« Les Tchèques ne sont pas athées, ils ne sont pas pratiquants »

La première visite du pape Benoît XVI en République tchèque s’achève ce lundi, jour de fête nationale et de la saint Venceslas, patron de la nation tchèque. Avant sa venue à Prague, samedi, les médias du pays et étrangers ont rappelé que le Souverain pontife n’arrivait pas en terrain conquis : selon le dernier recensement réalisé en 2001, les Tchèques sont en effet le peuple le plus athée en Europe. Près de 60 % d’entre eux affirment être sans religion et à peine un peu plus de 25 % de la population déclarent son appartenance à l’Eglise catholique. Au-delà, ce voyage de Benoît XVI précède de quelques semaines le 20e anniversaire de la révolution qui a entraîné la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie. Une révolution dite de velours car elle était alors porteuse de certaines valeurs morales et spirituelles proches de celles prônées par l’Eglise catholique. L’occasion donc de s’interroger sur la place, le rôle et l’évoltuion de cette Eglise en République tchèque aujourd’hui. Le père dominicain Tomáš Benedikt Mohelník a répondu à nos questions :

-La République tchèque est souvent présentée comme le pays le plus athée en Europe. Pour vous qui vivez votre foi au quotidien dans ce pays, qu’en est-il réellement ? Est-ce quelque chose que vous ressentez ou les choses sont en réalité plus compliquées ?

« (Rires) Les choses sont toujours plus compliquées que les schémas dans les manuels. Mais c’est vrai que la pratique religieuse en Tchéquie n’est pas très forte. Ca, c’est sûr. Mais ça ne veut pas dire que les gens ne sont pas sensibles à des valeurs spirituelles. Si on prend nos églises, il n’y a plus de gens qu’il y a vingt ans mais il y a plus de jeunes. Cela prouve que l’Eglise est vivante. Pour moi, c’est un signe d’espoir. Mais quant à savoir si les Tchèques sont athées… Ils sont anticléricaux, ‘antiinstitutionnels’, c’est certain, mais je ne dirais pas ‘antispirituels’. Les Tchèques sont peut-être un mélange entre les Slaves et les Allemands. Ils ont quelque chose de l’âme slave qui est quand même sensible aux réalités spirituelles. Je ne dirais donc pas que les Tchèques sont athées. Je dirais plutôt qu’ils ne sont pas pratiquants. »

-Les chiffres des enquêtes sont intéressants à interpréter, car ils sont peut-être trompeurs comme vous le dites. Un Tchèque aura tendance à répondre par la négative à la question s’il est catholique ou croyant. On va donc le considérer comme athée. Inversement, en France par exemple, les gens répondent presque automatiquement qu’ils sont catholiques parce qu’ils ont été baptisés quand ils étaient tout petits ou parce que ça fait partie de la tradition, de leur éducation. Et ils répondent de la sorte même s’ils ne sont pas ou presque plus pratiquants et ne se rendent à l’église que pour Noël, Pâques et les grandes occasions. Est-ce aussi une des raisons pour lesquelles les Tchèques sont considérés comme très athées ?

« C’est vrai que les chiffres sont assez trompeurs. Mais je crois que c’est un héritage évident de l’époque communiste. Pendant quarante ans, affirmer son appartenance à l’Eglise a été quelque chose de très négatif par rapport à l’Etat, au régime officiel. Les gens se sont donc habitués à dire « non » même s’ils étaient baptisés. C’est effectivement une grande différence de comportement avec d’autres pays comme la France, l’Allemagne ou l’Autriche. »

-Et comment expliquez-vous la différence qui existe également par exemple entre les Tchèques et les Slovaques, eux aussi très croyants ?

Jan Hus
« C’est une longue histoire. Ca commence avec les mouvements des hussites, anticatholiques. Ce sont les prédécesseurs de la Réforme. La réforme protestante, surtout en Bohême, a été assez forte. Et puis il y a eu la recatholisation. La question de savoir si elle été violente ou non est plus pour les historiens. Enfin il y a eu un fort sentiment anti-Habsbourg et donc anticatholique au moment du Réveil national au XIXe siècle. On a forcé ce sentiment. C’est ce qui explique pourquoi la jeune République tchécoslovaque après la Première Guerre mondiale était anticléricale dans ses racines. Cela fait donc déjà quelques siècles d’un sentiment anti-romain bien ancré dans l’âme tchèque. Et cela explique pourquoi les Tchèques entretiennent cette distance avec l’Eglise. »