Dernier témoin du massacre de Lidice, Jaroslava Skleničková n’est plus
À l’âge de 16 ans, elle avait survécu au massacre de son village natal de Lidice, rasé par les nazis le 10 juin 1942. Vendredi dernier, Jaroslava Skleničková est décédée dans sa maison située à proximité du lieu de la tragédie, dans le nouveau village de Lidice construit après la guerre. Agée de 98 ans, elle était le dernier témoin du massacre qui a coûté la vie à 340 hommes, femmes et enfants.
La maison où elle a déménagé avec son mari à la fin de sa vie, pour y passer sa retraite, se trouve dans la rue d’Oradour, (Oradourská en tchèque) qui relie, symboliquement, Lidice, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Prague, et Oradour-sur-Glane en France, deux communes qui ont subi le même sort tragique pendant la guerre.
C’est en représailles à l’attentat contre le protecteur du Reich en Bohême-Moravie, Reinhard Heydrich, que les nazis ont rasé Lidice le 10 juin 1942 et, quinze jours plus tard, un autre village tchèque, Ležáky. 340 des quelque 500 habitants que comptait alors le village ont été tués, parmi lesquels notamment 173 hommes et garçons de plus de 15 ans fusillés sur place, dont le père de Jaroslava Skleničková, comme elle l’avait raconté au micro de la Radio tchèque :
« Je n’ai jamais vraiment accepté l’idée que mon père ait été assassiné. Il avait 50 ans et je suis persuadée qu’il savait qu’il allait se passer quelque chose de grave. Quand nous nous sommes quittés devant la maison, il m’a dit : ‘Jaří, n’oublie pas le bon Dieu. J’espère qu’on se retrouvera…’ »
Tout comme les autres femmes de Lidice, Jaroslava, sa mère et sa sœur aînée Miloslava ont été déportées au camp de Ravensbrück. Elles y ont passé trois ans, sans rien savoir du sort de Lidice et des autres habitants du village, ignorant que les hommes avaient été fusillés et que 82 enfants avaient été gazés à Chelmno, en Pologne. Les trois femmes ont également survécu aux marches de la mort à la fin de guerre pour enfin rentrer en Tchécoslovaquie en juin 1945.
Après la guerre, au total 143 femmes rescapées et 17 enfants retrouvés sont revenus à Lidice. Jaroslava Skleničková a vécu à Prague et a aussitôt commencé à travailler dans l’administration. Elle s’est souvenue :
« C’était une situation étrange : j’avais 19 ans, mais mentalement, j’avais 15 ans de plus. Toutefois, je n’étais absolument pas préparée à la vie pratique : je ne savais pas comment faire les courses ou comment utiliser les coupons qu’on recevait pour acheter les aliments. (…) Même si je savais déjà que papa était mort, chaque après-midi, après le travail, je déambulais dans les rues de Prague et je le cherchais. »
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Toutefois, d’après ses proches, Jaroslava Skleničková a réussi à surmonter le traumatisme de la guerre : « Je reste optimiste et satisfaite de ma vie. Surtout, j’ai des enfants et des petits-enfants adorables. Je dis toujours que mes parents me sont revenus à travers mes enfants », a-t-elle confié à la radio en 2022, lorsqu’elle participait encore aux débats et conférences et recevait, dans sa maison rue d’Oradour, des journalistes et historiens. Tout comme sa sœur Miloslava Kalibová, qui a elle aussi vécu à Lidice jusqu’à sa mort en 2020, à l’âge de 96 ans, Jaroslava Skleničková était passeuse de mémoire. Auteure de deux ouvrages, elle a expliqué à la radio la genèse de celui qui s’intitule « Jako chlapce by mě zastřelili » (Si j’avais été un garçon, je n’aurais pas survécu) :
« Quand j’avais 70 ans, j’ai réalisé que mes enfants et petits-enfants ne savaient pas grand-chose sur moi. Et alors, j’ai commencé à rédiger mes souvenirs, d’abord pour parler de mon enfance qui était très heureuse, puis de la guerre. A l’occasion de mon 80e anniversaire, une institution allemande est venue chez moi pour m’interviewer. A ce moment-là, mon mari m’a dit : ‘Tu devrais publier un livre. C’est important, il faut faire face à la montée du néofascisme et à ceux qui disent que l’holocauste n’a pas eu lieu’. Alors on m’a aidée à écrire ce premier livre qui a paru en 2006, en tchèque, puis en allemand et en anglais. »
« Je voulais l’intituler, tout simplement, ‘Souvenirs’. Mais il y avait cette phrase dans mes notes qui a attiré l’attention de l’éditeur et de ma famille aussi : ‘Si j’avais été un garçon, je n’aurais pas survécu’. En fait, je reprochais à ma mère d’avoir été une fille. A Ravensbrück, lorsqu’on ne savait pas encore ce qui s’était passé à Lidice, je lui disais parfois : ‘Si j’avais été un garçon, je serais auprès de papa maintenant. Il ne serait pas seul.’ On m’a raconté aussi que quand je suis née, mon grand-père maternel a dit à mon père : ‘Ne soyez pas triste que ce soit une deuxième fille. Moi aussi, j’ai deux filles et j’étais heureux de ne pas avoir de garçons quand la Grande Guerre a éclaté.’ Et finalement, c’était exactement comme notre grand-père l’a dit. »
Après le décès de Jaroslava Skleničková, il ne reste plus que quelques « enfants de Lidice » dont la plupart n’ont aucun souvenir de l’ancien village anéanti. Pour autant, la mémoire de Lidice continue à être perpétuée par le Mémorial qui se trouve à l’emplacement de l’ancien village, ainsi que dans le monde entier.