L’été à Prague avec Shakespeare
« Les festivités d’été de Shakespeare » sont considérées comme le plus ancien événement culturel de ce type en Europe. Depuis les années 1990, le festival de théâtre en plein air est devenu un rendez-vous incontournable qui attire le public notamment pour son cadre, les deux scènes étant installées au Château de Prague et dans la cour du Conservatoire de musique à proximité de la place de Malá Strana, offrant ainsi une expérience théâtrale exceptionnelle. Pour cette édition 2014, les organisateurs proposent une dizaine de pièces, dont plusieurs premières, parmi lesquelles l’adaptation de la comédie « Comme il vous plaira » par le théâtre d’Ostrava. Radio Prague s’est entretenu avec Marek Holý, qui joue le rôle Orlando dans cette pièce.
« Tout d’abord, j’ai joué dans ‘Romeo et Juliette’ à Ostrava au Théâtre national morave et silésien. C’est là aussi que j’ai joué dans ‘La Comédie des erreurs’. A Prague, au théâtre Na Fidlovačce, les spectateurs pouvaient me voir dans la pièce ‘Comme il vous plaira’, mais dans un autre rôle. Au théâtre Na Vinohradech, j’ai été le protagoniste du rôle principal dans ‘La Mégère apprivoisée’. Entre-temps, j’ai joué aussi au Château d’Ostrava dans ‘La Comédie des erreurs’ puis à nouveau dans ‘Romeo et Juliette’. »
Son rôle le plus récent est donc celui d’Orlando dans la comédie « Comme il vous plaira » que Shakespeare a écrite aux alentours de 1599 et qui a été jouée en juillet dernier au Château de Prague. C’est un spectacle qui s’inspire d’un roman pastoral et qui se déroule en grande partie dans une forêt. La forêt devient le lieu de refuge d’un duc et de ses compagnons et elle est bien sûr la maison des paysans. Au fur et à mesure, tous les personnages s’y retrouvent. Marek Holý raconte le début de l’histoire :
« Il y a un jeune noble qui a un frère aîné. Après la mort de leur père, l’aîné monopolise tous les honneurs pour lui. Le plus jeune se sent lésé et pense avoir droit à plus. C’est alors qu’il est aussi touché par la flèche de l’Amor quand il voit Rosalinda. Ensuite, il est plongé dans l’amour et dans les sentiments agités. »Selon Přemysl Rut, dramaturge et écrivain, « Comme il vous plaira » est une pièce exceptionnelle dans l’œuvre de Shakespeare du fait qu’une grande partie de l’action est cachée aux yeux du spectateur. Dans « Romeo et Juliette », on assiste à leur nuit de noces, on est là quand Hamlet aperçoit l’esprit de son père assassiné ou quand le roi Lear devient fou. En revanche, l’action dans la comédie « Comme il vous plaira » se passe ailleurs, et les personnages sur scène en parlent, se la racontent et se positionnent par rapport aux derniers événements. A cela est liée également la prépondérance de la prose sur les vers à l’aide de laquelle les différents personnages s’expliquent l’action.
Les personnages principaux sont Orlando, fils d’un duc décédé, et Rosalinde, fille d’un duc réfugié dans les forêts. Marek Holý caractérise Orlando :
« Notre Orlando est un peu plus tourmenté. Au début de la pièce, il boit de l’alcool. Mais vers la fin il arrête car l’amour le guérit. C’est un personnage que j’aime bien jouer, surtout en étant accompagné par des si bons acteurs. La collaboration avec le metteur en scène, Michal Lang, s’est aussi très bien passée. »Pour Marek Holý, le plus beau personnage de la pièce est Rosalinda. C’est la reine du déguisement. Pendant une grande partie de la pièce, elle prétend être un homme, Ganymède. Les changements de sexe, trait typique des œuvres de Shakespeare, sont encore marquants dans « Comme il vous plaira », quand on imagine qu’à l’époque, à la fin du XVIe siècle, tous les rôles étaient interprétés par des hommes. Ainsi, le déguisement de Rosalinde avait quatre niveaux. D’abord, le comédien-homme se déguisait en Rosalinde, puis celle-ci se déguisait en homme Ganymède, avant que ce dernier, dans une logique un peu tordue, ne pousse Orlando à se comporter envers lui comme s’il était Rosalinde.
Cette situation particulière est le résultat du raisonnement de Rosalinde, qui met à l’épreuve la sincérité de l’amour d’Orlando. Elle lui promet de le guérir de son amour envers Rosalinde et le pousse à se comporter envers Ganymède comme s’il était son bien-aimé. Dans cette partie de la pièce, Rosalinde prend toutes les initiatives et conte fleurette, une activité généralement masculine pendant laquelle les femmes sont passives. Finalement, non seulement Orlando est renforcé dans ses sentiments, mais aussi son protagoniste Marek Holý qui énumère ce qui lui plaît chez Rosalinde :
« Son intelligence et son recul, sa capacité à voir les choses dans leur ensemble. Dans la pièce, elle montre l’intelligence féminine dans sa forme la plus pure et la plus belle. Même si, à un moment donné, elle se déguise en homme, elle utilise sa tête de femme. Par exemple, la scène dans laquelle Rosalinde gronde la bergère Phébé pour la manière dont elle traite son admirateur Silvius. C’est un personnage si beau que Shakespeare lui-même a dû être une femme. Ou alors une femme l’aidait à écrire. »Les autres personnages se distinguent beaucoup les uns des autres. Chacun a ses caractéristiques. Marek Holý complète :
« Je pense qu’Orlando a beaucoup d’espace dans la pièce, c’est ainsi ce personnage qui peut le plus évoluer. Néanmoins, les autres ne sont pas des petits rôles. Il y a par exemple Jacques, mélancolique et pensif, ou encore le bouffon Pierre de Touche. Cela fait partie de la grandeur de Shakespeare. Chaque personnage apporte un nouvel élément à la pièce et il n’y a pas de rôles statiques ou tout petits. »
Marek Holý l’a mentionné, il y a aussi un nouveau caractère, le bouffon Pierre de Touche. Dans ce spectacle, Shakespeare lui oppose un clown, un paysan. Si le clown, qui n’articule pas, est drôle dans sa façon bien peu sophistiquée de s’exprimer, il est confronté à un bouffon, qui, parmi toutes les pièces de Shakespeare, apparaît pour la première fois précisément dans « Comme il vous plaira ». Il sait très bien parler, il est brusque, plus intellectuel. Il prend le rôle du commentateur ironique.Résultat de répétitions intenses concentrées en l’espace d’un mois, la pièce « Comme il vous plaira » a été jouée à sept reprises, quatre à Ostrava et trois à Prague. Compte tenu de son succès auprès du public, ce n’étaient cependant pas les dernières fois. C’est notamment le langage juste et drôle à la fois, traduit en tchèque contemporain par Martin Hilský, le maître de l’œuvre de Shakespeare en République tchèque, qui a fait rire plus d’un spectateur.