Les Tchèques, fan d’Histoire ? Fêtes médiévales et escrime historique en République tchèque

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Fêtes médiévales, reconstitutions de batailles ; en République tchèque, ce type de manifestations foisonnent dès les premiers jours du printemps, parfois dans les parcs de la capitale mais le plus souvent dans les petits villages de Bohême et de Moravie qui offrent un décor tout à fait authentique.

Vous êtes-vous déjà retrouvés nez à nez, dans le métro, avec un homme qui porte sereinement, accrochée à sa ceinture, une énorme épée médiévale ? A Prague, rien de plus normal que de rencontrer, dans les rues ou les transports en commun, ces grands gaillards, qui peuvent donner au passant l’impression d’être en présence d’un immortel échappé des films Highlander ou de Godefroid de Montmirail, des Visiteurs, revenu chercher sa petite fillotte.

Mais il s’agit en réalité de passionnés qui sortent d’une séance d’entrainement d’escrime historique – un passe-temps, qui mélange sport mais aussi aptitudes artistiques – qui consiste à reconstituer des combats ou des batailles, avec les techniques et les armes de l’époque médiévale ou de la Renaissance.

En Europe, ce phénomène prend de l’ampleur à partir des années 1990, avec le développement d’internet : on voit de plus en plus de pages web apparaitre sur la toile informant des prochaines rencontres et manifestations. Mais cette activité comptait néanmoins déjà un certain nombre d’adeptes, notamment en Angleterre ou en Allemagne, dès les années 1970. En République tchèque, le premier groupe d’escrime historique apparaît à la fin des années 1950. On écoute Pavel Plch, auteur d’un ouvrage sur cette discipline :

Pavel Plch
« Il y a 53 ans, quelques escrimeurs du club de l’association d’escrime Riegel de Prague, qui existe depuis environ 120 ans, avaient décidé, pour promouvoir l’escrime, de faire une représentation devant le Château de Prague. Ils prirent les costumes de mousquetaires parce qu’ils travaillaient pour une pièce de Shakespeare au Théâtre national. Le docteur Černohorský et le colonel Wagner étaient au musée militaire où ils ont pris les armes de mousquetaires. Et ils ont fait un spectacle où ils ont montré ce qu’était l’escrime sportive mais aussi celle de l’époque des mousquetaires. Ça a énormément plu aux gens, qui préféraient l’aspect historique à l’aspect sportif. Et petit à petit, ça a commencé, des groupes se sont formés. Nous sommes un de ces premiers groupes. Il y a quarante ans, il y avait une douzaine de groupes, et aujourd’hui on estime qu’environ 10 000 personnes en République tchèque s’intéressent d’une façon ou d’une autre à l’escrime historique. »

Beaucoup de groupes s’entrainent donc régulièrement et participent à ces fêtes médiévales. Au début du mois de juin, dans le parc de Klamovka se tient chaque année la fête Klamoklani ; c’est un jeu de mots entre le nom du parc, situé dans le cinquième arrondissement de la capitale, et le terme « klani », qui veut dire tournoi, comme ces tournois organisés par les seigneurs à l’époque médiévale. Au programme, démonstrations de combats et théâtre, ainsi qu’un grand tournoi de chevaliers, auquel a participé Petr Šleis. On le retrouve autour d’une tente médiévale, allongé avec ses compagnons, pour le repos du guerrier :

« Nous faisons cela depuis longtemps. C’est romantique, non ? Du vin, des femmes, des chants. Je pense que c’est une vieille tradition tchèque. Nous jouons de nombreuses époques : le moyen-âge, la guerre de trente ans, Napoléon, tout ce qui est possible. Nous nous entrainons une fois par semaine, pendant trois heures. Avant nous nous entrainions plus mais comme nous sommes bons maintenant, ça nous suffit. Nous faisons des représentations au théâtre. Nous faisons de l’escrime dans toute l’Europe, dans de nombreux festivals, et nous apparaissons également dans des films, parfois. »

Lorsqu’on demande à ces adeptes de l’escrime historique pourquoi ils s’y sont intéressés, l’idée de romantisme est celle qui revient le plus souvent. Une réponse un peu surprenante, mais il est vrai que c’est le mouvement romantique, au XIXème siècle, qui est à l’origine de ce regain d’intérêt, voire de cette réhabilitation du moyen-âge. En République tchèque, cette époque correspond également à certains des moments les plus glorieux de l’histoire nationale : la période faste de Charles IV au XIVème siècle, ou encore le mouvement hussite souvent considéré comme un moment de lutte héroïque contre les oppresseurs. Pavel Plch confirme cet intérêt tchèque pour l’histoire, mais trouve également d’autres bonnes raisons à la pratique de l’escrime historique :

« Nous sommes des romantiques, mais en plus, en République tchèque, il y a ce penchant pour l’histoire qui est particulièrement fort. D’autre part, la nation tchèque est une nation de gens qui aiment avoir des hobbies, et c’est une tendance à la mode. Cette mode est partout, en Allemagne. Ça commence à se développer en Europe du nord, il y a des clubs aussi en France.

Mais il y a aussi un rôle social. Parce qu’imaginez 800 personnes en uniformes se rencontrent avec des ennemis, également en uniformes, qu’ils ne connaissent pas, cachés derrière une palissade. Il se passe quelque chose d’énorme, où l’agressivité se termine en non-agressivité. Grâce à dieu, des jeunes gens vont à ces combats, à ces reconstitutions, plutôt que de participer à des gangs et de mettre le feu à des voitures. C’est donc une énorme soupape pour l’agressivité. »

Ces fêtes médiévales sont aussi et surtout des rencontres populaires et familiales. Plusieurs activités sont organisées pour les visiteurs, et notamment pour les enfants. Les adultes peuvent se promener au milieu du marché médiéval et s’instruire sur le mode de vie au moyen-âge. Dans ce village médiéval reconstitué, on trouve ainsi forgerons, menuisiers et tisserands qui exposent leurs techniques anciennes. Petr Fantys se trouve à côté d’un de ces stands :

« Comme vous le voyez, aujourd’hui, nous montrons aux gens à quoi ressemblait un camp de la guerre de trente ans. Nous avons une exposition d’armes. Parfois nous nous battons, et surtout, nous mangeons ! J’aime être ici. On vient à faire ça ou parce qu’on s’intéresse à l’histoire, ce qui n’était pas mon cas, ou parce qu’on s’intéresse aux sports de combat, et c’est plutôt de cette façon que j’y suis venu. Et maintenant, c’est plus le côté histoire qui m’intéresse que les combats. Chaque personne y vient différemment. Simplement parfois parce que leurs parents les ont emmenés dans ce type de manifestations quand ils étaient petits, de la même façon qu’il y a beaucoup d’enfants ici. »

Ces fêtes et reconstitutions historiques se multiplient dans tout le pays pendant toute la belle saison. Pour plus d’info, www.ceskyserm.cz

Photos : Anne-Claire Veluire