« L'Orfeo » ou Le voyage vers les racines de l'opéra
Il y a quatre siècles, naissait l'opéra, genre qui allait passionner les foules et s'imposer dans toute l'Europe. C'est pour évoquer le 400e anniversaire de la première à Mantoue de « L'Orfeo (Orphée) » de Claudio Monteverdi, un des premiers opéras de l'histoire, que le Théâtre national de Prague a préparé une nouvelle production de ce chef-d'oeuvre en collaboration avec plusieurs artistes étrangers. La première a eu lieu, ce jeudi, au Théâtre des Etats à Prague.
Le 7 février dernier, jour du 400e anniversaire de la première, l'opéra a été donné à Mantoue sous la direction de Roberto Gini, spécialiste de ce genre de répertoire. Et c'est à lui qu'on a confié également la direction musicale de la production pragoise. Le maître de choeur et instrumentiste Robert Hugo explique pourquoi :
« Roberto Gini est un homme qui explore les profondeurs, si vous permettez ce cliché. Il ne fait pas les choses pour en tirer un effet facile, mais parce que les choses sont ce qu'elles sont ou parce qu'il le sent comme ça. C'est une approche extrêmement détaillée. Il va jusqu'à nous indiquer dans la partition les notes que nous devons jouer, ce qui est assez inhabituel. Jouer d'instruments authentiques est pour nous d'une évidence indiscutable. »
La première était attendue avec d'autant plus d'intérêt qu'elle avait été préparée par le metteur en scène Jiri Herman, devenu, à 32 ans, chef de l'ensemble d'opéra du Théâtre national de Prague. Robert Hugo rappelle quelques circonstances de la réalisation de ce projet :
«Pendant toute la seconde moitié de l'année dernière, nous avons préparé le choeur avec le metteur en scène Jiri Herman. C'est lui qui est l'âme et le père de tout le projet. Il a commencé à le préparer il y a déjà quelques années, longtemps avant de devenir chef de l'ensemble d'opéra du Théâtre national. Evidemment, c'est le résultat des idées et des compromis les plus divers mais, à mon avis, le choeur qui est né de cette recherche et s'appelle « In spe » est excellent. Bien sûr, c'est toujours un compromis entre les artistes qu'on souhaiterait avoir, ceux qu'on peut encore payer et ceux qui sont disponibles. »
La distribution est internationale. Le soir de la première, les performances vocales étaient assez inégales, surtout dans la première partie de la soirée, et certains chanteurs manquaient d'assurance. La voix suave du chanteur italien Vincenzo di Donato dans le rôle d'Orphée ne s'est vraiment imposée que dans la seconde moitié du spectacle. Marketa Cukrova dans le petit rôle d'Eurydice n'a pas eu assez d'espace pour déployer sa voix, tandis que Petra Noskaiova, dans le double rôle de Messagère et de Proserpine, a su donner à ces personnages les accents poignants et le charme qu'ils nécessitent. Il faut aussi relever Salvo Vitale dans le rôle de Charon et Dali Mor dans celui de Pluton dont les basses semblaient venir vraiment des profondeurs d'un autre monde. Le choeur s'est montré à la hauteur de la partition de Monteverdi, tant dans l'idylle bucolique des premiers actes que dans la nuit des Enfers. Roberto Gini a tiré de l'orchestre une large palette des couleurs chatoyantes et des sonorités d'une grande force évocatrice.
L'homogénéité de ce spectacle conçu comme une grande cérémonie rituelle, est due à une mise en scène minutieuse et subtile de Jiri Herman. Les attitudes et les mouvements des chanteurs, dans des costumes et des décors intemporels, sont réglés comme une immense horloge mue par la musique. Les passages chorégraphiés, les danses nuptiales des deux premiers actes, s'insèrent tout à fait naturellement dans cette conception. Toutes les actions scéniques, y compris les évolutions infiniment lentes des Ombres du Hadès, font partie d'une chorégraphie raffinée de l'ensemble qui obéit à une logique intérieure du spectacle. L'histoire d'un homme qui ose descendre aux Enfers pour arracher sa bien-aimée à la mort, se profile devant le spectateur avec la lenteur d'un rêve et finit par le subjuguer.