L'heureux "bricoleur" Frantisek Skala envahit, avec ses objets insolites, la prestigieuse galerie du Rodolphinum

Frantisek Skala

Cette affiche-là, baignant dans une lumière jaune, il est impossible de ne pas la remarquer dans les espaces publics de Prague : un homme brun et moustachu, imitant par son look Elvis Presley, y est pris en photo devant un cimetière. Regard provocateur, il dévoile volontairement une dent noire, l'index pointé vers le ciel... "Je m'utilise, moi-même, comme un matériau artistique", dit Frantisek Skala, 48 ans, artiste à plusieurs casquettes : sculpteur, animateur, illustrateur, dessinateur, photographe, musicien et comédien du théâtre Sklep, membre de plusieurs groupes de performers, glaneur.

Le grand public se souviendra du générique du Festival du film de Karlovy Vary que Skala avait réalisé, il y a deux ans, avec ses amis du trio Tros Sketos. Les mélomanes savent peut-être qu'il est auteur du design du palais Acropolis, haut lieu de la musique contemporaine dans la capitale... En 1992, l'artiste a représenté la République tchèque à la Biennale de Venise. Arrivé sur place à pied, depuis Prague, il y a exposé les dessins réalisés lors de son périple de plus de 800 km. Ses installations insolites, journaux de voyages et photographies sont à voir au Rodolphinum jusqu'à la fin de l'année. Petr Nedoma, directeur de la galerie.

"Ce que j'aime chez Frantisek Skala, c'est que sa créativité, que je comprends comme une manière de vivre, est sans sujet. Sa créativité a un seul objectif : vous persuader vous, les spectateurs, que votre cerveau pourrait fonctionner autrement."

Avec du bois, du métal, des objets trouvés et des fragments de la nature, Frantisek Skala crée un univers fantastique, joyeux, où l'on se sent bien. Le public y retrouve des scènes de la vie quotidienne, ses rêves et fantasmes, son amour de la nature, des objets fétiches de son enfance... comme, par exemple, la guitare... Frantisek Skala.

"Je fais aussi de la musique, c'est ma passion, même si mes compétences de musicien sont limitées. J'ai même fabriqué mes propres instruments, ce sont les percussions auxquelles je joue dans le Petit orchestre de danse Universal Praha. Les guitares électriques que vous voyez ici, je les utilise sur scène, mais on ne peut pas jouer avec. C'était très excitant pour moi de les fabriquer, à partir de vieux objets trouvés, parce que chacune d'entre elles a ses limites, représente un autre style de musique. Je ne sais pas si les femmes ont aussi cette faiblesse pour les guitares électriques. La guitare, le mythe du rock, c'est une affaire d'hommes. C'est aussi un symbole érotique. Sa forme, son design, rappelle celui des armes ou des voitures. Et puis, remarquez que chaque garçon fait au moins semblant de savoir jouer de la guitare. Moi, je sais jouer, bien que, dans l'orchestre, je joue des percussions et je chante."

Plongé dans son univers constitué de ses drôles de guitares, mini-épaves de voitures, têtes, arbres ou aliments, et installé, avec sa famille, dans une maison de campagne quelque part en Bohême du nord, Frantisek Skala n'est pourtant pas coupé de notre réalité brûlante. Mais il refuse de se laisser broyer par la civilisation et ses problèmes, de déprimer son public, sans, pour autant, rester indifférent...

"Je crois qu'à travers mes oeuvres, on comprend vite quelles sont mes opinions. J'aime recycler, mon travail est écologique, bien que j'utilise aussi du plastique. Mais des bouteilles plastiques, on peut faire aussi de belles choses. J'essaye de ne pas me laisser influencer par la société de consommation : je ne travaille pas en numérique, je n'ai pas de portable, pas de télé et pas de voiture. Mais peut-être que j'en aurai un jour, qu'en sais-je ? En tout cas, en utilisant ces objets-là, les gens perdent une bonne dose de sensibilité. Moi, je veux attirer leur attention sur des choses qui deviennent rares, qui sont menacées de disparaître. Mais il n'est pas toujours facile d'être sur la même longueur d'ondes avec le public. Les images et les icônes que les médias et la société lui ont imposées sont ses repères. Moi, je n'aime pas donner de noms à mes créations. Mais le public est perdu lorsqu'il n'a pas de titre devant soi. Il ne sait pas aborder les choses avec un esprit ouvert, il cherche un mode d'emploi."

L'exposition "Skala v Rudolfinu", Skala au Rodolphinum, c'est jusqu'au 2 janvier prochain. Elle est accompagnée par une série de manifestations à cheval entre la musique, les arts plastiques et le théâtre.

Auteur: Magdalena Segertová
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