Lidice, revisiter son histoire et son passé tragique par l’émotion
Le 10 juin prochain, la République tchèque s’apprête à commémorer le soixante-dixième anniversaire du massacre de Lidice. Cette semaine, l’association Sonosfera audiodrama, en partenariat avec l’Institut d’étude des régimes totalitaires, présente au public son travail de reconstitution de l’atmosphère du village avant la tragédie. Un projet qui n’est pas sans générer quelques remous dans la presse en raison du soutien financier et symbolique d’un partenaire encombrant : le bureau pragois des Allemands sudètes.
Bientôt 70 ans qu’a eu lieu la tragédie de Lidice. Le 10 mai 1942, tous les hommes et les enfants mâles de ce village situé à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Prague ont été massacrés par les autorités nazies. Le village avait été intégralement détruit et rayé de la carte. Un massacre ordonné par les autorités du IIIe Reich en réponse à l’attentat perpétré par des parachutistes de l’armée tchécoslovaque et qui avait coûté la vie à Reinhard Heydrich, proche de Himmler et chef du protectorat de Bohême et de Moravie. Chaque année depuis la libération, la République tchèque commémore cet épisode tragique de son histoire. Le 10 juin 1945, le gouvernement tchécoslovaque avait promis la reconstruction d’un nouveau Lidice à quelques centaines de mètres de l’ancien village. Un mémorial a été érigé sur les lieux du massacre en souvenir des victimes.
Cette année, l’association Sonosfera audiodrama, en partenariat avec l’Institut d’étude des régimes totalitaires, propose à partir du 10 mai aux visiteurs du mémorial de Lidice une expérience inédite avec l’histoire tragique du village. Ils pourront effectuer la visite des collines vides du mémorial où se trouvait l’ancien village de Lidice en écoutant, à l’aide d’écouteurs et d’un téléphone portable, un documentaire audio dans lequel se trouvent des extraits d’entretiens réalisés avec des témoins vivants de la tragédie ainsi que des montages fictifs reproduisant l’atmosphère sonore de la vie quotidienne du village avant le massacre des populations et sa destruction totale. Vilém Faltýnek, dramaturge, est l’un des initiateurs de ce projet d’un genre nouveau intitulé ‘Lidice 2012 - le retentissement’.« Avec mes collègues et les membres de l’association nous avons commencé à prendre conscience du fait que dans l’histoire de Lidice, durant le communisme, une partie de la population du village avait été effacée. Il ne restait que la vision officielle qui mettait en avant l’adoration des victimes innocentes, mais pas les gens réels de cette disparition. Nous étions désolés de cette situation et nous avons pris conscience que la réalité était beaucoup plus variée. »Tereza Semotamová est l’une des auteures du documentaire audio. C’est elle qui a écrit les reconstitutions de la vie quotidienne du village de Lidice :
« Pour moi l’objectif était de montrer que l’histoire du XXe siècle peut être très bien connue à partir du destin de personnes concrètes. J’ai donc essayé de montrer des lieux concrets de la vie des individus, non seulement les maisons, mais les lieux classiques de la vie villageoise, comme sont les auberges, les écoles, les églises, les commerces, les cimetières…pour montrer ce qui s’y est déroulé. »Les auteurs du projet ont cherché à reconstruire l’atmosphère sonore des lieux pour mieux comprendre le passé. Une polémique est née toutefois du projet après que le responsable du mémorial de Lidice, Milouš Červencl a demandé aux responsables du projet de rendre le don du bureau pragois des Allemands sudètes. Une somme symbolique s’élevant à 8 000 couronnes (environ 350 euros), mais qui relance le débat sur l’absence d’excuses officielles de la part de l’Allemagne sur cet épisode noir de l’histoire commune germano-tchèque. Pour le prêtre et théologien Tomáš Halík, le refus du don du bureau pragois des Allemands sudètes est un acte qui rappelle la gestion communiste du passé de Lidice.
Au-delà de la dimension politique de la polémique, le projet soulève plusieurs interrogations quant à la méthode et au résultat escomptés. S’il entend offrir aux visiteurs un aperçu dépolitisé de la gestion de ce passé douloureux, le documentaire audio entend jouer sur les émotions des visiteurs. On peut légitimement se demander si cette méthode est un accès pertinent vers la connaissance et la compréhension des tragédies du passé.