Liberté de la presse : la Tchéquie progresse « mais il reste de sérieux problèmes »
Reporters sans frontières (RSF) a dévoilé mardi son classement annuel mondial de la liberté de la presse. Classée 40e l'année dernière, la République tchèque est en 20e position cette année, devant la France (26e), la Belgique (23e) et le Luxembourg (21e) et derrière la Suisse (16e), la Namibie (18e) et le Canada (19e).
Sur les 180 pays évalués, 73 % se caractérisent par des situations "très graves", "difficiles", ou "problématiques" pour la profession, en raison d'un "chaos informationnel" et d'une désinformation accrus. La Corée du Nord est en dernière position du classement RSF dominé cette année encore par la Norvège. Pavol Szalai est le responsable du bureau UE/Balkans de RSF.
La méthodologie pour élaborer votre classement a-t-elle changé depuis l’année dernière ?
Pavol Szalai : « Oui, nous avons par exemple beaucoup mieux pris en compte la numérisation des médias. Pour cette raison, les progressions et les chutes des pays par rapport à l’année 2021 sont à prendre avec précaution. »
Pour établir ce classement vous utilisez un relevé quantitatif des exactions commises à l’encontre des professionnels des médias et une analyse qualitative de la situation de chaque pays, avec des acteurs locaux qui répondent à votre questionnaire.
« Nous mesurons le nombre d’attaques contre les journalistes et d’autres part nous envoyons à des journalistes et experts des médias un questionnaire très détaillé de 123 questions qui mesure cinq indicateurs de la liberté de la presse : le contexte politique, le cadre légal, le contexte économique, le contexte socio-culturel et la sécurité des journalistes dans le pays. »
Pour un pays de la taille de la République tchèque, combien de personnes remplissent votre questionnaire ?
« Nous ne révélons ni le nombre ni l’identité des répondants. C’est une enquête qualitative donc le but n’est pas d’avoir le plus de répondants mais en fait de solliciter des journalistes et experts reconnus dans leur pays. Je peux néanmoins dire que le nombre de répondants sur le plan global a considérablement augmenté. »
Est-ce surtout ce changement de méthodologie qui a entraîné la progression de la République tchèque ou bien faut-il y voir la conséquence du principal événement politico-médiatique sur la scène locale, à savoir la fin du mandat de Premier ministre d’Andrej Babiš, fondateur d’un groupe propriétaire de médias et notamment de deux des grands quotidiens du pays ?
« La progression de la République tchèque s’explique effectivement d’une part par le changement de méthodologie, d’autre part par la chute de certains autres pays dont par exemple les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche ou la Slovénie, ce qui a permis à la République tchèque de gagner des places dans le classement. Ceci dit, les changements dans le pays ont contribué à cette progression également, avec le départ du Premier ministre Andrej Babiš, coutumier d’attaques politiques contre les journalistes. Sa coalition avait mis la pression sur les médias publics et menaçait leur indépendance et enfin comme vous l’avez mentionné il avait un énorme conflit d’intérêts, étant dans le même temps un politicien et un propriétaire de fait de médias. Bien sûr, il le reste, mais il n’est plus au pouvoir et est dans l’opposition – c’est un changement considérable. »
« Je dirais aussi que le classement 2022 a permis également de prendre en compte l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement qui promet une amélioration de la liberté de la presse. Donc il y a un espoir lié à ce changement de gouvernement en République tchèque. »
Ce même Andrej Babiš est en train d’envisager sérieusement de présenter officiellement sa candidature à la présidence de la République. Ce classement pourrait donc à nouveau rapidement changer, même si sont évoquées dans le même temps des négociations pour la vente du groupe médiatique MAFRA dont il est propriétaire ?
« Il serait bienvenu qu’il n’ait plus ce conflit d’intérêts. Concernant sa candidature, il n’est pas dans notre mandat de nous prononcer sur sa légitimité mais ce qui est important est de voir en cas d’élection comment il se comportera en tant que président et s’il va reprendre ses attaques contre les journalistes indépendants. Pour le moment, il semble que non car récemment encore il a diffusé des fausses informations sur la journaliste d’investigation Pavla Holcová. »
« Je voudrais aussi souligner que malgré le changement de gouvernement en République tchèque, il reste de sérieux problèmes concernant la liberté de la presse dans le pays. L’indépendance des médias publics reste fragile, le président Miloš Zeman continue d’attaquer les médias, le dernier exemple en date étant l’attaque de son chef de cabinet qui a accusé les journalistes d’être en partie responsables de l’incendie de son chalet – et cette attaque a été publiée sur le site internet officiel de la présidence de la République. »