer jusqu'à Prague insurgée, ce qui n'était pas possible à cause de la ligne de démarcation convenue avec Staline. Je suis entré dans Prague, juste un jour après les Russes."
Qu'est-ce qui vous est arrivé après le coup d'Etat communiste?
"Politiquement, je suis social-démocrate, je n'ai jamais adhéré au parti communiste, c'est pourquoi j'ai été 3 fois chassé, 3 fois j'ai perdu mon métier, mais on m'a laissé travailler un peu, parce que je n'étais pas aussi important."
C'était important à cette époque, parce que certains de vos collègues qui ont été décorés avec vous ont eu des problèmes graves?
"Beaucoup ont été emprisonnés, notre général a passé sept ans de prison dans les mines d'uranium à Jachymov, et d'autres aussi... Après 1968, quand les Russes sont venus, naturellement j'ai été contre, publiquement, et j'ai été de nouveau chassé de la rédaction "Le Monde illustré" - "Svet v obrazech", mais j'avais déjà 55 ans, j'ai donc eu le droit à une pension retraite. J'ai eu de la chance dans la vie, quoique difficiles et dangereuses aient été les situations que j'ai affrontées, comme il en arrive quand vous êtes dans la guerre, voilà, c'est tout..."